TROUBLE DE LA MARCHE ET DE L’EQUILIBRE, CHUTES CHEZ LE SUJET AGE
Les troubles de la marche et d’équilibre et les chutes chez les personnes âgées constituent un problème de santé publique majeur, mettant en jeu le pronostic vital ou compromettant l’autonomie de marche et le maintien à domicile. La connaissance des facteurs de risque des chutes est un élément déterminant pour une bonne prise en charge et une meilleure prévention. 1. CONNAISSANCES REQUISES Nous envisagerons successivement dans cette partie les notions indispensables à connaître concernant les troubles de la marche et de l’équilibre et les chutes chez le sujet âgé :
les différents troubles de marche et d’équilibre d’origine neurologique et non neurologique
les facteurs favorisants et causes intrinsèques (dont les médicaments) et extrinsèques pouvant être responsables de troubles de l’équilibre et de chutes chez le sujet âgé
le syndrome post-chute
les conséquences médicales (fracture du col fémoral,…) et psychosociales des chutes chez le sujet âgé
les facteurs de risque prédictifs des récidives de chutes chez la personne âgée
les principales mesures préventives des chutes chez la personne âgée
1.1. Les différents troubles de marche et d’équilibre Les troubles de la marche et de l’équilibre sont fréquents chez les personnes âgées. Leur mécanisme n’est cependant pas très différent de celui des adultes et des enfants.
Nous rappelons ci-dessous les principaux troubles de la marche et de l’équilibre d’origine neurologique (démarche déficitaire, ataxique, ou du parkinsonien) et non neurologique (démarche douloureuse, stasobasophobie et syndrome post-chute, démarche hystérique, …). Pour leur description détaillée, il convient de se reporter au module sur l’orientation diagnostique devant un trouble de la marche et de l’équilibre (item n° 339). 1.1.1. Troubles de marche et d’équilibre d’origine neurologique
Les principaux troubles de la marche et de l’équilibre d’origine neurologique sont les suivants : Démarche déficitaire Un déficit moteur consécutif à une atteinte du système pyramidal, du nerf périphérique, ou du muscle, pour peu qu’il devienne handicapant, va avoir un retentissement sur la marche et l’équilibre. Démarche ataxique Celle-ci peut correspondre à une ataxie sensitive, labyrinthique ou cérébelleuse Troubles de la marche du parkinsonien Ceux-ci se rapportent aux troubles de la marche, de la posture et de l’équilibre des syndromes parkinsoniens. La démarche parkinsonienne et la marche à petits pas peuvent faire place à un état plus sévère où l’enrayage cinétique de la marche ou freezing et la rétropulsion vont être responsables de chutes aux conséquences graves chez la personne âgée. Astasie-abasie et freezing L'astasie-abasie se définit comme l'instabilité à la station debout avec rétropulsion spontanée (astasie) et l'incapacité de marcher en dehors de la présence de tout syndrome pyramidal ou parkinsonien (abasie). Ce trouble de la marche est fréquemment observé chez le sujet âgé et peut être rattaché à l’imagerie cérébrale à une lésion frontale ou une hydrocéphalie ou un état lacunaire, ou au contraire sans cause apparente (astasie-abasie pure). Le freezing, ou enrayage cinétique de la marche, se caractérise par l’interruption brutale de la marche, pouvant survenir spontanément, sans raison apparente, ou bien au contraire être provoqué par un stimulus visuel (obstacle dans le champ de vision, franchissement de porte, …). Il se voit surtout dans les syndromes parkinsoniens.
1.1.2. Troubles de marche et d’équilibre d’origine non neurologique
Les principaux troubles de la marche et de l’équilibre d’origine non neurologique sont les suivants : Troubles de la marche d’origine douloureuse :
La marche et parfois l’équilibre peuvent être compromis par des douleurs lombaires ou des membres inférieurs. Les causes principales chez la personne âgée sont les suivantes : lombosciatique, canal lombaire étroit arthrosique, arthrose de hanche et arthrose de genou, artériopathie des membre inférieurs
Marche précautionneuse et stasobasophobie :
Cette entité s’inscrit souvent dans le cadre du syndrome post-chute, particulièrement redoutable chez le sujet âgé
Troubles de la marche d’origine hystérique :
Bien que parfois rencontrés chez le sujet âgé, ils sont plutôt l’apanage de la femme jeune
Troubles de la marche d'origine endocrinienne, métabolique, toxique et iatrogène
La fragilité de la personne âgée explique le risque de décompensation d’une marche et d’un équilibre précaire sous l’effet de désordres endocriniens, métaboliques et plus encore des effets secondaires des médicaments.
Facteurs favorisants et causes des chutes chez le sujet âgé
Nous envisagerons successivement les facteurs favorisants qui sont intrinsèques et extrinsèques. Les facteurs intrinsèques sont liés au vieillissement normal, à la prise de médicaments et à des processus pathologiques multiples. Les chutes résultent souvent de l’association de plusieurs de ces facteurs, mais la majorité d’entre elles n’ont pas de cause facilement identifiable. Les facteurs extrinsèques sont ceux liés à l’environnement, essentiellement l’habitat. 1.2.1.Viellissement normal
De nombreuses études ont montré l’influence favorisante des chutes d’un certain nombre de phénomènes liés au vieillissement normal et fragilisant la marche et l’équilibre :
modification de la marche et de l’équilibre, avec raccourcissement du pas par diminution de l’amplitude de rotation du bassin et de l’excursion de la hanche, augmentation de la dépendance du double appui des pieds, diminution de la vitesse de marche
diminution d’exercice physique et plus grande faiblesse musculaire des membres inférieurs
baisse des capacités sensorielles et proprioceptives compromettant l’équilibre : baisse de la vision (acuité visuelle et champ visuel), hypoacousie, vieillissement de l’appareil vestibulaire, diminution de la sensibilité profonde
augmentation du temps de réaction
diminution des capacités attentionnelles et de mémoire
tendance dépressive et anxieuse
moins bon équilibre nutritionnel
1.2.2.Prise de médicaments
Les médicaments sont un des facteurs de risque des chutes constamment retrouvé chez les personnes âgées. Sont particulièrement responsables :
les médicaments sédatifs, notamment les barbituriques et les benzodiazépines, hypnotiques ou non
les neuroleptiques, par leur effet sédatif et extrapyramidal
les anti-convulsivants, par leur effet sédatif, et exceptionnellement extrapyramidal pour la Dépakine
les médicaments pouvant induire une hypotension orthostatique : antihypertenseurs, dont les béta-bloquants et les diurétiques, antiparkinsoniens dopaminergiques, antidépresseurs
les antiarythmiques, notamment les digitaliques, pouvant induire des troubles du rythme et de la conduction
plus rarement les sels de lithium, le bismuth, la ciclosporine, et certains médicaments antimitotiques
1.2.3.Processus pathologiques
De nombreuses situations pathologiques peuvent induire des chutes. Nous envisagerons successivement les chutes avec malaise et les chutes isolées. 1.2.3.1. Chutes avec malaise ou perte de connaissance
La notion d'un malaise voire d'une perte de connaissance brève au cours d'une chute doit être recherchée très soigneusement à l'interrogatoire. Les étiologies de chutes par malaise sont très nombreuses, et il convient d’emblée de souligner la particulière fréquence des troubles du rythme cardiaque, de l'hypotension orthostatique, de la pathologie iatrogène, et de la polypathologie chez le sujet âgé
Causes cardio-vasculaires
troubles du rythme cardiaque (tachycardies, bradycardies) qui ont parfois une cause particulière, telle que hyperthyroïdie, nécrose myocardique, intoxication digitalique ou prise de bêtabloquants
modifications tensionnelles. Ceci concerne non pas tellement les poussées tensionnelles mais les chutes tensionnelles et l'hypotension orthostatique. Celle-ci peut se manifester chez les personnes âgées au lever après le repas, ou après alitement prolongé, ou du fait de prises médicamenteuses, d'anémie, de déshydratation, d'hémorragie interne. Une hypotension peut être la manifestation passant au premier plan de certaines nécroses myocardiques et surtout embolies pulmonaires.
syncopes d'effort du RA serré
Causes neurologiques
accidents ischémiques cérébraux transitoires. Il peut s'agir d'un accident du territoire carotidien, mais ceci est exceptionnel et suppose une sténose serrée des deux carotides internes. Il faut rechercher également un accident d'origine embolique cardiaque. Les accidents du territoire vertébro-basilaire peuvent donner un malaise, et sont discutés plus loin à propos des chutes sans trouble de conscience.
hématome intracérébral ou sous-dural, hémorragie méningée
vertiges labyrinthiques
épilepsie : rechercher dans ce cas une cause vasculaire embolique ou une cause tumorale.
Autres étiologies
hypoglycémies, surtout celles induites par l’insuline ou les sulfamides hypoglycémiants
décompensation acido-cétosique ou coma hyperosmolaire chez un diabétique
troubles ioniques : dyskaliémie, hypercalcémie, hypocalcémie, hyponatrémie
intoxication éthylique, éventuellement par le biais d'une hypoglycémie ou d'une complication neurologique
intoxication oxycarbonée
anémie
syncope vagale, de cause instrumentale, mictionnelle, surtout la nuit, parfois syncope à glotte fermée comme le réalise l'ictus laryngé après un effort de toux
chutes au cours d'un malaise d'origine psychogène
1.2.3.2. Chutes sans perte de connaissance Le mécanisme et l'étiologie des chutes sans perte de connaissance sont multiples. Seront envisagées successivement les chutes d’origine neurologique et les chutes d’origine non neurologique, mécanique. Chutes d'origine neurologique
La plupart des affections neurologiques entraînant des troubles de la marche peuvent être responsables de chutes (voir le paragraphes précédent sur les troubles de la marche).
Troubles proprioceptifs avec ataxie
Syndrome cérébelleux
Troubles de l'équilibre d'origine vestibulaire
syndrome vestibulaire périphérique hypotonique
syndrome vestibulaire irritatif (tumeur de la fosse cérébrale postérieure, ramollissement cérébelleux)
Troubles de l'adaptation posturale :
la maladie de Parkinson évoluée
les autres syndromes parkinsoniens, en particulier le syndrome de Steele-Richardson-Olszewski est volontiers inauguré par des chutes
l’hydrocéphalie à pression normale et l’hydrocéphalie obstructive progressive (tumeur de la fosse cérébrale postérieure ou du troisième ventricule, kyste porencéphalique)
l’astasie-abasie pure ou secondaire à des processus expansifs frontaux ou des lésions lacunaires ischémiques
Dérobement brutal des membres inférieurs, réalisant la classique "drop attack" :
insuffisance vertébro-basilaire (rechercher la notion d'un mouvement rapide de la tête)
accidents ischémiques de l'artère cérébrale antérieure (par atteinte de l'un ou des deux lobules paracentraux), qui peuvent exceptionnellement révéler un anévrysme de la communicante antérieure
pathologies vasculaires médullaires : athérome, myélopathies cervicales, angiomes médullaires
processus expansifs frontaux : méningiomes, gliomes, hématomes sous-duraux bilatéraux
tumeurs comprimant le bulbe ou la région bulbo-médullaire, sans hydrocéphalie obstructive
luxation de l'odontoïde, au cours de la polyarthrite rhumatoïde
certaines encéphalopathies métaboliques, notamment celles induites par l'hypercalcémie
Pathologie du système nerveux périphérique ou musculaire
Chutes d'origine mécanique
Notons sous ce terme les chutes au cours d’affection ou séquelle orthopédique ou rhumatologique (notamment l’arthrose et le port de prothèses de hanche et de genou) 1.2.4. Facteurs extrinsèques
Ce sont les facteurs liés à l’habitat et à l’environnement, responsables de chutes accidentelles. Des travaux épidémiologiques indiquent de façon concordante une fréquence accrue de chutes chez les personnes âgées sous l’effet des facteurs suivants :
parquet trop ciré
petit tapis ou moquette mal ou non fixée
descente de lit glissante
chaise ou fauteuil trop bas
pas de porte verglacé ou mouillé
baignoire ou douche glissante
présence d’une marche lors du passage d’une pièce à l’autre
escalier ou logement mal éclairé
changement d’environnement (hospitalisation, déménagement…)
Le syndrome post-chute
Le syndrome post-chute est un tableau clinique observé chez la personne âgée dans les suites d’une chute et dont le mécanisme est à la fois physique et psychologique. Ce problème est essentiel, car il risque d’entraîner une perte d’autonomie.
Le syndrome post-chute se définit par l’apparition dans les jours suivant une chute d’une diminution des activités et de l’autonomie physique, alors que l’examen clinique et si besoin le bilan radiologique ne décèlent pas de cause neurologique ou mécanique ou de complication traumatique.
L’évolution est réversible si le syndrome post-chute est pris en charge précocement. En effet, la chute, par ses conséquences psychologiques souvent négligées, peut être à l’origine d’une véritable sidération des automatismes de l’équilibre. En l’absence de prise en charge rapide, spécifique et multidisciplinaire de cette véritable urgence gériatrique, l’évolution se fera inexorablement vers l’état grabataire irréversible. 1.4. Conséquences médicales et psychosociales des chutes du sujet âgé 1.4.1. Conséquences médicales
Les conséquences médicales des chutes sont essentiellement de nature traumatique. Ce sont les fractures et les plaies et traumatismes sans fracture, avec une mortalité importante.
Fractures : Elles compliquent 5 % des chutes.
fracture du col du fémur. Elle représente 20-30% des fractures.
Autres fractures : avant-bras (dont le poignet avec fracture de Pouteau-Colles), bras (extrémité supérieure du l’humérus), cheville, rachis (tassement vertébral), bassin, côtes, crâne
Plaies et traumatismes sans fracture : Elles surviennent dans environ 10% des chutes
Toutes les études indiquent que le risque fracturaire à la suite d’une chute est très corrélé au déficit de minéralisation osseuse. L’ostéoporose et l’ostéomalacie étant plus fréquentes chez les femmes, le risque de fracture est de ce fait plus élevé chez les femmes que chez les hommes. 1.4.2. Conséquences psychosociales
Un sujet âgé qui chute est souvent conduit en urgence en milieu hospitalier pour bilan. L’admission en urgence est source de stress et risque de précipiter le malade vers la perte d’autonomie et le placement.
Après une chute, à moyen terme, la perte d’autonomie est observée chez près d’un tiers des malades qui n’ont pas eu de fractures. La perte d’autonomie est l’aboutissement des répercussions psychomotrices de la chute, c’est à dire le syndrome post-chute, du fait de la peur de chuter, de la perte de mobilité, ou de troubles de la marche.
Ainsi, la chute chez la personne âgée se révèle être un facteur qui va engendrer une diminution du champ d’action, de l’espace social, familial, voire corporel. La crainte d’une récidive conduit souvent à « institutionnaliser » le malade.
Les conséquences psychologiques peuvent s’installer plus sournoisement chez un vieillard perdant brutalement confiance en lui, se sentant dévalorisé aux yeux de son entourage, qui, croyant bien faire, réagit parfois par un excès de surprotection, installant encore plus la personne âgée dans la dépendance et la restriction d’activité. 1.5. Facteurs de risque prédictifs de récidive des chutes chez le sujet âgé Les facteurs de risque prédictifs des chutes peuvent être déduits des facteurs intrinsèques et extrinsèques favorisant les chutes des personnes âgés tels que nous les avons évoqués plus haut.
L’âge avancé (plus une personne est âgée, plus le risque de chutes est important ; la barrière des 80 ans semble cruciale) et le sexe féminin
La prise de médicaments, en particulier sédatifs, antipsychotiques ou hypotenseurs
La mise en évidence d’une instabilité à la station monopodale
L’existence à l’examen de troubles de l’équilibre et de la marche secondaires à une pathologie neurologique, rhumatismale ou orthopédique
Une mauvaise qualité de vue
La mise en évidence d’une hypotension orthostatique
La présence d’une dépression ou d’une détérioration intellectuelle
La mise en évidence à l’imagerie cérébrale d’une atrophie cérébrale, d’une dilatation ventriculaire, d’anomalies de signal de la substance blanche hémisphérique
L’insuffisance d’activité, d’exercice physique et notamment de marche
Le fait de résider en institution mais aussi de vivre seul
1.6. Principales mesures préventives des chutes chez la personne âgée Chez toute personne âgée, l’instabilité posturale peut être combattue par les mesures suivantes : d’un bon état général
d’une nutrition équilibrée
d’une supplémentation vitaminocalcique en cas d’ostéoporose
d’une activité physique suffisante et notamment d’un entretien de la force musculaire des membres inférieurs (marche, vélo d’appartement)
d’une activité intellectuelle régulière
de rompre l’isolement pour une personne vivant seule
Soulager les douleurs rhumatismales, et ne pas opérer trop tardivement une arthrose de hanche ou de genou
Veiller à ce que la personne âgée dispose de chaussures confortables, assurant une bonne stabilité (semelles épaisses et de surface au sol importante, tenue de la cheville, …)
Chaque fois que possible, corriger les troubles de la vue (prescription de lunettes adaptées, opération d’une cataracte, détection précoce et le traitement d’un glaucome chronique) et les troubles de l’audition (appareillage)
Réévaluer régulièrement et remettre en cause si besoin les indications des médicaments prescrits, et repérer parmi ces derniers ceux pouvant favoriser les chutes
Concernant l’habitat de la personne âgée, supprimer tous les facteurs de chutes :
veiller au bon éclairage du logement
éviter les tapis et les moquettes mal ou non fixées
revoir la disposition des meubles
mettre des adhésifs antidérapants dans la baignoire ou la douche
disposer une rampe ou barre d’appui dans les toilettes
rehausser les fauteuils, voire envisager un fauteuil avec commande électrique permettant à la personne âgée de se relever plus facilement
Chez un patient ayant des troubles de la marche, déterminer leur cause et la traiter lorsque cela est possible, et évaluer l’intérêt d’une kinésithérapie d’entretien ou d’une rééducation de la marche et de la posture, d’une canne, d’un déambulateur, voire d’un fauteuil roulant.
Pour les personnes vivant en institution, lorsque le risque de chute devient très élevé, mettre en balance l’intérêt des méthodes de contention mais aussi leur effet négatif de réduction d’autonomie.
2. OBJECTIFS PRATIQUES : CONDUITE À TENIR DEVANT UNE CHUTE CHEZ UNE PERSONNE AGÉE La conduite à tenir devant la survenue d’une chute chez la personne âgée comporte plusieurs temps que nous envisagerons successivement :
l’interrogatoire et l’examen clinique recherchant le mécanisme de la chute et les complications traumatiques, appuyés au besoin d’examens complémentaires
l’attitude thérapeutique
enfin la mise en œuvre de mesures destinées à maintenir l’autonomie et à prévenir la récidive des chutes
2.1. Interrogatoire
L'interrogatoire de la personne âgée et aussi de son entourage notamment familial et soignant comportera :
La recherche des antécédents, notamment cardiovasculaires, neurologiques, rhumatologiques et orthopédiques, ophtalmologiques et ORL, et de chutes antérieures
l’inspection attentive des ordonnances de médicaments en cours de prescription, tout particulièrement ceux pouvant induire une hypotension orthostatique, un trouble du rythme cardiaque, une hypoglycémie, une anémie, un trouble de vigilance, un syndrome extrapyramidal iatrogène
la description précise de la chute par le malade, et par une personne ayant assisté à la chute :
lieu (le plus souvent la chambre ou la salle de bains ou les toilettes)
date et heure (jour ou nuit, au lever du lit ou de la chaise, juste après un repas, un effort, une miction)
notion de malaise lipothymique, de sueurs, de véritable perte de connaissance, voire de crise comitiale (si l’entourage a assisté à la chute, le malade a-t-il convulsé, y a-t-il eu un épisode confusionnel post-critique, une perte d’urine, …)
s'agit–il au contraire d'une chute sans trouble de conscience transitoire ; dans ce cas, rechercher un facteur déclenchant (accrochage sur la moquette, déséquilibre, dérobement des membres inférieurs, …)
l’évaluation rapide de la gravité de la chute :
le malade a-t-il pu se relever seul ? Le risque de traumatisme et de fracture est plus grand dans le cas contraire.
combien de temps est-il resté à terre ? Le maintien prolongé à terre, jusqu’à parfois 48 h, expose à la déshydratation, la dénutrition, et aux complications.
a-t-il présenté des chutes à répétition ?
a-t-il des points douloureux notamment au bassin, aux membres inférieurs, ou à la région lombaire pouvant faire craindre un traumatisme avec ou sans fracture
2.2. Examen clinique Il comportera successivement l’examen cardiovasculaire, la recherche d’un traumatisme, l’examen neurologique et ostéoarticulaire, et l’examen de la marche et de l’équilibre. 2.2.1. Examen cardiovasculaire
Celui-ci incluera :
auscultation cardiaque et cervicale et prise du pouls (recherche d’un souffle, d’une arythmie)
mesure de la pression artérielle couché et debout (recherche d’une hypotension orthostatique)
2.2.2. Recherche d’un traumatisme
Il est important de rechercher les conséquences traumatiques d’une chute :
recherche d’une fracture notamment du col du fémur
d’un hématome
d’une plaie
d’un traumatisme crânien
2.2.3. Examen neurologique, ostéoarticulaire, étude de la marche et de l’équilibre
Pour leur description détaillée, il convient de se reporter au module sur l’orientation diagnostique devant un trouble de la marche et de l’équilibre (item n° 339).
Examen de la marche : si possible pieds nus sur une dizaine de mètres, avec étude du lever de la chaise et du demi-tour, évaluation de l’autonomie (nécessité ou non d’une canne, d’une aide par une tierce personne, …)
Examen de l’équilibre : rechercher un élargissement du polygone de sustentation, des oscillations à la station debout les pieds joints les yeux ouverts puis fermés, et à la station monopodale, une déviation des index, une marche en étoile.
Etude des réflexes de posture : test de la rétropulsion
Reste de l’examen neurologique : rechercher un déficit moteur, sensitif, une anomalie du tonus, des réflexes, un syndrome cérébelleux, un syndrome parkinsonien
Examen ostéoarticulaire : rechercher plus particulièrement une atteinte articulaire de la hanche, des genoux, des chevilles
Il faut garder en tête que si l’examen est le plus souvent en apparence normal, il n’est pas rare à l’inverse que la personne âgée présente simultanément plusieurs anomalies à l’examen, par exemple un syndrome parkinsonien, une neuropathie périphérique, et une arthrose de hanche 2.3. Examens complémentaires Les examens complémentaires sont demandés selon l’orientation donnée par l’interrogatoire et l’examen clinique :
systématiquement : l'électrocardiogramme et des examens biologiques de routine (glycémie, ionogramme sanguin, calcémie, numération formule)
assez souvent une imagerie cérébrale, surtout le scanner
plus rarement un électroencéphalogramme, un électromyogramme, des radiographies de la colonne lombosacrée, du bassin, des hanches, voire des genoux, un scanner lombaire, une IRM cervicale.
Au terme de ce bilan clinique et paraclinique, les conséquences traumatiques des chutes seront identifiées, et leur cause très souvent élucidée (cf l’inventaire étiologique dans la première partie de ce chapitre : « Facteurs favorisants et causes des chutes chez le sujet âgé »).
Les chutes pourront être classées en :
chute isolée sans cause retrouvée
chutes répétitives pathologiques
chutes associées à une cause directement responsable, avec ou sans perte de connaissance
2.4. Attitude thérapeutique
Traitement des conséquences de la chute
traitement des fractures, des plaies, prévention antitétanique
lutte contre la douleur si possible avec des antalgiques non sédatifs
lutte contre l’anxiété et l’agitation en rassurant le patient et dans certains cas avec des anxiolytiques mineurs si cela est possible
correction ou prévention de la déshydratation et de la dénutrition
Traitement des causes de la chute lorsqu’elles sont identifiées
modification des prescriptions avec si possible suppression (ou diminution de posologie) des médicaments pouvant favoriser les chutes
traitement de la cause de la chute, cardiovasculaire, neurologique, rhumatologique, ou autre, qui est finalement rarement retrouvée
prévention du syndrome post-chute avec notamment reprise de la marche le jour même (en l’absence de fracture ou de cause contre-indiquant celle-ci)
Mesures de maintien d’autonomie et de prévention des récidives des chutes
Celles-ci sont essentielles comme nous l’avons vu, et ont déjà été abordées dans le chapitre portant sur la prévention des chutes. Nous reprendrons ou insisterons sur certains points :
Reprise immédiate des activités d’autonomie élémentaires :
Prise des repas
habillage
toilette
continence des sphincters
lever du lit
port de chaussures ou de pantoufles adaptées
soins de pédicure
Soins infirmiers dans les cas nécessaires
Soins kinésithérapiques précoces et les plus actifs possibles:
rééducation de l’équilibre et de la posture, si possible pieds nus pour rééduquer la sensibilité profonde, avec travail de la rétropulsion, exercices de lever de chaise, de transferts, de repositionnement du centre de gravité
rééducation de la marche avec apprentissage des réactions posturales et réflexes de protection ; s’ils sont vraiment nécessaires, utiliser un déambulateur, une canne tripode, canne canadienne, canne simple
automatisation de certains mouvements comme le retournement dans le lit, le relevé du sol (se retourner sur le ventre, se mettre à quatre pattes, puis sur les genoux, et se hisser en se tenant à un meuble fixe en s’aidant avec les membres supérieurs, chaise surtout, ou fauteuil, lit, autre meuble)
musculation des membres inférieurs
plus généralement, réapprendre au patient la prise de conscience de son corps et du mouvement et la confiance dans ses capacités de marche (psychomotricité)
certains soins kinésithérapiques peuvent être mis en œuvre en cas d’étiologie particulière (syndrome parkinsonien par exemple)
En cas de récidive de chute, limiter les conséquences traumatiques pour les membres inférieurs par l’utilisation de protections rembourrées dispersant l’énergie du choc (coquilles au niveau des grands trochanters, genouillères)
Réaménagement de l’habitat, en particulier :
améliorer l’éclairage du logement
fixer tapis ou moquettes ou les supprimer
installer des barres d’appui aux toilettes et dans la salle de bains
Pour les personnes hospitalisées à la suite de la chute, préparer le retour à domicile, lutter contre l’isolement et la dépression souvent associés
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ENCADRÉ CONCLUSIF SUR L’ESSENTIEL À RETENIR
Les chutes chez les personnes âgées constituent un problème de santé publique majeur, mettant en jeu le pronostic vital ou compromettant l’autonomie de marche et le maintien à domicile. La connaissance des facteurs de risque des chutes est un élément déterminant pour une bonne prise en charge et une meilleure prévention.
Les chutes peuvent résulter de troubles de la marche et de l’équilibre d’origine neurologique, et non neurologique ou être consécutives à un malaise voire une perte de connaissance. Les causes sont très nombreuses, avec une particulière fréquence des troubles du rythme cardiaque, de l’hypotension orthostatique, de causes iatrogènes, de pathologies rhumatismales des membres inférieurs, et de pathologies neurologiques (accidents vasculaires cérébraux, syndromes parkinsoniens, tumeurs cérébrales, hydrocéphalie, astasie-abasie ou pathologie médullaire ou du système nerveux périphérique). La polypathologie n’est pas rare chez le sujet âge. Cependant, la plupart des chutes des personnes âgées n’ont pas de cause évidente autre que les facteurs liés au vieillissement normal ou à l’habitat (chambre, salle d’eau, cabinet de toilettes).
Les conséquences des chutes chez le sujet âgé sont essentiellement de nature traumatique (fractures notamment du col fémoral, plaies et hématomes), mais aussi liées au syndrome post-chute. Le syndrome post-chute se définit par l’apparition dans les jours suivant une chute d’une diminution des activités et de l’autonomie physique, alors que l’examen clinique et si besoin le bilan radiologique ne décèlent pas de cause neurologique ou mécanique ou de complication traumatique.
La conduite à tenir devant la survenue d’une chute chez la personne âgée comporte plusieurs temps : 1)- l’interrogatoire et l’examen clinique recherchent le mécanisme de la chute, une cause éventuellement bien identifiable, et les possibles complications traumatiques. 2)- Les examens complémentaires comporteront au minimum un ECG, un ionogramme sanguin, une calcémie, une glycémie, une numération formule, et selon les cas un scanner cérébral, et plus rarement un EEG, un EMG, une IRM cérébrale ou médullaire, et des radiographies osseuses en cas de suspicion de lésions fracturaires. 3)- Le traitement des causes de la chute lorsqu’elles sont identifiées, mais aussi des conséquences de la chute (fracture, plaie, déshydratation). 4)- la prévention du syndrome post-chute et de la perte d’autonomie ainsi que de la récidive des chutes, par une reprise immédiate, chaque fois que possible, de la marche, des activités d’autonomie élémentaires, la prescription de soins kinésithérapiques, de soins infirmiers si nécessaire, et un réaménagement de l’habitat. ENCADRÉ : QUELQUES CHIFFRES
Les troubles de la marche et de l’équilibre peuvent conduire à des chutes qui sont fortement liées à l’âge puisque 90% des chutes concernent des sujets de plus de 65 ans.
Les chutes des personnes âgées sont d’une extrême fréquence : 30% des plus de 65 ans chutent au moins une fois par an ; ce chiffre passe à 50% pour les plus de 80 ans.
En France, le syndrome post-chute survient dans environ 1/3 des chutes, et on estime qu’un million de personnes âgées ne sortent plus de chez elles de peur de tomber.
Parmi les complications traumatiques des chutes, les fractures du col fémoral sont les plus fréquentes. A titre d’exemple, on dénombre chaque année 200 000 fractures du col fémoral aux USA et 100 000 en Allemagne, la plupart chez les sujets âgés (90% ont plus de 70 ans ; 90% surviennent à la suite d’une chute).
Les traumatismes sont responsables d’une mortalité à court terme qui augmente avec l’âge, pouvant atteindre plus de 10% au delà de 80 ans.
Les complications traumatiques ne surviennent heureusement que dans seulement 15% des chutes.
Même en l’absence de traumatisme, l’incapacité pour la personne âgée de se relever est de mauvais pronostic. Un séjour par terre de plus d’une heure est un facteur de gravité avec risque de décès dans les 6-12 mois suivants.
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