«Les techniques du corps» Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay





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Marcel Mauss (1934)


« Les techniques
du corps »


Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Courriel: jmt_sociologue@videotron.ca

Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"

Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm


Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Le 17 février 2002

PAR

Marcel Mauss (1934)
« Les techniques du corps »

Article originalement publié Journal de Psychologie, XXXII, ne, 3-4, 15 mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934.

Polices de caractères utilisée :
Pour le texte: Times, 12 points.

Pour les citations : Times 10 points.

Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format

LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)


Table des matières


LES TECHNIQUES DU CORPS

CHAPITRE I Notion de technique du corps

CHAPITRE II Principes de classification des techniques du corps

CHAPITRE III Énumération biographique des techniques du corps

CHAPITRE IV Considérations générales



LES TECHNIQUES
DU CORPS 1



Chapitre I
NOTION DE TECHNIQUE DU CORPS


Retour à la table des matières
Je dis bien les techniques du corps parce qu'on peut faire la théorie de la technique du corps à partir d'une étude, d'une exposition, d'une description pure et simple des techniques du corps. J'entends par ce mot les façons dont les hommes, société par société, d'une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps. En tout cas, il faut procéder du concret à l'abstrait, et non pas inversement.
Je veux vous faire part de ce que je crois être une des parties de mon enseignement qui ne se retrouve pas ailleurs, que je répète dans un cours d'Ethnologie descriptive (les livres qui contiendront les Instructions sommaires et les Instructions à l'usage des ethnographes sont à publier), et dont j'ai déjà fait l'expérience plusieurs fois dans mon enseignement de l'Institut d'Ethnologie de l'Université de Paris.
Quand une science naturelle fait des progrès, elle ne les fait jamais que dans le sens du concret, et toujours dans le sens de l'inconnu. Or, l'inconnu se trouve aux frontières des sciences, là où les professeurs « se mangent entre eux », comme dit Goethe (je dis mange, mais Gœthe n'est pas si poli). C'est généralement dans ces domaines mal partagés que gisent les problèmes urgents. Ces terres en friche portent d'ailleurs une marque. Dans les sciences naturelles telles qu'elles existent, on trouve toujours une vilaine rubrique. Il y a toujours un moment où la science de certains faits n'étant pas encore réduite en concepts, ces faits n'étant pas même groupés organiquement, on plante sur ces masses de faits le jalon d'ignorance : « Divers ». C'est là qu'il faut pénétrer. On est sûr que c'est là qu'il y a des vérités à trouver : d'abord parce qu'on sait qu'on ne sait pas, et parce qu'on a le sens vif de la quantité de faits. Pendant de nombreuses années, dans mon cours d'Ethnologie descriptive, j'ai eu à enseigner en portant sur moi cette disgrâce et cet opprobre de « divers » sur un point où cette rubrique « Divers », en ethnographie, était vraiment hétéroclite. Je savais bien que la marche, la nage, par exemple, toutes sortes de choses de ce type sont spécifiques à des sociétés déterminées ; que les Polynésiens ne nagent pas comme nous, que ma génération n'a pas nagé comme la génération actuelle nage. Mais quels phénomènes sociaux étaient-ce ? C'étaient des phénomènes sociaux « divers », et, comme cette rubrique est une horreur, j'ai souvent pensé à ce « divers », au moins chaque fois que j'ai été obligé d'en parler, et souvent entre temps.
Excusez-moi si, pour former devant vous cette notion de techniques du corps, je vous raconte à quelles occasions j'ai poursuivi et comment j'ai pu poser clairement le problème général. Ce fut une série de démarches consciemment et inconsciemment faites.
D'abord, en 1898, j'ai été lié à quelqu'un dont je connais bien encore les initiales, mais dont je ne me souviens plus du nom. J'ai eu la paresse de le rechercher. C'était lui qui rédigeait un excellent article sur la « Nage » dans l'édition de la British Enclyclopaedia de 1902, alors en cours. (Les articles « Nage » des deux éditions qui ont suivi sont devenus moins bons.) Il m'a montré l'intérêt historique et ethnographique de la question. Ce fut un point de départ, un cadre d'observation. Dans la suite - je m'en apercevais moi-même -, j'ai assisté au changement des techniques de la nage, du vivant de notre génération. Un exemple va nous mettre immédiatement au milieu des choses : nous, les psychologues, comme les biologistes et comme les sociologues. Autrefois on nous apprenait à plonger après avoir nagé. Et quand on nous apprenait à plonger, on nous apprenait à fermer les yeux, puis à les ouvrir dans l'eau. Aujourd'hui la technique est inverse. On commence tout l'apprentissage en habituant l'enfant à se tenir dans l'eau les yeux ouverts. Ainsi, avant même qu'ils nagent, on exerce les enfants surtout à dompter des réflexes dangereux mais instinctifs des yeux, on les familiarise avant tout avec l'eau, on inhibe des peurs, on crée une certaine assurance, on sélectionne des arrêts et des mouvements. Il y a donc une technique de la plongée et une technique de l'éducation de la plongée qui ont été trouvées de mon temps. Et vous voyez qu'il s'agit bien d'un enseignement technique et qu'il y a, comme pour toute technique, un appren­tissage de la nage. D'autre part, notre génération, ici, a assisté à un changement complet de technique : nous avons vu remplacer par les différentes sortes de crawl la nage à brasse et à tête hors de l'eau. De plus, on a perdu l'usage d'avaler de l'eau et de la cracher. Car les nageurs se considéraient, de mon temps, comme des espèces de bateaux à vapeur. C'était stupide, mais enfin je fais encore ce geste : je ne peux pas me débarrasser de ma technique. Voilà donc une technique du corps spécifique, un art gymnique perfectionné de notre temps.
Mais cette spécificité est le caractère de toutes les techniques. Un exemple : pendant la guerre j'ai pu faire des observations nombreuses sur cette spécificité des techniques. Ainsi celle de bêcher. Les troupes anglaises avec lesquelles j'étais ne savaient pas se servir de bêches françaises, ce qui obligeait à changer 8 000 bêches par division quand nous relevions une division française, et inversement. Voilà à l'évidence comment un tour de main ne s'apprend que lentement. Toute technique proprement dite a sa forme.
Mais il en est de même de toute attitude du corps. Chaque société a ses habitudes bien à elle. Dans le même temps j'ai eu bien des occasions de m'apercevoir des différences d'une armée à l'autre. Une anecdote à propos de la marche. Vous savez tous que l'infanterie britannique marche à un pas différent du nôtre : différent de fréquence, d'une autre longueur. Je ne parle pas, pour le moment, du balancement anglais, ni de l'action du genou, etc. Or le régiment de Worcester, ayant fait des prouesses considérables pendant la bataille de l'Aisne, à côté de l'infanterie française, demanda l'autorisation royale d'avoir des sonneries et batte­ries françaises, une clique de clairons et de tambours français. Le résultat fut peu encoura­geant. Pendant près de six mois, dans les rues de Bailleul, longtemps après la bataille de l'Aisne, je vis souvent le spectacle suivant : le régiment avait conservé sa marche anglaise et il la rythmait à la française. Il avait même en tête de sa clique un petit adjudant de chasseurs à pied français qui savait faire tourner le clairon et qui sonnait les marches mieux que ses hommes. Le malheureux régiment de grands Anglais ne pouvait pas défiler. Tout était discordant de sa marche. Quand il essayait de marcher au pas, c'était la musique qui ne marquait pas le pas. Si bien que le régiment de Worcester fut obligé de supprimer ses sonneries françaises. En fait les sonneries qui ont été adoptées d'armée à armée, autrefois, pendant la guerre de Crimée, furent des sonneries « au repos », la « retraite », etc. Ainsi j'ai vu d'une façon très précise et fréquente, non seulement pour ce qui était de la marche, mais de la course et de ce qui s'ensuit, la différence des techniques élémentaires aussi bien que sportives entre les Anglais et les Fran­çais. M. le Pr Curt Sachs, qui vit en ce moment parmi nous, a fait la même observation. Il en a parlé dans plusieurs de ses conférences. Il reconnaît à longue distance la marche d'un Anglais et d'un Français.
Mais ce n'étaient là que des approches vers le sujet.
Une sorte de révélation me vint à l'hôpital. J'étais malade à New York. Je me deman­dais où j'avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières. J'avais le temps d'y réfléchir. Je trouvai enfin que c'était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence de cette démarche ; les jeunes filles étaient Françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait, les modes de marche américaine, grâce au cinéma, commen­çaient à arriver chez nous. C'était une idée que je pouvais généraliser. La position des bras, celle des mains pendant qu'on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques. Exemple : je crois pouvoir reconnaître aussi une jeune fille qui a été élevée au couvent. Elle marche, généralement, les poings fermés. Et je me souviens encore de mon professeur de troisième m'interpellant : « Espèce d'animal, tu vas tout le temps tes grandes mains ouvertes ! » Donc il existe également une éducation de la marche.
Autre exemple : il y a des positions de la main, au repos, convenables ou inconvenan­tes. Ainsi vous pouvez deviner avec sûreté, si un enfant se tient à table les coudes au corps et, quand il ne mange pas, les mains aux genoux, que c'est un Anglais. Un jeune Français ne sait plus se tenir: il a les coudes en éventail : il les abat sur la table, et ainsi de suite.
En fin, sur la course, j'ai vu aussi, vous avez tous vu, le changement de la technique. Songez que mon professeur de gymnastique, sorti un des meilleurs de Joinville, vers 1860, m'a appris à courir les poings au corps : mouvement complètement contradictoire à tous les mouvements de la course ; il a fallu que je voie les coureurs professionnels de 1890 pour comprendre qu'il fallait courir autrement.
J'ai donc eu pendant de nombreuses années cette notion de la nature sociale de l' « habi­tus ». Je vous prie de remarquer que je dis en bon latin, compris en France, « habitus ». Le mot traduit, infiniment mieux qu' « habitude », l' « exis », l' « acquis » et la « faculté » d'Aristote (qui était un psychologue). Il ne désigne pas ces habitudes métaphysiques, cette « mémoire » mystérieuse, sujets de volumes ou de courtes et fameuses thèses. Ces « habi­tudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. Il faut y voir des techniques et l'ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d'ordinaire que l'âme et ses facultés de répétition.
Ainsi tout me ramenait un peu à la position que nous sommes ici, dans notre Société, un certain nombre à avoir prise, à l'exemple de Comte : celle de Dumas, par exemple, qui, dans les rapports constants entre le biologique et le sociologique, ne laisse pas très grande place à l'intermédiaire psychologique. Et je conclus que l'on ne pouvait avoir une vue claire de tous ces faits, de la course, de la nage, etc., si on ne faisait pas intervenir une triple considération au lieu d'une unique considération, qu'elle soit mécanique et physique, comme une théorie anatomique et physiologique de la marche, ou qu'elle soit au contraire psychologique ou sociologique. C'est le triple point de vue, celui de « l'homme total », qui est nécessaire.
Enfin une autre série de faits s'imposait. Dans tous ces éléments de l'art d'utiliser le corps humain les faits d'éducation dominaient. La notion d'éducation pouvait se superposer à la notion d'imitation. Car il y a des enfants en particulier qui ont des facultés très grandes d'imitation, d'autres de très faibles, mais tous passent par la même éducation, de sorte que nous pouvons comprendre la suite des enchaînements. Ce qui se passe, c'est une imitation prestigieuse. L'enfant, l'adulte, imite des actes qui ont réussi et qu'il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui ont autorité sur lui. L'acte s'impose du dehors, d'en haut, fût-il un acte exclusivement biologique, concernant son corps. L'individu emprunte la série des mouvements dont il est composé à l'acte exécuté devant lui ou avec lui par les autres.
C'est précisément dans cette notion de prestige de la personne qui fait l'acte ordonné, autorisé, prouvé, par rapport à l'individu imitateur, que se trouve tout l'élément social. Dans l'acte imitateur qui suit se trouvent tout l'élément psychologique et l'élément biologique.
Mais le tout, l'ensemble est conditionné par les trois éléments indissolublement mêlés.
Tout ceci se rattache facilement à un certain nombre d'autres faits. Dans un livre d'Elsdon Best, parvenu ici en 1925, se trouve un document remarquable sur la façon de marcher de la femme Maori (Nouvelle-Zélande). (Ne dites pas que ce sont des primitifs, je les crois sur certains points supérieurs aux Celtes et aux Germains.) « Les femmes indigènes adoptent un certain « gait » (le mot anglais est délicieux) : à savoir un balancement détaché et cependant articulé des hanches qui nous semble disgracieux, mais qui est extrêmement admiré par les Maori. Les mères dressaient (l'auteur dit « drill ») leurs filles dans cette façon de faire qui s'appelle l' « onioi ». J'ai entendu des mères dire à leurs filles [je traduis] : « toi tu ne fais pas l'onioi », lorsqu'une petite fille négligeait de prendre ce balancement (The Maori, 1, p. 408-9, cf. p. 135). C'était une façon acquise, et non pas une façon naturelle de marcher. En somme, il n'existe peut-être pas de « façon naturelle » chez l'adulte. A plus forte raison lorsque d'autres faits techniques interviennent : pour ce qui est de nous, le fait que nous mar­chons avec des souliers transforme la position de nos pieds ; quand nous marchons sans souliers, nous le sentons bien.
D'autre part, cette même question fondamentale se posait à moi, d'un autre côté, à propos de toutes les notions concernant la force magique, la croyance à l'efficacité non seule­ment physique, mais orale, magique, rituelle de certains actes. Ici je suis peut-être encore plus sur mon terrain que sur le terrain aventureux de la psycho-physiologie des modes de la marche, où je me risque devant vous.
Voici un fait plus « primitif », australien cette fois : une formule de rituel de chasse et rituel de course en même temps. On sait que l'Australien arrive à forcer à la course les kangourous, les émous, les chiens sauvages. Il arrive à saisir l'opossum en haut de son arbre bien que l'animal offre une résistance particulière. Un de ces rituels de course, observé voici cent ans, est celui de la course au chien sauvage, le dingo, dans les tribus des environs d'Adélaïde. Le chasseur ne cesse pas de chanter la formule suivante :
frappe-le avec la houppe de plumes d'aigle (d'initiation, etc.),

frappe-le avec la ceinture,

frappe-le avec le bandeau de tète,

frappe-le avec le sang de la circoncision,

frappe-le avec le sang du bras,

frappe-le avec les menstrues de la femme,

fais-le dormir, etc. 1

Dans une autre cérémonie, celle de la chasse à l'opossum, l'individu porte dans sa bouche un morceau de cristal de roche (kawemukka), pierre magique entre toutes, et chante une formule de même genre, et c'est ainsi soutenu qu'il peut dénicher l'opossum, qu'il grimpe et peut rester suspendu à sa ceinture dans l'arbre, qu'il force et qu'il peut prendre et tuer ce gibier difficile.
Les rapports entre les procédés magiques et les techniques de la chasse sont évidents, trop universels pour insister.
Le phénomène psychologique que nous constatons en ce moment est évidemment, du point de vue habituel du sociologue, trop facile à savoir et à comprendre. Mais ce que nous voulons saisir maintenant, c'est la confiance, le momentum psychologique qui peut s'attacher à un acte qui est avant tout un fait de résistance biologique, obtenue grâce à des mots et à un objet magique.
Acte technique, acte physique, acte magico-religieux sont confondus pour l'agent. Voilà les éléments dont je disposais.

*

* *
Tout ceci ne me satisfaisait pas. Je voyais comment tout pouvait se décrire, mais non s'organiser ; je ne savais quel nom., quel titre donner à tout cela.
C'était très simple, je n'avais qu'à m'en référer à la division des actes traditionnels en techniques et en rites, que je crois fondée. Tous ces modes d'agir étaient des techniques, ce sont les techniques du corps.
Nous avons fait, et j'ai fait pendant plusieurs années l'erreur fondamentale de ne considérer qu'il y a technique que quand il y a instrument. Il fallait revenir à des notions anciennes, aux données platoniciennes sur la technique, comme Platon parlait d'une technique de la musique et en particulier de la danse, et étendre cette notion.
J'appelle technique un acte traditionnel efficace (et vous voyez qu'en ceci il n'est pas différent de l'acte magique, religieux, symbolique). Il faut qu'il soit traditionnel et efficace. Il n'y a pas de technique et pas de transmission, s'il n'y a pas de tradition. C'est en quoi l'homme se distingue avant tout des animaux : par la transmission de ses techniques et très probablement par leur transmission orale.
Donnez-moi donc la permission de considérer que vous adoptez mes définitions. Mais quelle est la différence entre l'acte traditionnel efficace de la religion, l'acte traditionnel, efficace, symbolique, juridique, les actes de la vie en commun, les actes moraux d'une part, et l'acte traditionnel des techniques d'autre part ? C'est que celui-ci est senti par l'auteur comme un acte d'ordre mécanique, physique ou physico-chimique et qu'il est poursuivi dans ce but.
Dans ces conditions, il faut dire tout simplement : nous avons affaire à des techniques du corps. Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exacte­ment, sans parler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l'homme, c'est son corps. Immédiatement, toute cette grande catégorie de ce que, en sociologie descriptive, je cIassais comme « divers » disparaît de cette rubrique et prend forme et corps : nous savons où la ranger.
Avant les techniques à instruments, il y a l'ensemble des techniques du corps. Je n'exagère pas l'importance de ce genre de travail, travail de taxinomie psycho-sociologique. Mais c'est quelque chose : l'ordre mis dans des idées, là où il n'y en avait aucun. Même à l'intérieur de ce groupement de faits, le principe permettait un classement précis. Cette adap­tation constante à un but physique, mécanique, chimique (par exemple quand nous buvons) est poursuivie dans une série d'actes montés, et montés chez l'individu non pas simplement par lui-même, mais par toute son éducation, par toute la société dont il fait partie, à la place qu'il y occupe.
Et de plus, toutes ces techniques se rangeaient très facilement dans un système qui nous est commun : la notion fondamentale des psychologues, surtout Rivers et Head, de la vie symbolique de l'esprit ; cette notion que nous avons de l'activité de la conscience comme étant avant tout un système de montages symboliques.
Je n'en finirais plus si je voulais vous montrer tous les faits que nous pourrions énumérer pour faire voir ce concours du corps et des symboles moraux ou intellectuels. Regardons-nous en ce moment nous-mêmes. Tout en nous tous se commande. Je suis en conférencier avec vous ; vous le voyez à ma posture assise et à ma voix, et vous m'écoutez assis et en silence. Nous avons un ensemble d'attitudes permises ou non, naturelles ou non. Ainsi nous attribuerons des valeurs différentes au fait de regarder fixement : symbole de politesse à l'armée, et d'impolitesse dans la vie courante.

Chapitre II
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