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27ème Congrès de l’Association Francophone de Comptabilité Tunis, mai 2006 LE PLAFOND DE VERRE DANS LES CABINETS D’AUDIT – QUESTIONS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES Claire DAMBRIN Professeur Assistant HEC School of Management of Paris, 1, rue de la Libération 78351 Jouy-en-Josas Cedex, +33 1 39 67 et fax dambrin@hec.fr Caroline LAMBERT Professeur Assistant HEC School of Management of Paris, 1, rue de la Libération 78351 Jouy-en-Josas Cedex, tel : +33 1 39 67 95 65 et fax :+33 1 39 67 70 86 lambert@hec.fr Résumé Cet article propose une réflexion théorique et méthodologique à partir de l’étude des recherches sur le genre dans les revues comptables françaises et anglo-saxonnes. Une analyse détaillée de la littérature sur le plafond de verre dans les cabinets comptables souligne la triple nature des obstacles (individuels, organisationnels et sociaux) à la progression des femmes dans la profession comptable, et vient confirmer l’imbrication des questions méthodologiques, théoriques et politiques. Mots clés genre, plafond de verre, profession comptable, féminisme, méthodologie Abstract Gender issues are examined in the French and the Anglo-Saxon accounting literatures. We propose an overview of the theoretical frameworks and the methodologies used in the selected articles. An analysis of the glass ceiling in the accounting profession is provided. This article highlights the triple nature (individual, organisational and social) of obstacles that hinder the career path of women in the accounting profession. The detailed analysis of this specific theme confirms that methodological, theoretical and political questions are deeply embedded. Keywords gender, glass ceiling, accounting profession, feminism, methodology LE PLAFOND DE VERRE DANS LES CABINETS D’AUDIT – QUESTIONS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES Introduction Si, en France, la recherche en comptabilité est restée plus que discrète sur le thème des questions de « genre », la recherche comptable anglo-saxonne s’y intéresse depuis déjà une vingtaine d’années. En France, seule Comptabilité-Contrôle-Audit a publié un article en 19981, alors qu’en Grande-Bretagne, les premiers articles ont paru en 1987, regroupés dans un numéro spécial d’Accounting, Organizations and Society. Aujourd’hui, le corpus dans des revues comptables peut être évalué à environ quatre-vingt articles traitant des questions de genre. Cette absence d’engouement pour le sujet de la part de la communauté académique française en comptabilité ne peut pourtant pas s’expliquer par une hypothèse « culturelle ». En effet, dans d’autres champs tels que la sociologie, la recherche hexagonale sur ce sujet est particulièrement dynamique. Dès 1984, « Le Sexe du travail », un ouvrage collectif du MAGE, marquait un jalon décisif dans la visibilité et la légitimité de cet objet de connaissance que peut représenter le travail féminin. L’ambition était alors modeste, au moins nous semble-t-elle ainsi aujourd’hui, puisqu’il s’agissait d’affirmer que le « travail avait un sexe ». Aujourd’hui, le fait semble acquis. Vingt ans plus tard, les travaux sur le genre « constituent désormais un outil de production de connaissance et de renouvellement des savoirs à part entière » (Laufer, Marry et Maruani, 2003). Plusieurs revues dédiées à l’étude des problématiques du genre font désormais partie du paysage académique (Clio HFS ; Les Cahiers du Genre ; Travail, Genre et Sociétés…), et des articles paraissent régulièrement par ailleurs dans des revues académiques non dédiées. De plus, les théoriciens français ont largement inspiré les études sur le genre : Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva, mais aussi Michel Foucault ou Jacques Derrida. L’existence d’un corpus anglo-saxon en comptabilité relativement développé ainsi que de recherches françaises dans des disciplines connexes comme l’histoire ou la sociologie amène à s'interroger sur les raisons de l'absence du genre dans les problématiques des chercheurs en comptabilité en France. Ce, d’autant plus que, comme le souligne Hopwood (1987), « le prisme du “genre” peut être un outil particulièrement utile à celui ou celle qui souhaite analyser la comptabilité au-delà de sa dimension technique ». Outre la mise en lumière de la composition sexuée de la profession comptable et de l’évolution de cette composition, aborder la comptabilité par le prisme du genre contribue à déconstruire les postulats implicites de la comptabilité (i.e. les conceptions de l’ordre et de la régulation, le processus d’objectivation et le principe de neutralité) et à refléter les évolutions de ces postulats et de leurs fondements intellectuels (Hopwood, 1987, p.65). Cet article s’inscrit dans cet appel à croiser les questions de genre et les problématiques comptables, il a pour ambition de proposer une synthèse de la littérature qui s’intéresse aux deux champs (le genre et la comptabilité) afin d’ouvrir des perspectives de recherche allant au-delà de la « question des femmes ». Nous avons choisi d’axer cette synthèse de la littérature sur un thème en particulier : celui du plafond de verre auquel sont confrontées les femmes dans la profession comptable. Le croisement genre et comptabilité pourrait être envisagé selon d’autres thèmes tels que le rôle des outils de la comptabilité dans la perpétuation des inégalités de genre ou la place des minorités ethniques au sein du monde comptable2. Nous concentrons notre analyse sur le thème du plafond de verre dans la profession comptable, qui, par sa fréquence de traitement dans les recherches anglo-saxonnes, est plus à même de faire écho aux intérêts de la recherche comptable française encore peu sensibilisée à ces problématiques. D’excellentes études ont été réalisées sur l’histoire de la profession comptable et les processus de marginalisation des femmes qui l’ont jalonnée (Crompton et Sanderson, 1990; Lehman, 1992; Loft, 1992; Kirkham et Loft, 1993). Cette marginalisation des femmes a évolué au cours du temps, en passant d’une ségrégation horizontale3 (rejet des femmes à l’extérieur de la profession) à une ségrégation verticale4 (cantonnement des femmes à des tâches subalternes au sein de la profession) : l’accès à certaines tâches a été ouvert aux femmes, mais les activités associées à la rémunération et au prestige sont restées le pré-carré des hommes. Certains chercheurs à l’instar de Burrell (1987), vont jusqu’à identifier un lien particulier entre le sexe et la comptabilité. Burrell soutient ainsi que le développement de la comptabilité et la désexualisation des activités ont été de pair. En envisageant la comptabilité comme une technologie de pouvoir, il attribue aux comptables un rôle de juge et de régulateur de normalité qui doivent montrer l'exemple. Dans ce contexte, le moyen le plus sûr d'annihiler tout intérêt sexuel est d’exclure les femmes de la profession. Cette exclusion a caractérisé les débuts du développement de la profession comptable, parfois dans un cadre légal, comme en Grande Bretagne (Lehman, 1992). La situation est désormais toute autre, néanmoins, les femmes expert-comptables et/ou associées dans les cabinets demeurent relativement rares. La profession comptable fait donc écho aux problématiques générales de genre. Les cabinets d’audit, du fait de la lisibilité des niveaux hiérarchiques et de l’existence de carrières-type, constituent à ce titre un terrain tout à fait approprié à l’étude de ces problématiques. Si ce terrain est donc particulièrement propice aux études des dynamiques d’exclusion, il serait hâtif d’en déduire des conclusions réductrices et abusives sur le « machisme » de la profession comptable française5. Ces dynamiques de ralentissement de carrière voire d’exclusion ne sauraient constituer une spécificité française. Contrairement au Royaume-Uni6 par exemple, en France, l’exclusion des femmes de la profession n’a jamais été entérinée par un texte de loi. Ces dynamiques ne constituent pas non plus une spécificité des métiers de la comptabilité. La profession comptable est en effet loin d’être le seul environnement où les femmes restent en dehors des cercles de décision : au 30 septembre 2005, seules 31 femmes occupent 37 mandats sur les 571 sièges d'administrateurs des entreprises du CAC 40 (6,46%), et un tiers de ces 40 sociétés ne compte tout simplement aucune femme dans leur conseil d’administration7. Notre objet d’étude (le plafond de verre dans les cabinets d’audits), aussi partial semble-t-il, peut donc servir à l’analyse d’autres situations organisationnelles que celles concernant la profession comptable. Même si cet objet nous conduit à mettre l’accent sur les difficultés rencontrées par les femmes au sein de la profession, il ne saurait être envisagé à sens unique. Ainsi, en soulignant l’évolution des obstacles à la progression de carrière des femmes dans les cabinets, nous soulignons indirectement les progrès constatables au fil du temps en la matière. Dans un premier temps, après avoir détaillé notre méthodologie, nous dressons un panorama structuré autour des cadres théoriques sollicités et des méthodologies employées dans les articles étudiés. Dans un second temps, nous analysons comment le thème du plafond de verre dans les cabinets d’audit est traité et quelles sont les explications avancées dans la littérature concernant ce phénomène. |