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des choix scientifiques et technologiques
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ÉTUDE DE FAISABILITÉ DE LA SAISINE SUR
« Les enjeux économiques et environnementaux des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche »
transmise le 11 février 2015 par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale
et présentée par
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député, et Mme Catherine PROCACCIA, sénateur SOMMAIRE
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Pages
SAISINE
introduction
L’OPECST s’intéresse de près aux biotechnologies depuis le début des années 1990, avec la transposition des premières directives européennes.
Le premier rapport a été présenté en décembre 1990 par M. Daniel Chevallier, député, sur « Les applications des biotechnologies à l’agriculture et à l’industrie agroalimentaire », dans le cadre de la transposition des premières directives européennes. En juillet 1998, un autre rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut intitulé « De la connaissance des gènes à leur utilisation – Première partie : l’utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture et l’alimentation » faisait le point sur la polémique naissante sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). C’est dans ce cadre que l’OPECST a organisé la première conférence de citoyens en France.
Les deux derniers rapports sont ceux présentés en janvier 2005 par M. Jean-Yves Le Déaut, député, sur « La place des biotechnologies en France et en Europe » et par M Bruno Sido, sénateur, et M. Jean-Yves Le Déaut sur « Les tests d’intoxication des rats : un débat scientifique sur les OGM est-il possible ? », en décembre 2012, en conclusion d’une audition publique tenue le 19 novembre 2012.
Avec les réalisations d’ingénierie génomique à partir des nucléases, au début des années 2000, les biotechnologies ont fait des progrès immenses. Ces technologies de modification ciblée de génome (genome editing) ont constitué une avancée majeure des biotechnologies. Parmi elles, la technologie CRISPR-Cas9, au-delà du débat en cours sur la paternité de la découverte, a fait l’objet en 2012 d’une première publication dans la revue scientifique américaine Science de Mmes Emmanuelle Charpentier (institut Max Planck à Berlin) et Jennifer Doubna (université de Californie à Berkeley).
CRISPR-Cas9 est une appellation un peu barbare qui regroupe le nom d’une grosse protéine, Cas9, et un acronyme un peu abscons, CRISPR (« Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats », pour « courtes séquences palindromiques répétées, groupées et régulièrement espacées »). Les séquences CRISPR sont connues depuis longtemps, mais leur rôle en tant que mécanisme d’immunisation des bactéries contre les phages, leur virus, n’a été compris que récemment. Face à l’intrusion d’un phage, une bactérie non seulement découpe son ADN, ce qui le détruit, mais encore recopie la séquence découpée dans son propre ADN, pour en garder le souvenir lors d’une prochaine agression. L’association de la protéine Cas9, qui joue le rôle de ciseaux, et d’une petite séquence d’ARN, qui indique l’endroit exact où intervenir, permet de recréer un mécanisme qui se ressemble à la fonction « couper-coller » d’un logiciel de traitement de texte. Il devient ainsi très simple de modifier l’ADN d’un organisme vivant, de façon ciblée gène par gène.
CRISPR-Cas9 représente une véritable rupture et constitue une découverte majeure, de par son efficacité, son universalité sur tous les types d’organismes vivants, sa facilité d’usage, sa rapidité de mise en œuvre et son coût modéré.
Nous sommes dans la même situation que lors de la conférence d’Asilomar (Californie) tenue en 1974, au début du développement du génie génétique, avec des scientifiques qui s’interrogent et d’autres qui veulent continuer leurs recherches avant de s’interroger… ou d’être empêchés de continuer ces recherches.
La technique a été tellement vite qu'il est essentiel que le Parlement s'en saisisse dès maintenant.
Les champs d’application des nouvelles technologies de modification ciblée du génome sont très prometteuses en thérapie génique, pour l’homme, ou en amélioration d’espèces végétales ou animales, pour l’alimentation, mais aussi dans d’autres domaines comme les matériaux, la chimie ou l’énergie. Le traitement de maladies jusqu’alors incurables deviendra possible. Les opérations de sélection variétale qui prenaient jusqu’à présent des décennies pourront bientôt être réalisées en quelques mois seulement. Les interrogations sur les risques éventuels de ces technologies ne manquent pas bien sûr de surgir, d’un point de vue économique, environnemental, sanitaire ou éthique.
La présente étude de faisabilité exposera (I) les nouvelles biotechnologies, (II) les questionnements qu’elles suscitent et (III) les contours que pourraient revêtir l’étude si l’Office en acceptait la réalisation.
I. L’essor des nouvelles biotechnologies
A. Les techniques de modification ciblée de génome depuis le début des années 2000
Introduire dans des organismes vivants des nouveaux gènes n’est pas récent. Un grand virage a été fait dans les années 1980 avec la manipulation du génome des cellules, la possibilité d’insertion ou de délétion d’éléments dans le génome, au moyen d’une technique dénommée « recombinaison homologue », mais qui restait très compliquée à faire. Les techniques d’insertion d’un gène choisi à un endroit choisi ont connu des débuts très longs, car la fréquence de ces événements était très faible.
Puis sont arrivés au début des années 2000 un ensemble d’enzymes – les nucléases –, qui ont permis d’améliorer la manipulation de génome. Ces enzymes, qui sont décrites ci-après, agissent comme des ciseaux, pour couper et faire entrer, sortir ou remplacer un nouveau gène à un endroit précis du génome.
1. La typologie des biotechnologies
Le comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a, dans un avis rendu le 16 janvier 2016, effectué une typologie des biotechnologies (1).
– Nouvelles techniques de modifications ciblées du génome
* Nucléases dirigées (SDN (2) : ZFN (3), MN (4), TALEN (5), CRISPR (6)/Cas)
* Mutagenèse dirigée par oligonucléotides (ODM (7), RTDS (8),...)
– Techniques exploitant les mécanismes épigénétiques
* Modulation de l'expression des gènes par RdDM (9) (dans une seconde étape de la réflexion, le conseil scientifique pourra considérer également d’autres techniques exploitant les mécanismes épigénétiques et qui pourraient à l'avenir être utilisées en amélioration des plantes.)
– Prise en considération d'éléments annexes à l'utilisation de techniques de modification génétique quelles qu'elles soient
* Contextes particuliers d'utilisation de techniques de modification génétique
. Agroinfiltration
. Greffe d'un scion non-GM sur un porte-greffe GM ou d'un scion GM sur un porte-greffe non-GM
* Nouveaux concepts associés à la nature de la séquence modifiée
. Cisgenèse / Intragenèse
* Considération de la descendance d'individus modifiés desquels la modification génétique a été éliminée par ségrégation
. Ségrégants négatifs, produits dans le cadre de stratégies de sélection innovantes (par exemple : Reverse breeding, diverses méthodes d'accelerated breeding, Seed Production Technology...)
Une fiche supplémentaire de l’avis du HCB est dédiée à la transgénèse « classique » pour comparaison.
On pourrait ajouter à la liste du HCB deux techniques nouvelles prometteuses confirmées et largement utilisées depuis des années dans le domaine des biotechnologies :
– la PCR, réaction de polymérisation en chaîne (Polymerase Chain Reaction), qui permet d’amplifier des parties du génome ;
– la GFP (Green Fluorescent Protein), protéine fluorescente verte ayant la propriété d'émettre une fluorescence de couleur verte.
2. Les techniques de modification ciblée du génome
Parmi ces techniques, celles de modification ciblée des génomes sont classées en trois catégories par la Commission européenne :
– SDN1 (Site-Directed Nuclease 1) : inactivation d’un gène par coupure ciblée et réparation défectueuse (délétion ou insertion de quelques bases) ;
– SDN2 (Site-Directed Nuclease 2) : modification ciblée de quelques nucléotides dans un gène donné (gene editing) ;
– SDN3 (Site-Directed Nuclease 3) : insertion ciblée d’un ADN étranger à un site donné (landing pad).
La subtilité de ces trois méthodes est de pouvoir couper l’ADN à un endroit très précis. On sait où couper grâce à la connaissance du génome complet. Par exemple, quand on connait la maladie que l’on veut soigner, on sait quel nucléotide changer. Les méthodes précédentes étaient beaucoup plus rudimentaires, les mutations provoquées n’étaient pas très précises et on sélectionnait ensuite la mutation souhaitée, parmi un grand nombre d’occurrences.
a. SDN1
La technique SDN1 s’apparente à la mutagénèse ciblée : on coupe l’ADN qui va se recoller tout seul, en faisant disparaître le gène ciblé et donc en inactivant sa fonction.
L’application principale en physiologie (1) est la recherche. Les valorisations de ce type d’approche en médecine humaine permettent, par exemple, d’empêcher une réinfestation par le HIV. On peut prélever la moelle osseuse (cellules souches) d’un patient, la modifier en désactivant un de ses gènes qui est un récepteur du virus, puis la réadministrer. Les lymphocytes issus de cette cellule couche de moelle naîtront avec ce gène inactivé, donc ne seront plus infectables par le virus. Le réservoir viral reste, mais il n’infecte plus le patient. Un essai clinique est en cours aux États-Unis et les premiers résultats sont intéressants. Quand les essais seront concluants, on pourra alléger le traitement de ces patients.
Pour les plantes, SDN1 permet d’inactiver un gène, par exemple pour diminuer la quantité de lignine dans les bois, pour mieux extraire la pâte à papier (ce qui était fait à Orléans avec les peupliers transgéniques).
Les demandes de recherche en milieu confiné doivent être autorisées par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Les outils pour faire ces SDN sont divers. Les micro-injections de protéines sont peu utilisés car peu efficaces. Les outils les plus efficaces sont les vecteurs soit agrobacterium soit pour les cellules animales des vecteurs viraux.
b. SDN2
Le principe de l’approche SDN2 est qu’une enzyme coupe à un endroit précis de l’ADN. On rajoute ensuite un fragment d’ADN (qu’on a synthétisé ou isolé d’une autre plante), avec une petite différence (une, deux ou trois nucléotides) de séquence par rapport à la séquence initiale. Cet ADN servira de modèle pour introduire un élément de variabilité dans la région où on a produit la cassure. Les mécanismes de recombinaison font que, à l’endroit de la coupure, on réintroduit la séquence d’ADN que l’on a apportée. Avec SDN2, l’ADN apporté à l’endroit de la coupure change (corrige) la séquence. On fabrique ainsi un variant, qui aurait pu arriver naturellement, sans apport d’ADN étranger.
SDN2 n’est pas considéré comme une transgénèse. La transgénèse est définie par l’apport d’un ADN recombinant. Cet ADN sert de modèle pour changer la séquence du génome. Il n’y a donc pas d’intégration d’ADN par cette technique. Les fragments d’ADN apportés (nucléotides) ne peuvent convertir que le gène homologue à cette séquence. Si une mutation a provoqué une maladie génétique, on veut corriger la séquence d’ADN pour recombiner et réécrire le patrimoine génétique. Actuellement, la recombinaison est assez difficile : elle impose de faire ensuite une sélection ; on n’a pas actuellement, par exemple, l’outil pour l’injecter dans un muscle et corriger les cellules du muscle, on est obligé de le faire dans les cellules souches, pour ensuite passer par une étape de sélection.
Les applications sont colossales. En médecine, c’est évidemment la thérapie génique. Pour corriger une maladie comme la drépanocytose (1) (ou autres β-thalassémie (2)), qui est une maladie des globules rouges, on utilise un vecteur qui exprime le gène de la βglobine. C’est faisable, un essai pionnier se déroule actuellement en France, avec une équipe dirigée par M. Philippe Leboulch au CEA, après un dossier déposé en 2006 auprès de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), avant la création du HCB. Cette technique est complexe car elle nécessite de produire un grand nombre de vecteur, avec un risque théorique possible – minime mais risque quand même – de mutagénèse insertionnelle.
Pour la thérapie génique, on savait depuis plusieurs années faire les vecteurs apportant le gène non muté en plus, pour exprimer la bonne chaine. Pour corriger la maladie en changeant les nucléotides, les premiers essais avec les « doigts de zinc » (zinc finger) (3) datent du début des années 2010. L’outil Cas9, en ciblant le codon GAG qui code la « valine », qui a muté en GTG qui provoque l’anémie falciforme, permet de le couper et de revenir avec un ADN en rétablissant le bon codon au bon endroit sur le bon chromosome. On prélève les cellules souches hématopoïétique.
c. SDN3
Avec le SDN3, on fait une coupure et on rajoute de l’ADN à l’endroit où l’on a coupé. Par rapport à SDN2, les différences sont le fragment d’ADN rajouté et l’objectif recherché. Le gène réintroduit est cloné ou synthétisé, après avoir commandé et réassemblé les oligonucléotides chevauchants.
Les trois techniques SDN peuvent être combinées. Le gène réintroduit peut être un gène qui existe déjà dans la même plante ou un gène d’une autre espèce. Pour augmenter les rendements de production d’un acide aminé ou d’un lipide chez une plante, on identifie chez cette plante le gène responsable de la synthèse et on le duplique, pour que la synthèse soit plus efficace.
On peut détecter seulement quand il s’agit d’un gène étranger à la plante. Quand il s’agit d’un gène de la plante elle-même, on ne peut dire si c’est une duplication naturelle ou c’est la technique CRISPR-Cas9. Dans la grande variété des plantes on trouve presque tous les gènes.
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