Le dépistage néonatal
But du dépistage.
Le principe est de rechercher de façon systématique chez tous les nouveau-nés de la population générale ou d’une population à risque, une pathologie de révélation précoce, avant que celles-ci n’entraine des séquelles irréversibles. Le dépistage correspond donc à détecter de manière précoce la maladie avant qu’elle ne se manifeste cliniquement. Le test chez des sujets asymptomatiques permet de les classer en deux groupes :
Personnes à haut risque de développer la maladie.
Personnes à bas risque de développer la maladie.
Chez ceux à haut risque il faut engendrer un traitement précoce avant les signes cliniques afin de modifier le cours de la maladie.
Caractéristiques des pathologies dépistées et des méthodes utilisées.
Caractéristiques des pathologies dépistées.
Une pathologie, pour être dépistée, ne doit être ni prévisible ni exceptionnelle (fréquence d’au moins 1/10 000 ou 1/20 000 naissances), il faut que le diagnostic clinique soit impossible ou difficile dans les premiers mois de la vie, qu’il existe une gravité de la maladie en l’absence de dépistage et de traitement préventif, qu’on retrouve la survenue de séquelles irréversibles et qu’il existe une thérapeutique disponible et efficace lorsqu’elle est précocement applique.
Caractéristiques techniques de la méthode de diagnostic biologique utilisée pour le dépistage.
Le prélèvement doit être simple et non agressif chez l’enfant, l’expédition des échantillons doit être facile, la technique de dépistage doit être simple et facilement reproductible sur de grandes séries, et il faut une rapidité d’obtention du résultat. La méthode de dépistage doit être rentable c’est-à-dire peu couteuse, permettant une rentabilité à l’échelle nationale, en termes d’économie de dépenses de santé.
Elle doit aussi être acceptable c’est-à-dire que le dépistage puisse être accepté par la population à laquelle il s’adresse en termes de contraintes et d’efficacité.
Ainsi ce dépistage doit il se montrer suffisamment sensible (peu de faux négatifs) et doit être fiable et suffisamment spécifique (peu de faux positifs).
 Le test de dépistage doit donc détecter les vrais positifs, limiter les faux négatifs (parfois au prix de faux positifs). Sa sensibilité doit être excellente, sa spécificité satisfaisante. La VPP est souvent faible. Dans le cas du dépistage le patient est asymptomatique (contrairement à un test diagnostique), son risque d’avoir la maladie est faible ; dans le cas de l’épreuve diagnostique le patient présente des symptômes ou des signes, son risque d’avoir la maladie est élevé.
En pratique en France le test de dépistage utilise des papiers buvards.
Critères de Wilson.
Toute maladie ne peut bénéficier d’un dépistage systématique, ceci est décrit dans les critères de Wilson (OMS, 1968) :
Pertinence : la maladie doit être un problème important de santé.
Evolution naturelle : l’histoire naturelle de la maladie doit être bien connue et comprise.
Traitabilité : on doit disposer d’un traitement efficace, généralement admis.
Identification : la maladie doit être reconnue à un stade pré-symptomatique.
Disponibilité des moyens : la confirmation du dépistage par des méthodes de certitude doit être obligatoire.
Méthode de détection : il faut organiser le diagnostic et le traitement des malades.
Le dépistage doit être accompagné d’un protocole thérapeutique précis.
Acceptabilité : il doit être accepté de la population.
Coût-bénéfice : le rapport économique coût-bénéfice doit être apprécié.
Continuité : la pérennité du programme doit être assurée.
Ceci a été repris dans le consensus de la Sapinière (Canada, 1989) :
Critères d’un dépistage néonatal systématique.
En y associant la nécessité d’avoir une méthode fiable de dépistage comportant peu de faux positifs et de faux négatifs (sensibilité et spécificité)., la nécessité d’une information suffisante des familles, une confidentialité des résultats individuels, en insistant sur le fait que tout dépistage doit entrainer un réel bénéfice pour le nouveau-né lui-même.
Protagonistes du dépistage néonatal et conduite à tenir.
Organisation.
Elle est confiée à une association nationale (Association Française pour le Dépistage et la Prévention des Handicaps de l’Enfant ou AFDPHE). On distingue 23 associations régionales comprenant les services de maternité, les laboratoires où sont réalisées les analyses et les médecins pour la prise en charge spécifique des enfants. Le test de guthrie correspond au prélèvement de sang à chaque bébé à J3 soit après 72 heures de vie. Il est nécessaire de poster le prélèvement le jour-même au secrétariat de l’association régionale, puis de l’envoyer par ce secrétariat dans les divers laboratoires.
Aspect légal.
Le consentement explicite des parents n’est pas nécessaire dans une action de santé publique, mais il existe une nécessité de les éduquer et de les informer de leur libre-choix et des conséquences possibles de leur refus éventuel (cas particulier de la mucoviscidose où l’accord des parents doit être récupéré pour réaliser l’étude génétique). En pratique quasi 100% de nouveau-nés sont dépistés en France.
Conduite à tenir.
Si le test est suspect on réalise une transmission des résultats par le laboratoire au secrétariat de l’association régionale, une prise de contact avec le médecin référent, un rappel de la famille par ce médecin et une consultation spécialisée le plus souvent dans l’hôpital le plus proche voire au CHU.
Pathologies dépistées en France.
En pratique on dépiste en France :
1972 : phénylcétonurie (PCU).
1978 : hypothyroïdie congénitale (HC).
1985 : drépanocytose dans les DROM et COM / 1995 : en métropole (dépistage ciblé).
1995 : hyperplasie congénitale des surrénales (HCS).
2002 : mucoviscidose.
Toute personne née en France depuis 40 ans a bénéficié de ce dépistage soit 35 millions de personnes (c’est-à-dire plus de la moitié de la population).
La phénylcétonurie.
Elle correspond à un déficit en phénylalanine hydroxylase (PAH), c’est une maladie héréditaire du métabolisme de transmission autosomique récessive, qui entraine une hyperphénylalaninémie.
Chez l’enfant non dépisté et donc non traité dans la période néonatale, l’hyperphénylalaninémie entraine :
Encéphalopathie progressive sévère peu spécifique.
Hypopigmentation (enfants blonds aux yeux bleus).
Signes digestifs au cours des premiers mois.
Microcéphalie, convulsions, eczéma et odeur caractéristique de « nichée de souris ». A ce stade le traitement est totalement inefficace.
Face à une hyperphénylalaninémie > 4 mg/dl, on réalise un dosage plasmatique de phénylalanine et de tyrosine sur la chromatographie des acides aminés sanguins, sous régime normo-protidique. Le traitement passe par un régime hypoprotidique pauvre en phénylalanine maintenu durant toute la période de maturation cérébrale (5 à 10 ans). Le régime est à reprendre durant les grossesses avant d’éviter les embryofoetopathies.
Connaissance physiologique
| Fréquence théorique
| Gravité
| Traitement
| Repérage présymptomatique
| Marqueur
| Efficacité-utilité
| Prise en charge
| Avenir des malades
| Bonne
| 1/15 000
| Retard mental
| Régime
| Oui
| PHE
| 100%
| J10
| Normal
|
L’hypothyroïdie congénitale.
Le diagnostic clinique est possible vers 3 mois. Par ailleurs la majorité des signes cliniques sont tardifs notamment à type de cassure de la courbe de taille en général après la période néonatale.
En l’absence de traitement précoce, l’évolution se fait vers un retard mental sévère irréversible associé à un nanisme, une constipation et une diminution du métabolisme. Les étiologies à l’origine d’une hypothyroïdie congénitale sont les suivantes :
Dysgénésies thyroïdiennes (80%) : soit ectopie thyroïdienne, soit athyréose.
Enzymopathies héréditaires de l’hormonosynthèse thyroïdienne (15%), transmises selon un mode autosomique récessif.
Causes exceptionnelles : causes centrales par déficit en TSH (pan-hypopituitarisme), résistance périphérique aux hormones thyroïdiennes, déficit en TBG, hypothyroïdie transitoire en général d’origine maternelle (carence en iode ou traitement par antithyroïdiens de synthèse durant la grossesse).
La méthode de dépistage passe par un dosage de la TSH, sachant que le taux normal de TSH est < 25 mU/ml.
La confirmation du diagnostic peut se faire par un dosage de la FT3, FT4, TSH, une scintigraphie thyroïdienne et une échographie thyroïdienne. Le traitement préventif des enfants dépistés est débuté en moyenne vers 10 jours, et passe par l’administration sous forme de gouttes d’hormones thyroïdiennes à type de L-thyroxine. S’en suit une adaptation ultérieure des doses en fonction des résultats de T4 et de TSH que de la courbe de croissance.
Quoi qu’il en soit le traitement est à vie.
Connaissance physiologique
| Fréquence théorique
| Gravité
| Traitement
| Repérage présymptomatique
| Marqueur
| Efficacité-utilité
| Prise en charge
| Avenir des malades
| Bonne
| 1/4 000
| Retard mental
| L-thyroxine
| Oui
| TSH
| 100%
| J11
| Normal
|
L’hyperplasie congénitale des surrénales.
 Elle engendre un déficit enzymatique (essentiellement un déficit en 21-hydroxylase) touchant la biosynthèse stéroïdienne. Les mutations du gène retentissent à la fois sur la synthèse des minéralocorticoïdes mais aussi sur celle des glucocorticoïdes.
Le déficit en cortisol détermine, par feed-back, une hypersécrétion fœtale d’ACTH. In utero l’accumulation de testostérone entraine une hyperpigmentation scrotale chez les garçons et une virilisation des organes génitaux externes chez la fille.
A la naissance le déficit combiné en aldostérone et en cortisol est susceptible d’entrainer une déshydratation par perte de sel, avec un risque de collapsus et de décès parfois très rapide, souvent après le retour de l’enfant au domicile.
En l’absence de dépistage néonatal ce sont els garçons les plus exposés car la virilisation des organes génitaux externes des filles conduit rapidement au diagnostic. Le dosage de la 17OH progestérone est la technique utilisée, sachant que sa valeur normale est < 60 nmol/l. Il est à noter que la prématurité induit de nombreux faux positifs par immaturité enzymatique. Le traitement préventif des enfants dépistés consiste à compenser les déficits hormonaux en aldostérone par du 9α-fludrocortisol et en cortisol par de l’hydrocortisone. Quoi qu’il en soit le traitement est à vie.
Une prise en charge chirurgicale de la malformation des organes génitaux externe est souvent nécessaire chez les filles.
Connaissance physiologique
| Fréquence théorique
| Gravité
| Traitement
| Repérage présymptomatique
| Marqueur
| Efficacité-utilité
| Prise en charge
| Avenir des malades
| Bonne
| 1/12 000
| Décès
| Cortisone, fludrocortisone, sel
| Oui
| 17OH progestérone
| 100%
| J8
| Normal sauf ambiguïté sexuelle prénatale des filles
|
La mucoviscidose.
C’est une maladie génétique dans laquelle on retrouve une atteinte pulmonaire et du pancréas exocrine. La transmission est autosomique récessive.
Elle est liée à une anomalie de la protéine CFTR impliquée dans le transport du chlore à la membrane apicale des cellules, ainsi un défaut de fonctionnement de CFTR entraine une viscosité excessive des sécrétions. Un signe clinique détectable est l’iléus méconial, mais le plus souvent les signes sont tardifs (toux, stagnation pondérale, infections respiratoires répétées).
Connaissance physiologique
| Fréquence théorique
| Gravité
| Traitement
| Repérage présymptomatique
| Marqueur
| Efficacité-utilité
| Prise en charge
| Avenir des malades
| Bonne mais…
| 1/2 500
| Décès avant 35 ans mais…
| Important et contraignant, ralentit mais ne guérit pas
| Oui
| TIR + biologie moléculaire
| < 100%
| J30
| Amélioration de la survie
| NB : TIR signifie trypsine immuno-réactive.
La drépanocytose.
Elle est liée à une anomalie de structure de l’hémoglobine, c’est une maladie génétique de transmission autosomique récessive.
Normalement on retrouve une HbA (α2β2), mais dans la drépanocytose on retrouve une HbS avec une anomalie de la chaine β qui dans une forme désoxygénée entraine des agrégats d’Hb dans le globule rouge d’où une obstruction des micro-vaisseaux et une destruction de ces globules rouges (hémolyse).
Connaissance physiologique
| Fréquence théorique
| Gravité
| Traitement
| Repérage présymptomatique
| Marqueur
| Efficacité-utilité
| Prise en charge
| Avenir des malades
| Bonne
| 1/4 000
| Décès avant 5 ans par infection
| Prévention des infections
| Oui
| HbS
| 100%
| J30
| Mortalité nulle
|
On décrit des populations à risque si :
Les deux parents ou leurs familles sont originaires d’un pays où la fréquence de la drépanocytose est importante.
L’un des deux parents est originaire d’un des pays précédents et l’autre d’un pays d’Asie.
La mère est à risque mais le père n’est pas connu (celui-ci est peut-être à risque).
L’un des parents a connaissance de l’existence d’une anomalie de l’hémoglobine chez lui ou dans sa famille.
Par ailleurs ce dépistage de la drépanocytose pose certaines questions :
Ciblage ou non ciblage de certaines populations ?
Réalisation partout ou uniquement dans quelques régions ?
Représente un nombre élevé de patients et donc un coût important.
Dépistage génétique.
Nombre élevé d’hétérozygotes dépistés.
Au total.
| Phénylcétonurie
| Hypothyroïdie congénitale
| Hyperplasie congénitale des surrénales
| Drépanocytose
| Mucoviscidose
| Fréquence
| 1/16 000
| 1/3 500
| 1/18 000
| Région dépendante
| 1/4 000
| Manifestation (en l’absence de traitement)
| Retard mental
| Retard mental
| Déshydratation, décès
| Infection, décès
| Hypotrophie, infection pulmonaire
| Traitement
| Régime
| Médicament
| Médicament
| Prise en charge spécifique, antibiotiques
| Prise en charge spécifique, antibiotiques
| Marqueurs
| Phénylalanine
| TSH
| 17OH progestérone
| HbS
| TIR (+ ADN)
|
Conseil génétique ?
4 des 5 pathologies dépistées sont de transmission autosomique récessive, même si l’hypothyroïdie congénitale est également autosomique récessive dans certaines formes. Dans ce cas un conseil génétique est à proposer aux parents (risque réel de ¼ pour le prochain enfant, le risque pour les apparentés est faible mais attention à la consanguinité). Il faut engendrer un traitement spécifique durant la grossesse pour l’hyperplasie congénitale des surrénales si le fœ-
tus est de sexe féminin.
Autres dépistages.
On peut maintenant réaliser un dépistage d’une surdité néonatale sévère bilatérale, ou encore d’une surdité modérée bilatérale voire d’une surdité sévère unilatérale. Un examen de repérage des troubles de l’audition est maintenant proposé systématiquement avant la sortie de l’enfant, au moyen d’audiomètres spécialisés.
Des examens sont réalisés avant la fin du 3ème mois de l’enfant lorsque l’examen de repérage n’a pas pu avoir lieu ou qu’il n’a pas permis d’apprécier les capacités auditives de l’enfant. Ainsi on utilise des otoémissions acoustiques provoquées en maternité ou, si un doute subsiste, des bilans auditifs par des équipes ORL pédiatriques avec des potentiels évoqués auditifs.
Avenir.
Doit-on élargir le dépistage systématique néonatal à d’autres maladies ? Il faut trouver le juste milieu entre dépister tout ce qui est dépistable au jour d’aujourd’hui et ce qui est utile en termes médicaux et financiers.
En effet si l’on suit les critères de Wilson, les maladies candidates à l’élargissement du dépistage sont soit trop peu fréquentes, soit peu graves, soit non traitables, soit difficiles à repérer.
Une nouvelle technologie en vue est la spectrométrie de masse (1 goutte de sang permet de détecter 30 à 50 maladies). |