Apprendre en présence et à distance : Une définition des dispositifs hybrides Résumé
La formation supérieure universitaire initiale et continuée voit se développer depuis quelques années des dispositifs articulant à des degrés divers des phases de formation en présentiel et des phases de formation à distance, soutenues par un environnement technologique comme une plate-forme de formation. L’objet de cet article consiste en une tentative de définition de ces dispositifs dits « hybrides » pour en proposer des dimensions descriptives. Une grille d’analyse est ainsi détaillée et illustrée par deux cas contrastés. Par la suite, elle soutiendra la comparaison de dispositifs et la recherche de leurs effets.
Mots-clefs : formation supérieure, dispositif hybride, apprentissage, médiatisation, médiation
Summary
Hybrid systems have emerged for a few years in the initial and continued higher education. They use a combination of face-to-face and remote phases, supported by a technological environment such as a learning platform. In this article we attempt to define these systems by proposing descriptive dimensions. A set of criteria is detailed and illustrated by two contrasting cases. Thereafter, it will support the comparison of hybrid systems and the study of their effects.
Keywords : higher education, hybrid system, learning, mediation, mediatisation
Introduction
La formation supérieure universitaire initiale et continuée voit se développer depuis quelques années des dispositifs articulant à des degrés divers des phases de formation en présentiel et des phases de formation à distance, soutenues par un environnement technologique comme par exemple une plate-forme de formation. Ces dispositifs sont de plus en plus désignés par le vocable de « dispositif hybride ». Etant assez récents et n’ayant pas réellement de cadre descriptif, peu de travaux leur ont été consacrés ou l’ont été sous des vocables différents.
Travaillant dans ce type de dispositif, essentiellement au 3e cycle universitaire, nous avons tenté depuis quelques années d’en analyser les effets. Nos observations empiriques et quelques recherches exploratoires (Charlier et Denis, 2002; Peraya et Dumont, 2003; Charlier et Henri, 2004; Peraya et Jaccaz, 2004; Viens et Peraya, 2004; Charlier, Nizet et Van Dam, 2006) nous ont conduit à identifier plusieurs effets potentiels sur les apprentissages vécus par les participants, sur leurs dynamiques identitaires, les interactions sociales et enfin sur l’émergence de communautés de pratique.
Pour mieux comprendre ces effets, il nous a semblé important de mieux définir ces dispositifs, d’aller au-delà de la simple articulation entre activités à distance et en présence et de l’usage d’un environnement technologique. Ainsi, l’objet de cet article consiste en une tentative de définition de ces dispositifs pour en proposer des dimensions descriptives. Cette démarche nous conduit à suggérer une grille d’analyse que nous illustrons par deux cas contrastés. Enfin, nous proposons quelques hypothèses à propos des effets de ces dispositifs.
A la recherche d’une définition
Aux origines, le dispositif de formation
Revenons tout d’abord sur le concept même de dispositif, utilisé dans le champ des sciences de l’éducation et dans celui de la formation depuis les années 1970 sans qu’à l’époque il n’ait été réellement défini. Issu du domaine de la technique, un dispositif désigne à l’origine « un ensemble de moyens disposés conformément à un plan ». Par extension, le dispositif a très vite désigné un ensemble de moyens humains et matériels mis en œuvre afin d’atteindre un objectif (Lameul, 2005) ou, dans le champ de la formation, agencés en vue de faciliter un processus d’apprentissage (Blandin, 2002). Ces définitions, toutes liées au champ de l’ingénierie de la formation, oblitèrent cependant les fonctions symbolique, psychologique, cognitive et relationnelle inscrites dans tout dispositif, comme le rappelle l’ensemble des contributions du numéro de la revue Hermès, « Le dispositif entre usage et concept » (Jacquinot-Delaunay et Montoyer, 1999).
L’analyse du concept de dispositif oblige donc à repenser les rapports entre le symbolique, le technique et le relationnel comme d’ailleurs celui de la médiatisation et de la médiation. Aussi Peraya (1998) a-t-il proposé la dénomination de dispositif techno-sémiopragmatique1 qui du point de vue strict de la théorie de la communication voulait rendre compte de cette triple articulation. De son côté, Linard (1998) propose la définition suivante qui insiste sur la référence aux théories de l’action ainsi qu’à la composante cognitive de tout dispositif : « Fondé sur la mise en système des agents et des conditions d’une action, un dispositif est une construction cognitive fonctionnelle, pratique et incarnée. […] Il se situe à l’opposé de l’opération informationnelle, définie comme traitement logico-symbolique de données abstraites hors sujet et hors interaction.». Soulignons que, par cette définition, l’auteur précise une dimension essentielle, celle de la présence de l’acteur. Le dispositif est incarné. Il intègre le sujet et ses intentions. Le dispositif ne prend sens que s’il est vécu et expérimenté par le sujet.
Enfin, dans une perspective plus généralisante, Peraya (1999) considère que : « un dispositif est une instance, un lieu social d'interaction et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique enfin, ses modes d'interactions propres. L'économie d'un dispositif – son fonctionnement – déterminée par les intentions, s'appuie sur l'organisation structurée de moyens matériels, technologiques, symboliques et relationnels qui modélisent, à partir de leurs caractéristiques propres, les comportements et les conduites sociales (affectives et relationnelles), cognitives, communicatives des sujets. » (p.153).
Ces définitions permettent d’éviter une position déterministe et relativement mécaniste laissant à l’arrière-plan les acteurs et leurs rôles dans le fonctionnement même du dispositif, comme s’ils étaient « agis » par le dispositif au lieu d’en être de véritables acteurs. Cet écueil, nous le verrons, est d’autant plus important que l’analyse des dispositifs hybrides ne peut se construire en dehors de la question de l’innovation pour laquelle les acteurs occupent une position centrale. Pour restituer aux acteurs leur importance et leur rôle, plusieurs pistes de réflexion ont été formulées récemment. Tout d’abord Lameul (2005) propose une « idéologie dispositive » : « On se rend ainsi compte que le terme dispositif est bien un concept situé qui correspond à une « certaine vision du monde » et présente ainsi inévitablement un certain caractère normatif, ce qui n’a rien de problématique si parallèlement, on y associe la vigilance qui s’impose, en questionnant la dimension liberté-contrainte et autonomie-régulation. » (p.3). Jacquinot et Choplin (2002), quant à eux, émettent l'hypothèse que le dispositif de formation peut tenir lieu d'objet négociable au cours même du processus d'innovation pédagogique dans le cadre d'une démarche dite dispositive. Pour ce faire, une position de semi extériorité par rapport au dispositif innovant semble indispensable, position qui pourrait être prise en charge dans le cadre d’une recherche-innovation. Enfin, les auteurs suggèrent comment, à l'articulation du dispositif et de l'innovation, la démarche dispositive conduit à une transformation de l'activité de recherche elle-même.
Ce bref rappel des différentes définitions du concept de dispositif, nous a permis de mettre en évidence :
La nécessité de repenser l’articulation entre technique, symbolique et relationnel mais aussi celle entre médiation et médiatisation.
L’importance centrale des acteurs agissant au centre du dispositif, et celle de concevoir ce dernier comme le lieu de la construction de l’autonomie de chacun, autant que d’une double identité, individuelle et collective.
Le rapport nécessaire entre dispositif et innovation, d’ailleurs déjà présent dans le travail de Foucault (1975).
Des dispositifs émergents
C’est dans ce cadre qu’il convient maintenant de donner au concept de « dispositif hybride » une claire définition. Il renvoie généralement à des dispositifs centrés sur l’apprenant. Il s’apparente au concept de « blended learning » et certains l’associent également à l’ « integrated learning » (Schneider, 2005). Tentons d’y voir plus clair.
Le concept assez répandu d’ « integrated learning » apparaît dans des travaux sur l’interdisciplinarité, le socio-constructivisme, le transfert, l’articulation entre l’apprentissage à l’école et au travail ainsi que l’ « experience-based learning » (Boud et Knights, 1996; Gibbons et Gray, 2002; Eisenman, Hill, Bailey et al., 2003; Venville, Rennie et Wallace, 2004). Il rassemble des démarches visant un apprentissage en profondeur (Entwistle, 2003). Dans ce cadre, Boud et Knight (1996) considèrent l’apprentissage comme « holistic and integrated » et le présentent comme un des facteurs clés de l’« experience-based learning ». Un apprentissage intégré renvoie à la prise en compte, à l’intégration de toutes les dimensions d’un objet de connaissance. Par exemple, dans l’apprentissage d’une langue, pour appréhender pleinement une expression particulière, il s’agira d’intégrer à la fois la règle « théorique » qui la définit ainsi que les acceptions spécifiques de la « pratique ». Gibbons et Gray (2002) proposent une définition qui semble regrouper les différentes acceptions de ce concept telles que nous avons pu les observer dans différentes recherches : « …integrated learning means integration of theory and practice, the individual and social, art and science, field and classroom » (p.539). Ce concept se centre donc sur l’apprentissage, la construction des objets de connaissances et s’intéresse à la manière la plus efficace de les « intégrer » dans une situation de formation. Il ne peut s’agir que d’une des dimensions d’un dispositif car il n’informe en rien sur l’apprenant lui-même et sa manière d’apprendre. On peut ainsi le voir côtoyer d’autres dimensions de dispositifs comme le « self-directed and lifelong learning » (Gibbons et Gray, 2002).
Ce concept est également associé actuellement aux technologies et on le trouve quelque peu galvaudé pour parler d’ « integrated learning systems » qui renvoient à toutes sortes d’environnements technologiques qui ont la particularité d’intégrer différentes dimensions du processus d’enseignement-apprentissage (information, gestion, etc.), le sens premier de centration sur l’apprentissage en profondeur n’étant pas toujours présent.
Comme certains auteurs (Schneider, 2005), on serait aisément tenté d’associer à la précédente définition de Gibbons et Gray, l’intégration des temps de formation, en présence et à distance. Dans ce cas, le concept initial d’ « integrated learning » centré sur les objets de connaissances s’élargit d’une dimension organisationnelle.
Ceci nous conduit au concept de blended learning dont il n’est pas aisé de repérer l’origine et qui ne semble pas encore très stabilisé. Certains parlent de « blended learning environments » (Osguthorpe et Graham, 2003), d’autres de « blended learning programs » (Singh, 2003). Il est mis en relation avec une articulation « équilibrée et harmonieuse » de la présence et de la distance soutenue par l’usage des technologies numériques et du réseau (Lim, 2002; Osguthorpe et Graham, 2003). Une conception plus large existe également : « Blend of learning approaches in their strategies to get the right content in the right format to the right people at the right time.» (Singh, 2003, p.51).
Ainsi, un programme « blended learning » pourrait combiner une ou plusieurs des dimensions suivantes : en ligne/hors ligne, individuel/collaboratif, contenu formel/informel, théorie/pratique, etc. Cette approche permettrait d’enrichir les modes de formation « traditionnels » et ce avec un rapport qualité prix raisonnable (Singh, 2003). En plus de cela, Osguthorpe et Graham (2003) ajoutent les objectifs suivants pouvant amener un enseignant à mettre en place un tel dispositif : accès aux ressources, interactions sociales, « self-directed learning », facilité de régulation.
Par ailleurs, ces auteurs distinguent « hybrid » et « blend » pour expliquer le choix de ce 2e terme. Ils se réfèrent à la définition de « blend » dans le Oxford English Dictionary pour insister sur une combinaison équilibrée entre les parties : « To unite intimately, so as to form a uniform or harmonious mixture ». Cependant ils ne disent rien sur les critères qui permettent de dire que cet équilibre et cette harmonie existent. Ils discutent également de l’origine biologique du terme « hybrid » qui, contrairement à ces auteurs, nous semble nettement plus approprié pour définir le nouveau type de dispositif qui nous occupe. Nous sommes en effet assez tentés de le considérer comme une nouvelle entité issue du croisement de deux autres dont elle reprend et réorganise les caractéristiques. Et c’est parce que nous considérons nous trouver devant une nouvelle forme de dispositif que nous en recherchons les effets spécifiques.
Dans la littérature francophone, Valdès (1995; 1996) semble le premier auteur à avoir fait usage de ce concept de « dispositif hybride » dans le cadre des formations d’entreprise. Il s’agissait de rendre compte d’un mouvement de convergence observé par de nombreux auteurs (Peraya, 1995a; Glikman, 2002; Paquette, 2002; Peraya et Deschryver, 2002-2005), entre les formations présentielles et à distance, chacune intégrant des caractéristiques de l’autre. Dans un rapport de l’Education Nationale française de 1999-2000, on peut lire « L’enseignement hybride ou l’intrusion grandissante de la distance dans les enseignements scolaires » (Pouzard et Roger, 2000). Ce mouvement est expliqué le plus souvent par une volonté d’une ouverture des dispositifs à un public plus large et à une « réinterrogation » des dispositifs actuels. « Il est nécessaire de raisonner différemment : non plus uniquement en fonction des personnes qui viennent déjà en formation, mais en fonction des personnes qui, dans la situation actuelle, ne viennent pas en formation en raison de l’inadaptation des systèmes traditionnels, tout en repensant les modalités de formation des apprenants qui viennent actuellement en formation, dans le but d’améliorer la qualité de celle-ci. Ce raisonnement amène à réfléchir à la mise en place de formations hybrides. » (Valdès, 1995, p.6-7).
Valdès (1995) décrit l’espace hybride de formation comme étant centré sur l’apprenant et articulant : des parcours négociés, un rythme individualisé, des lieux multiples, des ressources décentralisées et accessibles à distance, des situations pédagogiques adaptées, des média diversifiés et adaptés, une pédagogie individualisée. Dans ce cadre, l’intégration de la présence et de la distance et l’usage des technologies permet de rencontrer davantage ses objectifs de « dispositif centré apprenant ». Afin de rendre compte de cette articulation, nous proposons de considérer la répartition relative, en pourcentage, entre les charges de travail de l’étudiant réalisées lors des séances présentielles et à distance. Ainsi par exemple, un cours « présentiel » classique de 60h de charge de travail, organisé sur un semestre (+/-15 semaines) avec un regroupement présentiel de 2h/semaine, représente un ratio de 50/50. A l’opposé, un cours avec la même charge de travail et un regroupement présentiel de 3h en début et en fin de semestre, donne un rapport «présence-distance» de 10/90. Cette façon de voir rompt avec les autres classifications existantes dont les critères ne nous paraissent pas généralisables car ils sont soit non objectivables (par exemple COMPETICE, cité par Barette, 2004) soit liés aux usages observés de dispositifs particuliers (par exemple Explor@ de Paquette, 2000).
Que retenir de l’ensemble de ces définitions ? Nous retenons « hybride » car il réfère à la création d’une nouvelle entité dont les caractéristiques majeures sont l’articulation présence-distance et l’intégration des technologies pour soutenir le processus d’enseignement-apprentissage2. Pour définir ces technologies soutenant le processus d’enseignement-apprentissage, nous utiliserons le concept d’environnement technopédagogique qui met l’accent sur la double composante de ces environnements, technologique, aujourd’hui principalement informatique, et pédagogique.
Des dispositifs médiatisés
La formation à distance implique, on le sait, une rupture spatio-temporelle entre les apprenants et les enseignants. Enseigner à distance, c’est nécessairement recourir à des dispositifs médiatisés. Aujourd’hui, il s’agit principalement des technologies de la communication et de l’information. Tous les auteurs s’accordent sur l’importance du rôle des technologies – au sens large – dans le développement de la formation à distance et nombreux sont ceux qui, au sein de son histoire, mettent en évidence une succession d’étapes dont chacune correspond à un stade de développement des médias et des technologies de l’information et de la communication : l’imprimé et la correspondance, puis les premiers médias de masse (radio, télévision) et les premiers logiciels – le plus souvent coordonnés en fonction d’objectifs communs –, enfin le multimédia et la téléinformatique (Henri et Kaye, 1985; Nipper, 1989; Peraya, 1995a; Keegan, 1996; Perriault, 1996; Taylor et Swannel, 1997; Perriault, 2002). Mais l’introduction de technologies dans un dispositif de formation présentiel y introduit tout le potentiel de l’apprentissage, de la communication et de l’organisation du travail à distance. Si la distance implique les technologies, ces dernières permettent en retour d’articuler la distance et la présence. Ces différentes innovations, introduites au même moment dans les systèmes de formation traditionnels, transforment donc l’ensemble des dimensions de ces dispositifs. Ceux-ci peuvent s’enrichir des travaux en formation à distance sur le suivi de l’apprenant et la centration sur l’activité. Les technologies, quant à elles, permettent notamment une plus grande ouverture des ressources et le développement d’espaces de mutualisation comme d’interaction.
Au-delà de ces aspects pédagogiques et organisationnels, il nous faut prendre en compte les dimensions plus générales voire anthropologiques de tels dispositifs qui, nous l’avons déjà suggéré, articulent toujours le cognitif, le sémiotique, le relationnel et le technique (Peraya, 1998; Meunier et Peraya, 2004). Analysant la formation à distance sous l’angle de la communication, Garrison et Shale (1987) identifient déjà plusieurs caractéristiques de la formation à distance dont la rupture dans le processus communicationnel (communicating non contiguously) et l’utilisation de technologies de communication bidirectionnelle médiatisée (technologogy to mediate two-way communication). Pour sa part, Moore (1993) introduit la notion de « transactional distance » se référant à la notion de « transaction [that] connotes the interplay among the environment, the individuals and the patterns of behaviors in a situation » (p.22). On soulignera combien cette dernière définition est proche de celle que donne Debray (1991) de la médiologie et de la médiation : « Dans médiologie, « médio » ne dit pas média ni médium mais médiations, soit l’ensemble des procédures et des corps intermédiaires qui s’interposent entre une production de signes et une production d’événements. » (p. 234). Les deux concepts qui sont évoqués ici sont ceux de médiatisation et de médiation à la définition desquels nous nous sommes consacrés récemment (Peraya, 1995b; 1998; 1999; Peraya et Meunier, 1999; Peraya, 2005). Rappelons-en l’essentiel et précisons ensuite notre position actuelle.
Les définitions auxquelles nous nous référons proviennent de champs fort différents3 : principalement celui des théories de la communication et des médias, celui de la psychologie cognitive, celui des théories de l’activité et de l’instrumentation de l’activité humaine et enfin secondairement celui de la didactique. Aussi ces définitions sont-elles difficiles à articuler. Pourtant cette tâche nous paraît indispensable. Une première définition, peu connue, des médias, indiquait de façon programmatique la nécessité d’expliciter cette articulation : « Un média est une activité humaine distincte qui organise la réalité en textes lisibles en vue d’une action. » (Anderson, 1988, p.11). Cette définition met en évidence une conception praxéologique des médias : une pratique médiatique considérée comme une activité humaine basée sur des artefacts matériels et symboliques, autrement dit une pratique sociale indissociable d’un processus d’instrumentation de la communication humaine. Pourtant, dans le contexte de l’analyse des médias, l’action – « en vue de l’action » dit la définition – est vue le plus souvent comme un processus cognitif, comme une activité de compréhension basée sur le modèle structural du décodage ou plus récemment sur celui de l’inférence et des modèles mentaux.
Dans le cadre de la communication pédagogique médiatisée, Peraya (1998; 1999) a longtemps soutenu une distinction entre la médiation de la relation pédagogique et la médiatisation des contenus de formation, point de vue partagé notamment par Glickmann (2002) qui a proposé de classer les systèmes de formation à distance selon leur degré respectif de médiatisation et de médiation. Ce distinguo avait, à l’époque, une importance stratégique : rappeler aux nombreux concepteurs de dispositifs médiatisés que tout acte pédagogique, à l’instar de tout acte de communication, comporte un important aspect relationnel. Il ne suffit donc pas de médiatiser, de « mettre en différents médias », les seuls contenus et les connaissances. La relation pédagogique dont personne ne doute en situation présentielle, doit elle aussi faire l’objet d’un processus de médiatisation. Cependant, cette première distinction entretient sur le fond une importante ambiguïté : les processus de médiation cognitive, ou sémiocognitive, qui concernent notamment les caractéristiques propres des médias comme l’impact des systèmes de représentation sur les processus d’apprentissage se trouvent alors relégués du côté de la médiatisation ce qui des points de vue théorique autant que méthodologique constitue une importante difficulté.
Par ailleurs, certains auteurs4 – des théoriciens de médias (Moeglin, 2005) et des didacticiens (Barbot et Lancien, 2003) notamment – entendent aujourd’hui encore l’opposition entre médiatisation et médiation dans un tout autre sens : « Il semble qu’il faille préférer "médiation" pour médiation humaine et "médiatisation" pour médiation technique sous-tendant aussi les aspects multimédias. » écrit Gettliffe-Grant (2004) dans son compte-rendu des actes du colloque « Médiation, médiatisation et apprentissages » tenu à Lyon en 2003. En plus des limites (évoquées brièvement ci-dessus) de la première de ces définitions, il faut accepter que ces définitions ne sont guère compatibles. Comment en effet rendre compte dans ce cadre du fait que certaines formes de médiation humaine sont médiatisées : le tutorat à distance, les dispositifs de communication synchrone ou asynchrone, les formes de téléprésence ou de présence à distance en sont de bons exemples. Dans la première définition, médiatisation et médiation se distinguent par la nature des processus qui sont pris en compte et par les domaines auxquels ces derniers se rattachent – sémiocognition et ingénierie de la formation – ; dans la seconde définition, la classification, celle des didacticiens, se base sur la nature humaine ou instrumentale de l’« agent » médiateur.
Aussi Peraya (2003), Meunier et Peraya (2004) suggèrent-ils de considérer que les processus de médiatisation et de médiation portent sur des objets différents, nettement distincts. D’une part, la médiatisation désignerait le processus de conception et de mise en œuvre de tels dispositifs de formation et communication médiatisée, processus dans lequel le choix des médias les plus adaptés ainsi que la scénarisation occupent une place importante. Le processus de médiatisation – de « mise en » dispositif médiatique5 ou en « dispositif de communication médiatisée » – relève en conséquence de l’ingénierie de la formation et du design pédagogique et portent sur deux dimensions du dispositif de formation : les objets et les fonctions. Il porte tout d’abord sur les objets dont le degré de granularité, de complexité, caractérise certaines formes de médiatisation caractéristiques. On peut par exemple médiatiser un concept, une classe conceptuelle ou une simple catégorisation par la représentation visuelle d’un des objets appartenant à cette classe. On se situera alors au degré le plus simple du processus de médiatisation : les représentations photographiques ou les dessins à fonction désignative ou référentielle globale sont de cet ordre. Le concepteur peut aussi médiatiser une séquence plus complexe : le fonctionnement du moteur à explosion, celui d’une écluse par exemple. On parle d’une fonction désignative analytique. Un logiciel éducatif, un vidéodisque pourront médiatiser une séquence plus complexe d’apprentissage, voire un cours entier. Enfin, au niveau le plus complexe, c’est l’ensemble du dispositif de formation pédagogique qui sera médiatisé. Mais le processus de médiatisation prendra aussi en charge l’ensemble des fonctions pédagogiques et non pédagogiques d’un dispositif de formation. On rappellera de ce point de vue, les différentes fonctions génériques médiatisées dans le cadre d’un campus virtuel : informer, communiquer, produire, collaborer, gérer, soutenir (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001; Peraya et Deschryver, 2002-2005). Nous y ajoutons les évaluations des apprentissages et des dispositifs, fonctions de plus en plus souvent médiatisées.
Cette caractérisation permet de conserver au terme de médiatisation un sens précis, même s’il se démarque de celui qui lui est attribué dans le domaine francophone là où il est toujours largement utilisé. Quant aux processus de médiation, ils relèveraient d’une perspective cognitive, au sens large. Cette conception se trouve plutôt développée, comme le rappellent Belisle, Bianchi et Jourdan (1999) par ceux qui, psychologues et sémiologues, s'appuient notamment sur une relecture des travaux et de la pensée de Vygotsky et des différents courants qui, à sa suite, n'ont cessé de mettre en évidence l'importance des processus de médiation au sein de l'activité humaine. Pour les psychologues cognitivistes (Pea, 1985; Jonassen, 1992; Lajoie et Derry, 1993; Jonassen, 1998), l’activité de compréhension comme la notion d’outil ou d’artefact cognitif deviennent centrales. Ces derniers comme certains sémiologues s’accordent globalement sur une définition commune que nous empruntons à Norman : un artefact cognitif est « Un outil artificiel conçu pour conserver, exposer et traiter l'information dans le but de satisfaire une fonction représentationnelle » (Norman, 1993, p.18). Mais ils divergent sur le point suivant : pour les sémiologues, il s’agit principalement de montrer comment l’artefact technique et symbolique modifie les processus de production et de communication des connaissances, y compris dans leur dimension relationnelle et pragmatique. On parle dans ce cas de médiation des savoirs6. Une réflexion sur l’apprentissage est présente dans cette démarche, surtout dans le cadre la communication socioéducative, mais elle reste secondaire. Les psychologues, quant à eux, s’intéressent essentiellement à l’impact de l’artefact sur l’apprentissage et sur le développement des processus cognitifs : « Cognitive tools include both mental and computational devices that scaffold the cognitive processes associated with learning or performing » (Derry, 1990; cité par Iiyoshi, Hannafin et Wang, 2005, p.282). L’évolution récente de la sémiotique et le rapprochement de celle-ci avec les sciences cognitives permet aujourd’hui d’envisager une approche commune de type sémiocognitive.
Meunier et Peraya (2004) ont distingué plusieurs formes de médiation : la médiation technologique qui apparaîtrait comme constitutive du dispositif lui-même, tandis que les médiations sensorimotrice, sémiocognitive et relationnelle résulteraient de l’effet du dispositif respectivement sur les processus cognitifs et relationnels de la communication. Ces trois formes de médiation ne sont pas indépendantes l’une de l’autre : elles sont au contraire étroitement imbriquées et «tricotent » des relations fort complexes dont il est difficile de rendre compte de façon exhaustive. C’est bien dans cette complexité que réside pour la plupart des acteurs de projets, ingénieurs ou designers pédagogiques, enseignants, etc. la difficulté à réaliser un dispositif de formation et de communication médiatisées entièrement satisfaisant et globalement efficace. Et pourtant réussir un processus de médiatisation d’un contenu d’enseignement, d’une séquence d’apprentissage ou encore d’un système de formation demande d’avoir une claire conscience des différentes formes de médiation, de leur influence et bien sûr, une maîtrise de leur impact sur l’ensemble du dispositif autant que sur les apprentissages qui s’y réalisent.
La complexité des processus de médiation technologique ou médiation instrumentale a été mise en évidence et modélisée par Rabardel et Samurçay (2001) d’un point de vue différent, celui de la construction par les usagers d’un « instrument » à travers les processus d’instrumentation et d’instrumentalisation. Pour ces auteurs, un artefact ne devient un instrument que dans le cadre d’activité humaine qui met en relation un sujet et un objet (un savoir, une action ou d’autres sujets) telle qu’illustré à la Figure 1. Un instrument se compose de deux structures : d’une part les structures psychologiques qui organisent l’activité et d’autre part, les structures artefactuelles, autrement dit les objets matériels mais aussi symboliques (les codes, les signes, les représentations) utilisés pour accomplir l’activité. La médiation instrumentale englobe donc pour ces auteurs certains aspects qui relèvent pour nous des médiations sémiocognitive et technologique. Enfin, ces auteurs distinguent encore quatre types de médiations instrumentales : la médiation épistémique orientée vers la connaissance de l’objet; la médiation praxéologique orientée vers l’action; la médiation réflexive orientée vers le sujet lui-même et la médiation relationnelle qui se réalise entre les sujets. Dans le but d’articuler ces deux approches, proposons de retenir les formes suivantes de médiation : sémiocognitive (elle correspond à la médiation épistémique chez Rabardel et Samurçay), sensorimotrice (elle porte sur les comportements gestuels et moteurs induits par l’instrument), praxéologique (elle porte sur les conditions de réalisation de l’action), relationnelle (commune aux deux modèles, elle porte sur la relation entre les sujets) et réflexive (elle porte sur le sujet lui-même et implique donc une dimension « méta » fondamentale pour les processus d’apprentissage). La Figure 1 propose une représentation graphique de cette modélisation. On remarquera que la médiation technologique identifiée par Meunier et Peraya a disparu en tant que telle du modèle, en effet suivant en cela Rabardel et Samurçay, nous considérons qu’elle est constitutive de l’« instrument ».

Figure 1 : Une représentation de la médiation instrumentale7
Distance et technologies ont profondément modifié les modes de médiation et de médiatisation des dispositifs de formation présentiels. Nous proposerons deux exemples pour illustrer notre propos. Grâce aux dispositifs technologiques actuels – campus numériques, environnements virtuels de travail, etc. – la médiatisation peut porter aujourd’hui sur des objets plus complexes qu’autrefois comme des dispositifs de formation complets, incluant toutes les fonctions pédagogiques et non pédagogiques d’un cours, d’un programme de formation, d’une faculté ou encore d’une université. Du point de vue de la médiation qu’il suffise de rappeler les caractéristiques discursives propres à la communication en ligne : une certaine liberté de ton, une relation désinhibée sans doute par l’absence de toute corporéité, autant de facteurs qui participent plus que vraisemblablement à la constitution pragmatique du lien social au sein de forums pédagogiques (notamment, Develotte, 2005).
Hybridation et innovation
Poursuivons notre tentative de définition des dispositifs hybrides. La perspective adoptée par d’autres auteurs (Depover, Quintin, Braun et al., 2003) considérant les dispositifs hybrides comme une des modalités permettant d’ancrer l’innovation (les méthodes et techniques de l’enseignement à distance) sur des pratiques anciennes (la présence), nous semble particulièrement féconde : « Cette approche par hybridation correspond également à un souci d’accompagner l’innovation en assurant un ancrage par rapport aux pratiques habituelles. Dans cette perspective, nous prévoyons à l’avenir d’accentuer les aspects pris en charge à distance en diminuant la présence au cours […] » (p.45)
Le dispositif hybride caractériserait alors un moment dans l’histoire d’une innovation pédagogique. Cette perspective correspond à certaines de nos expériences empiriques. Dans cette perspective, le sens de l’articulation entre l’innovation pédagogique et l’hybridation serait à renverser, l’hybridation étant alors comprise comme une conséquence de l’innovation. Le véritable point d’entrée pour observer les dispositifs hybrides serait donc l’innovation de type technopédagogique.8 Dès lors, nous pourrions concevoir l’hybridation comme une caractéristique conséquente du processus d’introduction de l’innovation et pas seulement comme une caractéristique des dispositifs eux-mêmes.
Comprendre l’hybridation comme un moment dans un processus d’innovation conduit naturellement d’une part, à situer ce moment en caractérisant notamment la place du dispositif par rapport aux pratiques caractéristiques de l’institution dans laquelle il prend place et, d’autre part, à décrire le processus d’innovation lui-même : que s’est-il passé dans l’histoire du dispositif ?
Dans le cadre de cet article, ayant pour principal objet la définition des dispositifs hybrides, nous nous consacrons principalement à la première démarche : situer le dispositif hybride par rapport à l’institution laissant la seconde à des travaux à venir.
A cet égard, au cours de travaux antérieurs (Bonamy, Charlier et Saunders, 2002), nous avons proposé une manière de situer des dispositifs innovants relativement à leur position dans une institution d’enseignement ou de formation.
« L’enclave » : correspond à de nombreux cas de dispositifs développant des pratiques en rupture avec l’institution existante. Le statut innovant ou particulier du dispositif (par exemple : un dispositif de formation continuée) lui permet d’exister sans pour autant affecter d’une quelconque manière les pratiques de l’institution hôte. Une enclave existe et se maintient en lien avec ses promoteurs jouissant d’une certaine liberté d’initiative dans l’institution et d’expériences de nouvelles pratiques acquises en dehors de celle-ci. Une enclave peut rester dans cette position de la volonté même de ses promoteurs plus intéressés par une action pédagogique qu’institutionnelle ou de celle de l’institution n’ayant pas les ressources ou la volonté pour tirer parti de la nouvelle pratique ;
« La tête de pont » : correspond à un dispositif en rupture avec les pratiques traditionnelles affectant cependant pour certains de ses aspects les pratiques de l’institution hôte. Ainsi, un des premiers effets observés est souvent l’adoption par d’autres dispositifs de la même institution d’un même environnement technopédagogique. Dans ce cas, l’institution développe des ressources (formation, centre de ressource) lui permettant de tirer parti de la pratique nouvelle en lien avec une stratégie institutionnelle ;
« La pratique ancrée » : correspond au dispositif totalement intégré dans l’institution pour lesquelles les pratiques sont ou sont devenues les pratiques dominantes.
Proposition de définition
En guise de synthèse à notre démarche de clarification conceptuelle, nous proposons la définition suivante : « Un dispositif de formation hybride se caractérise par la présence dans un dispositif de formation de dimensions innovantes liées à la mise à distance. Le dispositif hybride, parce qu’il suppose l’utilisation d’un environnement technopédagogique, repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation. »
Reprenons brièvement les principaux éléments de cette définition pour clarifier notre propos.
Le terme « présence » est utilisé dans cette définition en référence au fait que l’on décrit un dispositif hybride à un moment de son histoire et que ce que l’on observe représente un moment dans un processus d’hybridation pouvant être considéré comme une innovation. La référence au concept d’innovation suppose qu’il y ait introduction intentionnelle de changements dans le dispositif en vue de l’améliorer (Fullan, 1996). De là découle une position particulière d’un dispositif relativement aux pratiques courantes d’une institution : enclave, tête de pont, pratique ancrée.
Les dimensions innovantes caractéristiques de la mise à distance du processus d’enseignement-apprentissage sont, selon nous, une articulation de moments de formation en présentiel et à distance (le ratio de la charge de travail en présence et à distance), l’usage d’un environnement technopédagogique ainsi que la mise en œuvre d’un accompagnement humain. L’usage de l’environnement technopédagogique repose sur des formes complexes de médiatisation (des objets et fonctions du dispositif de formation) et de médiation (nous en avons retenues cinq, voir figure 1).
Une petite précision quant à la question de l’accompagnement humain. Il est évident que tout dispositif de formation suppose la présence humaine. Cependant, comme nous l’avons évoqué au début de la partie consacrée aux dispositifs médiatisés, la mise à distance nous conduit à nous tourner vers les travaux réalisés en formation à distance sur le suivi de l’apprenant. Quand nous parlons d’accompagnement, c’est en référence aux travaux sur le support à l’apprentissage et plus particulièrement l’accompagnement humain (par des tuteurs / formateurs et/ou des pairs) pouvant être : cognitif, affectif et métacognitif (Dionne, Mercier, Deschênes et al., 1999). Il est évident également que cet accompagnement sera très différent d’un dispositif à l’autre en fonction de l’approche pédagogique privilégiée. En effet, un dispositif privilégie un mode d’approche soit transmissive, individualiste ou collaborative (Charlier, Bonamy et Saunders, 2003). Chacune de ces approches se caractérise par certaines options des formateurs et concepteurs d’un dispositif concernant : le statut accordé aux connaissances, la représentation de l’apprentissage, la représentation du but de l’éducation, les choix laissés aux apprenants, la structure du cours, les critères mobilisés pour évaluer l’efficacité des apprentissages, le rôle accordé aux apprenants et le rôle du tuteur. En particulier, le statut accordé aux connaissances et aux rôles des apprenants dans leur construction paraît particulièrement déterminant. L’approche transmissive considère la connaissance comme une entité externe aux sujets et à leurs expériences. Dans ce cas la connaissance peut être transmise. L’approche individualiste, quant à elle, considère que la connaissance se construit dans l’interaction de l’apprenant avec l’environnement. Enfin, l’approche collaborative considère que la connaissance est construite au cours des interactions entre des individus partageant un projet commun. L’adoption d’une approche privilégiée influence, bien entendu, la conception des scénarios pédagogiques9.
Enfin, cette définition contient un certain nombre de dimensions que nous pouvons organiser en vue de caractériser les dispositifs hybrides. Ainsi, dans la suite de ce chapitre, nous élaborons une grille d’analyse et illustrons sa mise en œuvre par l’évocation de deux de nos dispositifs de formation, un cours de bachelor et une formation de 3e cycle.
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