2. L’agro-alimentaire
a. L’accélération de la création de nouvelles espèces végétales et animales
Les avantages de CRISPR-Cas9 par rapport à la mutagénèse sont la précision et la rapidité. Tous les semenciers travaillent sur ces techniques. Cela ne va pas bouleverser la sélection variétale telle qu’elle est faite aujourd’hui. Mais si des caractères sont vraiment importants, notamment de résistance à des maladies, la nouvelle technique permet de les introduire beaucoup plus rapidement. Ceux qui ne pourront en disposer seront pénalisés dans la concurrence.
Le rapport « Agriculture – Innovation 2025 » a été présenté le 22 octobre 2015 par M. François Houiller, président de l’INRA, M. Jean-Marc Bournigal, président de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), M. Philippe Lecouvey, directeur général du réseau des instituts des filières animales et végétales (ACTA), et M. Pierre Pringuet, président du conseil d’administration d’AgroParisTech à M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, M. Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numérique.
Ce rapport estime que la génétique et les biotechnologies font « l’objet d’une forte concurrence internationale. Or, la France dispose d’un très haut niveau de compétences en recherche, mais a pris du retard dans l’expérimentation et la diffusion. » Il y a lieu de s’interroger sur la cause de ce retard, en particulier le lien avec le vif débat sur les OGM. Le rapport précise que : « Les projets recouvrent la sélection génomique végétale et animale, la maîtrise des biotechnologies, l’exploitation de la diversité métabolique végétale. Cet axe inclut également un volet réglementaire pour préciser les procédures d’homologation des variétés dérivées des biotechnologies (dans le cadre national, en lien avec le Haut Conseil des biotechnologies, et européen). »
Le rapport propose de poursuivre et d’amplifier les projets du programme des investissements d’avenir (PIA) en sélection génomique, de renforcer les infrastructures clés, de créer des data centers et d’affirmer dans le cadre européen une ambition internationale.
Le rapport traite dans son axe n° 5 de la génétique et des biotechnologies. Le rapport propose quatre projets visant à :
– développer la sélection génomique animale et végétale ;
– assurer la maîtrise des nouvelles technologies ;
– relever l’enjeu industriel des métabolites secondaires, leur diversification et leur développement ;
– faire évoluer les procédures et protocoles pour favoriser le progrès génétique et son adaptation.
Pour l’INRA, les biotechnologies ne sont qu’un moyen d’action parmi d’autres : agroécologie, bioéconomie, agriculture numérique, robotique, biocontrôle, innovation ouverte, économie agricole et formation. Aucun de ces outils ne règlera seul tous les problèmes que l’on peut se poser en agriculture à l’horizon 2025. Mais, pour l’INRA, l’idée de ne pas utiliser les biotechnologies serait une erreur. En agriculture, il faut prendre en compte les systèmes de production et de transformation dans leur ensemble et mettre en place des dispositifs qui permettent de dialoguer avec la société et les parties prenantes.
Pour l’INRA toujours, le levier génétique est un des leviers majeurs permettant de s’adapter au changement climatique (tolérance à la sécheresse…), pour réduire les intrants, avec des plantes qui ont moins besoin de pesticides, et pour faire des animaux plus robustes et moins sensibles aux maladies.
La situation actuelle en France et en Europe, où les biotechnologies sont mal acceptées socialement, a amené les entreprises concernées à se désengager de ces technologies, comme Limagrain. Le projet Genius (2012-2019) (1), financé sur le programme des investissements d’avenir (PIA) à hauteur de 10 millions d’euros, associe dix partenaires publics dans les domaines des sciences de la vie et des sciences sociales et cinq entreprises du secteur privé spécialisées dans la création variétale et/ou les biotechnologies. Il s’organise autour de cinq groupes de travail : la gestion de projet avec un dialogue et une méthode de travail participative, l’insertion précise des gènes, la modification et le remplacement des gènes, le transfert facilité des gènes et les impacts socioéconomiques.
Le projet Genius met en place des outils qui seront testés pour obtenir des plantes résistantes à des virus ou des parasites, tolérantes à la salinité présente dans certains sols, tolérantes à la sécheresse ou ayant un meilleur rendement. Il concerne neuf espèces cultivées qui sont le blé, le maïs, le riz, le colza, la tomate, la pomme de terre, le peuplier, le pommier et le rosier. Même si la France fait aujourd’hui le choix de ne pas cultiver de plantes génétiquement modifiées en plein champ, leur culture en environnement confiné (serres fermées) reste un outil indispensable en recherche fondamentale. La France pourrait ainsi disposer d’outils performants d’obtention de plantes génétiquement modifiées pour continuer à faire des découvertes qui seront les innovations de demain, soutenir la compétitivité des semenciers français sur le marché mondial et avoir une capacité d’expertise scientifique publique dans le domaine du génie génétique.
Il est regrettable de constater que trois établissements travaillant sur le projet Genius ont été envahis par des opposants aux OGM à Avignon, Colmar et Lyon. Les rapporteurs estiment qu’il s’agit d’agressions caractérisées. Ils notent que l’aboutissement d’une démarche de recherche telle que Genius nécessitera de poser, à terme, la question d’une infrastructure aux champs qui permette de tester la partie végétale.
Alors qu’à la fin des années 1990 on comptait plus de 800 essais en champ de cultures d’OGM en France, le dernier essai en plein champ s’est terminé en 2013, avec l’arrêt par l’INRA de ses cultures de peupliers d’Orléans, à la suite de menaces et d’intrusions. Cet état de fait résulte de l’absence de décision politique relative à la prolongation de l’autorisation de culture en plein champ.
L’enjeu des nouvelles technologies de modification ciblée du génome est d’accélérer considérablement le développement des nouvelles espèces quand on connaîtra les gènes en cause. Passer à côté de ces nouvelles technologies exposerait la France et l’Europe au risque concurrentiel en provenance des autres continents, et donc à un affaiblissement de notre agriculture.
b. Exemples d’application
Le feu bactérien chez le pommier est une maladie des vergers. Le gène qui est dans toutes les variétés de pommiers cultivés a un allèle de sensibilité à cette bactérie, alors que les pommiers sauvages ont un allèle de résistance. Quand, il y a des centaines d’années, on a fait des sélections de pommiers, de façon très empirique, pour la qualité, la grosseur, la saveur ou la perte de l’astringence, on ne s’est pas rendu compte que l’on avait aussi perdu l’allèle de résistance à cette maladie. Aujourd’hui, un feu bactérien dans un grand verger oblige à tout arracher, et même quelques fois à côté, car dans le milieu ouvert qu’est un champ, la maladie bactérienne se transmet.
Pour rendre les pommiers résistants, trois solutions sont possibles.
– On peut d’abord recroiser toutes les variétés de pommiers avec des pommiers résistants et on resélectionne. Sachant que l’on a une floraison par an et que cela nécessite 15 à 20 croisements, cela représente donc 15 à 20 ans de travail, et ce pour chaque variété de pomme. Les premiers essais ont été effectués par transgénèse par une équipe allemande et suisse, qui a isolé le gène du pommier sauvage et l’a mis dans un transgène, pour faire des pommiers transgéniques qui ont un gène de résistance. La publication date de 2014, les essais sont actuellement effectués en milieu confiné (serre) et plusieurs demandes d’autorisation en milieu ouvert sont en cours. Une équipe française de l’INRA d’Anger travaillait avec les équipes suisses et allemandes, mais a arrêté, craignant des intrusions-destructions dans leurs locaux.
– La deuxième solution est de venir changer l’allèle du pommier sensible à partir du pommier résistant. Cela peut être fait facilement avec les techniques SDN2 si l’on arrive à introduire l’ADN. Cette solution est plus rapide que la précédente solution obtenue par croisements.
SDN2 permet donc de corriger une maladie génétique ou un gène de sensibilité. On pourrait également imaginer d’augmenter la production d’amidon par le maïs en changeant un gène. L’objectif de SDN2 est d’exploiter la biodiversité pour l’introduire rapidement dans les variétés cultivées. Une maladie bactérienne ou un champignon qui se développerait de façon importante sur les blés pourrait être corrigé très rapidement par l’introduction d’un gène de résistance. On peut faire de l’adaptation. Toute une série de traits agronomiques seraient intéressants à utiliser car les gènes existent dans les plantes sauvages, par exemple les allèles de tolérance à la sècheresse ou au stress hydrique.
– Avec une troisième solution SDN3, on utilise les zones identiques sur le génome que l’on veut modifier, on introduit un fragment d’ADN qui n’existe pas dans cet organisme. L’intérêt est d’apporter une séquence à un endroit particulier. Il s’agit d’une transgénèse ciblée, à la différence des transgénèses habituelles, par agrobacterium ou bombardement (maïs Bt Mon 810 (1)). On peut synthétiser un gène.
Les trois techniques peuvent se combiner. Si l’on veut augmenter les rendements de production d’un acide aminé, d’un lipide chez la plante, on identifie le gène responsable, on le doublonne pour que la synthèse soit plus efficace.
D’autres exemples sont possibles :
– la vigne et le mildiou et l’oïdium : à la suite de recherches commencées il y a 35 ans pour explorer la biodiversité, l’INRA a retrouvé une variété de vigne sauvage muscadine résistante à ces maladies fongiques. Après 20 années de croisements, la résistance a été incorporée à un cépage. Les producteurs de cognac et de champagne sont maintenant demandeurs d’une telle solution pour leurs propres cépages.
– les pommes et la tavelure : à la suite de 40 années de croisements, l’INRA a réussi à proposer à la culture le pommier ariane résistant à la tavelure, un autre champignon. Cette variété permet de réduire jusqu'à 50 % le nombre de traitements phytosanitaires habituellement réalisés sur cet arbre très sensible aux parasites. De fait, l'aventure avait commencé il y a une soixantaine d'années aux États-Unis, lorsque des chercheurs de l'université de l'Illinois remarquent qu'une espèce de pommier sauvage, Malus floribonda, originaire d'Asie centrale, présente d'étonnantes capacités de résistance à la tavelure.
3. Les autres domaines d’application
Comme pour les précédentes générations, les domaines d’application des nouvelles biotechnologies vont au-delà de la médecine et de l’alimentation.
On peut citer la chimie, les matériaux, les procédés industriels, l’énergie ou encore l’environnement.
Le rapport s’efforcera d’en préciser les potentialités.
II. Les questions qui se posent
La présente étude de faisabilité liste ci-après les questions qui se posent, étant donné que d'autres problématiques pourraient surgir au fur et à mesure de l'avancement de l’étude.
A. Le périmètre de l’étude
Il est proposé d’étendre le périmètre de l’étude aux aspects sanitaires et éthiques, avec le titre suivant : « Les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche ».
L’étude examinera bien sûr toute les biotechnologies et de leurs instances de régulation respectives, étant donné que l’accent sera mis sur la technique CRISPR-Cas9, déjà la plus utilisée et appelée à un développement considérable.
B. La recherche et l’innovation
La recherche française a été très importante au début, en nombre de publications, sur le mécanisme de défense de la bactérie (2004-2007) et le fonctionnement de CRISPR-Cas9 dans son environnement naturel, bactérie du lait. Force est de constater qu’elle l’est beaucoup moins au niveau des applications.
La co-inventrice française de CRISPR-Cas9, Emmanuelle Charpentier, après une thèse à l’Institut Pasteur, après un post-doc aux États-Unis, qui constitue un parcours obligé dans ce domaine de recherche, a tenté vainement de revenir en France mais a été rejetée par l’Institut Pasteur, l’INRA, le CNRS et l’INSERM. Elle a alors dû s’expatrier en Suède et en Allemagne…
Les chercheurs estiment qu’il faut préserver le droit à la recherche dans cette technologie CRISPR-Cas9, ne serait-ce que pour l’amélioration de la connaissance scientifique. Un moratoire généralisé serait dommageable et inopérant. Le système CRISPR-Cas9 est devenu incontournable partout dans le monde. Si on empêche son utilisation en France, on fait prendre un retard considérable à la recherche française.
Par ailleurs, nous entendons plus les opposants aux biotechnologies que les chercheurs eux-mêmes qui les inventent. Il faut que les chercheurs s’expriment. Les scientifiques doivent faire plus d’efforts et aller à la rencontre de la société, pour expliquer ce qui se passe, donner aux citoyens l’opportunité de comprendre les enjeux de la complexité du vivant.
C. Les Enjeux économiques
Les entreprises de biotechnologies sont présentes dans plusieurs secteurs : agriculture (semences végétales, animaux…), santé (thérapie génique), sans parler de l’énergie (biocarburants), de l’environnement (captation de CO2) ou des procédés industriels (sacs en plastique biodégradable…).
La compétitivité de l’agriculture française, dans un contexte de concurrence européenne et mondiale, est directement dépendante de l’utilisation des biotechnologies.
On peut prendre l’exemple de la coopérative française Limagrain, quatrième semencier mondial, avec 2 milliards d’euro de chiffre d’affaires, qui consacre 15 % de ce chiffre d’affaires à la R&D. En Europe, Limagrain revendique aujourd'hui le premier rang dans le blé et le quatrième dans le maïs, mais la domination de Monsanto sur le marché des organismes génétiquement modifiés (OGM) freine son essor au-delà des frontières de l'Union. Au niveau mondial, il n'est que sixième dans le maïs. Aujourd'hui, comme la plupart des semenciers, la coopérative doit payer des royalties à l'américain pour utiliser la technologie de résistance au Roundup, l'herbicide le plus vendu au monde, en attendant de développer pour les marchés mondiaux ses propres traits OGM (résistance aux herbicides par exemple). Limagrain finance ainsi la R&D de Monsanto…
La Commission européenne finalise actuellement une consultation des Etats membres, afin de décider si les nouvelles biotechnologies sont considérées comme des OGM au sens de la directive n° 2001/18. L’attente du résultat de cette consultation entraîne une incertitude juridique qui gêne les industriels dans leurs efforts de recherche et dans leurs investissements, dans un contexte de grande fragilité dû à la concurrence internationale.
Dans le domaine médical, les enjeux financiers sont également énormes, des centaines de millions d’euros sont investis, plus d’une dizaine d’entreprises de biotechnologies ont déjà mis sur le marché des produits ou services dérivés de CRISPR-Cas9.
D. La Propriété intellectuelle
CRISPR-Cas9 est déjà l’objet d’une bataille de brevets de part et d’autre de l’Atlantique. Les enjeux économiques sont considérables. Certaines entreprises emploient plus d’avocats que de chercheurs. On peut citer l’exemple de Sangamo BioSciences, une société américaine implantée à Richmond. Cette société biopharmaceutique de stade clinique est impliquée dans la thérapie génique et recherche les moyens de commercialisation des nucléases à doigt de zinc qui modifient l'ADN d'une cellule à un emplacement exact, corrigeant ainsi un gène spécifique. Les sociétés de ce type déposent des brevets, les publient, laissent faire des recherches par les autres laboratoires, puis revendiquent la propriété des résultats.
La question des brevets versus les conventions d’obtention végétale (COV) devra être examinée.
Il en est de même de la question de la brevetabilité du vivant. Deux cas doivent être distingués. Si on utilise un variant naturel (par exemple avec un allèle de résistance), on prend quelque chose qui existe dans la nature pour le mettre à un autre endroit, il n’y a donc pas d’invention, il ne semble donc pas y avoir de brevetabilité. Si, par contre, on prend un gène qui code une enzyme et qu’on veut modifier sa fonction pour que, par exemple, la plante fabrique un hydrocarbure, on effectue in vitro un grand nombre de mutations au hasard dans la protéine. Les nouvelles fonctions de la protéine ainsi créée sont testées et validées. Ensuite on réintroduit ces mutations dans le gène de la plante. La plante aura une nouvelle fonction, et devrait donc être brevetable.
L’introduction de cette nouvelle fonction est également possible avec SDN2, en introduisant une dizaine de mutations dans une plante. La technique en elle-même n’est pas brevetable, mais la plante avec une nouvelle fonction qui est ainsi créée devrait être brevetable. L’Office européen des brevets (OEB) semble accepter un peu trop facilement des brevets sur ce qui s’apparente plus à la sélection de variants (par exemple le chou à longue tige) qu’à des inventions.
E. OGM or not OGM ?
La question se pose de savoir si les organismes obtenus par les nouvelles techniques de modifications ciblées des gènes rentrent ou non dans le cadre de la définition des OGM et doivent ou non être régulés comme tels. Des disparités réglementaires pourraient apparaître entre les États-Unis et l’Europe.
La Commission européenne a entamé un travail depuis 2008 sur ce qu’elle appelle les « NBT » (New Breeding Techniques, nouvelles méthodes de sélection). Elle a publié un premier rapport (1) concernant leur description, leur utilisation actuelle et leur potentiel, ainsi que le compte rendu d’un atelier d’analyse comparative dans les Etats membres (2). La Commission européenne avait promis à l’automne 2015 un deuxième rapport sur les implications dont ces technologies sont porteuses en termes de réglementation, afin de statuer en la matière. Ce dernier a été reporté en 2016, en raison de l’opposition de plusieurs Etats membres qui souhaitaient établir une discussion préalablement à la fixation d’une doctrine en la matière.
Une autre question intéressante est de savoir si on peut obtenir, avec ces technologies SDN, les mêmes produits que ceux décrits dans l’annexe I B de la directive 2001/18 exclues du champ d’application de la directive (mutagénèse et fusions de cellules). L’historique de l’utilisation de ces deux techniques est suffisamment sûr pour que ces deux OGM soient exemptés de l’évaluation qui s’applique par exemple à la transgénèse. La réponse pourrait être oui pour SDN1 et pour SDN2 ; pour SDN3 la réponse fait débat.
En septembre 2015, la Commission européenne a demandé au HCB et autres agences nationales qui reçoivent des dossiers d’autorisation de techniques ciblées de refuser de répondre, tant que la Commission n’aura pas elle-même tranché. Les semenciers sont fortement demandeurs du statut légal des technologies ciblées, afin de décider du lancement de programmes de recherche.
La plupart des autres États membres estiment que SDN1 et SDN2 sont équivalents à la mutagénèse (annexe I B de la directive 2001/18), c’est-à-dire des OGM qui sont exemptés du régime juridique de la directive ; certains disent même que ce pourrait ne pas être des OGM. Certains pensent que l’absence de trace perceptible entraîne l’absence de qualification d’OGM. La France est un des derniers États membres à s’être prononcé dans cette consultation, par la voix du HCB (1).
Les technologies de modification ciblée du génome sont plus précises que les précédentes. Alors que les technologies précédentes occasionnaient des modifications du génome grossières, sur un grand nombre d’essais, qu’il fallait dans un deuxième temps sélectionner, la technologie CRISPR-Cas9 permet de modifier de façon très précise le ou les gènes que l’on veut. Dans ce sens, on peut dire que ces technologies sont plus douces.
Est-ce que l’utilisation de la technologie CRISPR-Cas9 est « naturelle » ? Les bactéries et les archées utilisent CRISPR-Cas9 naturellement. Mais il n’y a pas spontanément dans la nature des modifications par nucléases. Les modifications du génome sont fréquentes en cas de cancer.
Une étude publiée par le magazine scientifique américain Science en novembre 2015 montre que, dans 36 neurones du cerveau humain d’un individu, on trouve 1 500 mutations somatiques propres à chaque neurone et toutes différentes. Les mutations sont des anomalies biochimiques de la structure de l’ADN qui ont passé le cap de la vérification de l’ADN. On produit quotidiennement des milliers de mutations. La vie chez un organisme (virus, plante, homme..) produit des radicaux libres qui vont taper dans l’ADN. Si ces mutations ne sont pas corrigées par l’ADN, elles sont transmises aux cellules filles. La variation intrinsèque à notre organisme fait que beaucoup de nos cellules sont différentes les unes des autres. C’est ce mécanisme qui explique la mutation des virus. Il faut retenir de cette étude que les variations naturelles sont très fréquentes.
Dit autrement, les cellules humaines passent leur temps à réparer l’ADN qui est cassé en permanence. Environ vingt millions de cassures de l’ADN interviennent chaque seconde dans l’ensemble du corps humain. Plusieurs milliers de milliards de cellules composent un corps humain, chacune représentant un mètre d’ADN. Nos cellules tirent leur énergie de l’oxygène, qui est une lame de rasoir pour beaucoup de molécules, en particulier pour l’ADN. Nous avons des systèmes de réparation très puissants pour éviter que ces cassures ne dégénèrent en lésions.
La directive 2001/18 dit que les hommes ne peuvent être considérés comme des OGM, mais qu’ils peuvent héberger des cellules ou vecteurs viraux OGM. Elle couvre donc en partie les hommes. La directive couvre également les animaux transgéniques. Tout ce qui sera décidé sur les plantes devrait donc s’appliquer aux animaux et à la thérapie génique.
Aux États-Unis et au Canada, la règlementation dit que le produit doit être examiné ou pas (équivalent en substance). Concept de « novel food ». En quoi c’est nouveau ou pas.
Certains préconisent que l’Union européenne adopte une telle approche.
F. Les Impacts sur l’environnement
La question de la coexistence des cultures mérite d’être soulevée. Quels sont les problèmes de coexistence au champ ? Si les plantes voisines sont interfertiles, la mutation peut être transmise.
La technique dite du « guidage des gènes » (gene drive) permet d’intervenir sur des populations, notamment animales et végétales, comme les moustiques vecteurs de maladies terribles pour l’homme comme la malaria, le chikungunya, la dengue ou le paludisme, voire le virus zika. Elle organise la diffusion d’un gène, avec la possibilité théorique d’éradiquer une population entière de moustiques, ou d’en modifier un gène, afin de le rendre inoffensif. La stérilisation d’une population entière a été démontrée en laboratoire, mais on ne sait pas comment cela se passera en grandeur réelle. En outre rien ne prouve la stabilité de la technique, à partir du moment où l’on modifie la nature du moustique, on ne sait pas si cela aura d’autres impacts que ceux souhaités ; une autre espèce d’insecte pourrait investir la niche écologique ainsi libérée.
La question d’associer les pays du sud, là où sévissent les grandes maladies causées par les insectes, à la réflexion et à la prise de décision, semble essentielle, avec la nécessité d’une discussion internationale.
L’exemple des huitres est significatif. Deux types d'huîtres creuses, sont produites et commercialisés aujourd'hui, sans distinction : les huîtres diploïdes, nées en mer, et les triploïdes, nées d'écloseries. Mollusques créés au moyen d’une opération biologique par l’IFREMER, les huîtres triploïdes, contiennent trois chromosomes, au lieu de deux pour les diploïdes, ce qui les empêche de se reproduire. L’avantage en est la diminution de leur cycle de production d’une année.
Elles ne sont pas considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM), mais comme des organismes vivants modifiés (OVM), qui possèdent une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne.
Le secteur ostréicole a pâti ces dernières années de surmortalités, dont beaucoup sont dues au climat. Cette crise menace la survie de nombreuses entreprises ostréicoles. Ces mortalités sont associées au virus de l’huître, appelé OsHV-1, qui n’a cessé de se développer et coïncide, selon certains scientifiques, avec l’introduction massive des triploïdes dans le milieu.
L’arrivée des huîtres triploïdes présente-t-elle un risque de déséquilibre pour les écosystèmes ? Cette innovation entraîne-t-elle un risque de stérilisation progressive du milieu ? Cela ne provoque-t-il pas un affaiblissement du patrimoine génétique des huîtres et, ainsi, de leur résistance aux bactéries et aux virus ?
Certains estiment que les risques de contamination du milieu, longtemps occultés, sont réels. Les huîtres triploïdes sont en théorie stériles. Mais, en pratique, qu’en est-il ? L’huître triploïde présente-t-elle un risque d’envahissement des bassins naisseurs et de contamination des stocks d’huîtres diploïdes autochtones. Comment s’assurer que la production d’huîtres triploïdes n’aboutisse pas à la disparition de l’huître naturelle ? Comment le faire sans porter atteinte à la liberté de chaque producteur ?
Dans tous les cas, il conviendra de prendre le temps, sans se précipiter, avec une évaluation préalable qu’il faudra bien définir.
G. La complémentarité entre biotechnologies et agroécologie
Les biotechnologies en matière agricole ne peuvent s’entendre en dehors du contexte général de l’agriculture, avec la tendance de fond à considérer les systèmes de culture et d’élevage comme des écosystèmes dans lesquels le milieu naturel est transformé par des pratiques agricoles qui, réciproquement, s’adaptent au milieu. On parle alors d’agroécologie, en tant que nouvelle discipline ayant l’ambition de croiser agronomie et écologie, avec le développement d’un ensemble de pratiques et modèles agricoles.
Dans le but de fournir des biens et services, notamment des produits agricoles, l’ingénierie agroécologique vise à mieux accorder les régulations naturelles avec les interventions humaines, en jouant sur trois grands types de leviers : biodiversité et interactions biologiques ; cycles de l’eau et des éléments majeurs (carbone, azote, phosphore) ; et structure et dynamique des paysages et territoires agricoles.
Or la génétique animale et végétale demeure un levier important pour accroître la compétitivité et la durabilité du secteur agricole et agroalimentaire français. La transition agroécologique, les objectifs de multiperformance, la lutte contre le changement climatique, les nouveaux enjeux de la bioéconomie ou encore les demandes des consommateurs amènent à élargir les objectifs de recherche en amélioration et sélection animale et végétale. On peut citer entre autres la diversification des espèces, la résistance aux maladies, la réduction de l’usage des pesticides, la tolérance à la sécheresse ou à la chaleur, la robustesse des animaux dans un but de durabilité, ou encore l’adaptation de la qualité aux usages alimentaires…
H. Les Impacts sur la santé
Dans le domaine agro-alimentaire, l’étude examinera les évaluations de toxicité et des autres risques occasionnés par les nouvelles espèces animales et végétales. Même si aucune variété végétale ou animale n’est cultivée ou élevée en France, nous mangeons quotidiennement des aliments OGM, soit indirectement par l’alimentation animale, soit directement dans les produits transformés (étiquetage).
Certains estiment que le risque encouru avec les techniques SDN1 et SDN2 est nul, car les variants obtenus avec ces techniques peuvent apparaitre naturellement. La technique en elle-même ne serait pas un risque. Y a-t-il un risque associé à la technique CRISPR-Cas9 ? La réponse à cette question dépend du gène introduit, par exemple si on introduit un gène qui code une toxine.
I. La Sécurité et La sûreté
Comme pour l’étude de l’OPECST de 2012 sur la biologie de synthèse, la présente étude devra examiner les conditions de la sécurité (par exemple la « biologie de garage ») et de la sûreté de ces nouvelles technologies (par exemple le « bioterrorisme », les applications de défense pour lutter contre les menaces).
J. Les aspects éthiques
Nous avons vu que les nouvelles biotechnologies sont très prometteuses. Elles peuvent aussi présenter des risques, soit par un emballement de la technologie, soit par des utilisations inopportunes ou malveillantes.
Les craintes n’ont pas manqué d’apparaître sur les tentations d’eugénisme – ou de transhumanisme –, contraires à l’interdiction de modifier la lignée germinale de l’homme, ou les rêves fous de faire revivre le mammouth ou l’homme de Neandertal…
Après une série d’essais sur des singes, une équipe chinoise a tenté d’effectuer, en avril 2015, des modifications génétiques sur des embryons humains non viables. L'équipe de Junjiu Huang, généticien de l'université Sun Yat-Sen dans la province du Guangdong a en effet publié dans la revue Protein & Cell les résultats de cette première tentative de manipulation génétique appliquée à des embryons humains, donc potentiellement héréditaires. Le but de l'expérience a consisté à tenter de modifier un gène responsable d'une très rare maladie génétique du sang, la bêta-thalassémie ou anémie de Cooley, une pathologie qui se traduit par un ensemble de symptômes graves. Les chercheurs chinois précisent que leurs résultats révèlent de sérieux obstacles qui se dressent contre l’utilisation de cette méthode à des fins médicales. Ainsi sur les 86 embryons inclus dans les essais, 71 ont survécu et seulement 28 ont pu être génétiquement manipulés. Mais ce n'est que chez une fraction d'entre eux que la suppression du gène a été en partie réussie. Les embryons ont été détruits.
Au Royaume-Uni, l’autorité britannique de la fertilisation humaine et de l’embryologie (HFEA – Human Fertilisation and Embryology Authority), a autorisé la demande du docteur Kathy Niakan, de l’Institut Francis Crick (Londres), d’ajouter la possibilité de manipuler des embryons humains à son autorisation de recherche. Cela va permettre à Kathy Niakan de poursuivre ses recherches sur le développement précoce de l’embryon et d’analyser le rôle des gènes spécifiques à travers la technologie CRISPR-Cas9.
Quelles sont les limites des interventions sur l’homme ? Une réflexion d’éthique est nécessaire, au niveau de chaque comité d’éthique et de façon globale.
Il faut distinguer deux cas, selon que les interventions portent sur les cellules somatiques (thérapie génique cellulaire) ou sur les cellules reproductrices ou de l’embryon (thérapie génique germinale). En termes d’applications médicales, les thérapies géniques somatiques avec CRISPR-Cas9 ne posent pas de problème éthique particulier par rapport aux approches classiques. On modifie un gène d’une cellule ou on le répare.
Les interventions sur les cellules germinales de l’homme, induisant le caractère héréditaire des modifications apportées au génome, sont beaucoup plus problématiques. On sait qu’actuellement les essais thérapeutiques montrent un fort taux d’effets hors cible. Sur des cellules germinales, les générations à suivre continueraient de porter les anomalies génétiques ainsi créées. De nombreux médecins estiment en outre que, pour les maladies génétiques, les interventions sur les cellules germinales n’ont pas réellement d’intérêt, les techniques plus classiques utilisées quotidiennement fonctionnant déjà bien. Quel est l’intérêt de CRISPR-Cas9 sur les cellules germinales ? Doit-on les autoriser alors qu’a priori c’est interdit par la convention d’Oviedo ? Quel est l’intérêt du changement par rapport à la sélection ? Sans doute aucun. La question pourrait éventuellement se poser si une maladie ne pourrait se soigner qu’en modifiant ces cellules…
En décembre 2015, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a constitué un groupe de groupe de travail sur les questions éthiques soulevées par les techniques nouvelles d’ingénierie génomique d'analyses. Le thème du groupe de travail est volontairement flou pour permettre de le préciser au fur et à mesure de ses travaux. Le groupe de travail a prévu de rendre son avis avant l’été 2016.
Le comité d’éthique de l’INSERM a rendu en 2015 un avis sur les questions liées au développement de la technologie CRISPR-Cas9 dans le domaine médical. Il résulte de cet avis qu’il convient d’encourager la recherche, de respecter l’interdiction de toute modification du génome humain, de participer à toute initiative nationale ou internationale et de replacer la problématique dans un contexte philosophique et sociétal.
Le Comité international bioéthique de l’UNESCO s’est prononcé pour un moratoire sur l’ingénierie de l'ADN humain pour éviter des modifications des caractères héréditaires contraires à l'éthique.
Un groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) a été créé par la Commission européenne.
Pour les cellules embryonnaires qui vont donner des cellules germinales, de très nombreuses voix estiment qu’il faut en rester à l’interdiction de la convention d’Oviedo. La modification des cellules germinales, ou des cellules souche embryonnaires est en effet interdite par l’article 13 de la convention d’Oviedo conclue dans le cadre du Conseil de l’Europe en 1997.
Cette convention est le premier instrument juridique international contraignant en ce qui concerne la protection de la dignité, des droits et des libertés de l'être humain contre toute application abusive des progrès biologiques et médicaux. Elle part de l'idée que l'intérêt de l'être humain doit prévaloir sur l'intérêt de la science ou de la société. Elle énonce une série de principes et d'interdictions concernant la génétique, la recherche médicale, le consentement de la personne concernée, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'information, la transplantation d'organes, l'organisation du débat public sur ces questions, etc. La convention interdit toute forme de discrimination à l'encontre d'une personne en raison de son patrimoine génétique et n'autorise des tests prédictifs de maladies génétiques qu'à des fins médicales. Les interventions sur le génome humain ne peuvent être entreprises que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elles n'ont pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance.
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