Anesthésie du grand vieillard P. Juvin, G. Plantefève Service d'anesthésie-réanimation chirurgicale, centre hospitalier Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France
POINTS ESSENTIELS | · Après 85 ans, un patient sur deux est classé ASA 3 à 5.
· Le vieillissement physiologique se caractérise par une altération des réserves fonctionnelles des organes. Ceux-ci ne peuvent plus faire face à une augmentation brutale des besoins. L'âge chronologique joue probablement un rôle chez le grand vieillard dans l'évolution des états morbides. Le bilan préopératoire doit donc évaluer les capacités d'adaptation restantes de l'organisme.
· Les grands vieillards reçoivent souvent de très nombreux médicaments, qui exposent à des risques d'interactions.
· La pharmacocinétique et la pharmacodynamie des médicaments de l'anesthésie sont modifiées chez le grand vieillard. La prudence commande de minorer les posologies, d'utiliser des médicaments de délai et de durée d'action courts, de les titrer et de monitorer leurs effets.
· Dans une population générale, il n'y a pas d'avantage décisif à utiliser une technique d'anesthésie générale plutôt qu'une technique d'anesthésie rachidienne, et inversement.
· L'anesthésie ambulatoire est possible chez le grand vieillard autonome et/ou entouré.
· L'analgésie postopératoire est souvent insuffisante chez les grands vieillards. Elle doit répondre aux mêmes impératifs de prescription (minoration des posologies, titration, monitorage) que les autres médicaments de l'anesthésie.
· Les troubles cognitifs et les états d'agitation sont fréquents dans la période postopératoire. Ils doivent faire rechercher une cause immédiatement curable. Ils doivent faire l'objet de mesures préventives.
· L'âge lui-même est un facteur de risque de troubles cognitifs postopératoires.
· L'objectif principal de la prise en charge médico-chirurgicale du grand vieillard est le retour rapide à une autonomie optimale dans un environnement connu.
| Près de 6,5 millions de français ont plus de 70 ans, 2,1 millions ont plus de 80 ans et quatre cent mille ont plus de 90 ans. Les français âgés de plus de 65 ans représentaient 12,6 % de la population en 1968 et 13,9 % en 1990. En 1998, ils représentent 15,6 % de la population. La sur-représentation des femmes dans les classes d'âge apparaît tôt, dès 60 ans et devient franche à 75 ans : elles représentent 60 % de la classe d'âge 75-79 ans et 75 % des plus de 90 ans. Parmi les personnes âgées, les classes d'âge les plus avancées sont de plus en plus représentées (source Insee). La plupart des auteurs s'accordent pour considérer que 65 ans constitue un tournant dans l'évolution de la santé [1]. En fait, il n'y a pas de consensus sur la définition d'une personne âgée. Certaines études mettent la barre à 65 ans, d'autres plus tardivement. La notion de « grand vieillard » est encore plus floue. Définition chronologique (plus de 80 ans, de 90 ans ?) ou fonctionnelle (personne dépendante ou vivant en institution ?, classe ASA élevée ?). La prise en charge périopératoire de ces patients très âgés (chronologiquement ou fonctionnellement) n'a pas fait l'objet de beaucoup d'études. Faute d'une définition claire, nous bâtirons notre propos sur la littérature disponible, qui concerne souvent des personnes âgées de plus de 65 ou 70 ans, ou présentant un déficit fonctionnel, et, par analogie, nous en tirerons des enseignements à appliquer au « grand vieillard », c'est-à-dire à une personne âgée de plus de 80 ans et/ou à une personne âgée ayant un déficit ou un état de santé précaire.
En 1996, un tiers des anesthésies était pratiqué chez des patients âgés de plus de 60 ans. Ce chiffre est en nette augmentation par rapport à la période 1978-1982, où les plus de 60 ans représentaient moins de 20 % des opérés. Après 75 ans, le taux annuel d'anesthésies pour les femmes (hors endoscopie) (16,8 anesthésies pour 100 habitantes) est inférieur à celui des hommes (19,6). Après 85 ans, un patient anesthésié sur deux (hors endoscopie et chirurgie ambulatoire) est classé ASA 3 à 5 [2]. Par rapport à la période 1976-1982, l'augmentation du nombre d'anesthésies chez le sujet âgé s'est essentiellement faite au bénéfice de l'endoscopie digestive, de l'orthopédie et de l'ophtalmologie. Actuellement, entre 75 et 84 ans, 30 % des anesthésies (hors endoscopie) concernent l'ophtalmologie, 24 % l'orthopédie, 13 % la chirurgie digestive et 11 % la chirurgie urologique. Après 85 ans, 29 % des anesthésies sont des anesthésies loco-régionales [3], et 20 % des anesthésies sont réalisées en urgence (moins de 10 % entre 45 et 55 ans) [4].
La morbidité et la mortalité périopératoires augmentent avec l'âge [5]. Pourtant, les taux de morbidité et de mortalité périopératoires ne sont pas plus élevés chez les octogénaires en bonne condition physique que chez les adultes jeunes devant bénéficier du même type d'intervention chirurgicale [5] [6]. Il est habituel d'affirmer que, plus que l'âge chronologique, c'est l'âge physiologique, et donc l'état de santé préopératoire, qu'il faut prendre en compte. D'où l'importance de l'évaluation préopératoire. En fait, nous verrons que chez le grand vieillard, le vieillissement physiologique se traduit par une très grande difficulté de l'organisme à faire face à des situations de stress. À ce moment, l'âge chronologique joue probablement un rôle dans l'évolution des maladies.
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