Manuel de géopolitique et de géoéconomie, Paris, puf, coll. «Major»





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La préservation de l’environnement

Cédric Tellenne

Contribution in Pascal Gauchon (dir.), Le monde. Manuel de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, coll. « Major », 2008.


Etymologiquement, environnement vient de l’ancien français viron qui signifie « tour », « rond », « cercle ». Il désigne ainsi le monde biophysique qui entoure les sociétés humaines, lesquelles interagissent avec celui-ci. Il qualifie essentiellement une interrelation entre la nature et les sociétés : l’environnement joue un rôle structurant pour celles-ci et, en retour, elles peuvent le modifier en profondeur. L’environnement s’analyse donc à la fois en termes de ressources et de contraintes, d’aubaines et de risques. De « déterministe », la vision des relations de l’homme avec son environnement est devenue peu à peu « possibiliste »1 du fait d’un progrès technique qui permettait de plus en plus de la domestiquer et de la transformer.

Avec l’aide du progrès technique donc, les sociétés humaines sont devenues une force d’ampleur géologique, les spécialistes estimant qu’elles sont désormais capables de déplacer autant de matériaux que l’ensemble des phénomènes naturels terrestres, de transformer le climat de la planète, de modifier le cours de l’évolution des espèces. L’influence de l’homme est devenue perceptible jusqu’aux endroits les plus reculés de la planète, aux limites de l’oekoumène*. Et la biosphère a commencé à réagir à ces impacts : compte tenu de sa force d’inertie, cette réaction est-elle appelée à devenir de plus en plus brutale au fil des années ?

Cette question est préoccupante, car d’un côté la dynamique de l’environnement s’inscrit dans le long terme, nécessite une mobilisation durable de tous les acteurs de la société au service d’un intérêt supérieur commun, planétaire, tandis que de l’autre l’économie et la politique raisonnent à courte échéance pour défendre des intérêts qui sont bien souvent particuliers ou nationaux : comment concilier ces finalités et ces temporalités différentes pour protéger un environnement gravement menacé ?

I. L’environnement menacé ?
L’empreinte écologique* des sociétés humaines s’appesantit depuis l’entrée dans la révolution industrielle. Des risques environnementaux majeurs pèsent sur l’avenir de la Planète.
1. Les risques environnementaux, présents depuis longtemps, semblent s’être récemment aggravés.
# La notion de risque environnemental est fondamentale dans l’étude des rapports de l’homme à son milieu. Étymologiquement, le risque vient du bas latin risicus (du verbe risicare) signifiant « ce qui coupe », « ce qui rompt », autrement dit ce qui introduit une « rupture », une « cassure » dans l'ordre naturel, éco­nomique et/ou social. Il caractérise la probabilité qu’une menace quelconque se réalise et se transforme en catastrophe* en fonction des impacts que l’on peut en attendre.

Toute classification des risques est imparfaite dans la mesure où il s’agit d’un phénomène éminemment complexe :

- primo, les risques présentent un grand nombre de facteurs, composantes et impacts souvent imbriqués (désertification par exemple) ;

- secundo, les risques s’emboîtent à plusieurs échelles (mondiale, régionale, nationale, locale) ;

- tertio, leur évolution est quasiment imprévisible (réactions en chaîne, effet boomerang, variabilité des comportements humains).

On distingue classiquement les risques technologiques et les risques naturels. Le risque technologique, c’est l’ensemble des conséquences imprévues qui peuvent résulter de l’usage de plus en plus intensif et diversifié des technologies industrielles et du génie biologique : risques chimiques, nucléaires, techniques, industriels… L’homme en est directement responsable. A l’inverse, le risque naturel trouve son origine dans un phénomène physique dont le déclenchement ne peut être empêché par l’homme (avalanches, inondations, cyclones, tempêtes, séismes, glissements de terrain…), mais pour lequel il peut être indirectement responsable : les risques naturels sont renforcés dans leur fréquence, leur intensité et leurs effets par les activités humaines (inondations, tremblements de terre, cyclones etc…)2.
# Les sociétés humaines ont connu au cours de l’histoire des risques et dangers divers : mauvaises récoltes et famines liées aux aléas climatiques, tempêtes, épidémies comme la Peste, incendies et inondations…, sans oublier les guerres. Face à ces fléaux, les hommes se sont longtemps senti désarmés et ont invoqué la « fatalité », y voyant l’intervention des dieux qui agissent sans raison précise dans la mythologie grecque3 et romaine, ou pour des raisons morales dans les religions monothéistes4. Cette perception se maintient encore aujourd’hui dans les sociétés imprégnées de religiosité comme en témoignent les invocations à Allah du gouvernement turc après le tremblement de terre d’Izmit en 1999 ou du peuple iranien après le séisme de Bam en 2003. La responsabilité des hommes reste minimisée. Le risque est exogène.

L’homme n’est réellement perçu comme agent créateur de risque qu’avec la révolution industrielle, lorsque se produisent les premières catastrophes technologiques et industrielles (coups de grisou* dans les mines par exemple). Ces catastrophes sont désormais perçues comme des mécanismes endogènes, produits par les hommes du fait d’actions dangereuses ou malencontreuses, selon une approche qui se veut rationaliste : la recherche de sécurité doit répondre au risque. L’assurance individuelle se développe sous la forme de sociétés par actions ou de sociétés mutualistes tandis que l’Etat-Providence prend en charge l’assurance collective en cas de catastrophe majeure. La conquête de la sécurité, en temps normal de paix et de prospérité, apparaît aux sociétés occidentales comme continue jusqu’aux années 1960-1970. Ces années marquent un tournant historique majeur : l’impression domine que les sociétés humaines produisent des risques plus nombreux et incontrôlables, que la sécurité recule face aux dangers multiples. Minamata, Seveso, Bhopal, Sandoz, Tchernobyl, Exxon-Valdez… autant de catastrophes majeures qui viennent confirmer les menaces annoncées.

Vivons-nous pour autant dans un monde plus risqué ? La question d’une augmentation continue du nombre de catastrophes depuis un demi-siècle fait débat pour les experts, car c’est avant tout une question de perception. Certes, des études chiffrées existent qui tendent à accréditer la thèse d’une multiplication des risques à l’échelle de la planète : le nombre de sinistres importants (dépassant la somme de 71 millions de dollars de biens assurés) serait ainsi passé de 40 à 100 entre 1970 et 1990 puis à 160 en 1998 et aujourd’hui plus de 200. Mais cette augmentation générale du nombre de catastrophes peut être due à une comptabilisation plus précise à l’échelle de la planète du fait d’une meilleure couverture contre les risques, ainsi qu’à une plus grande médiatisation (tsunami* de Noël 2005). Et l’impression renforcée de leur gravité et d’un coût de plus en plus lourd est liée au fait qu’elles touchent des sociétés humaines de plus en plus riches, donc de mieux en mieux dotées et ainsi susceptibles d’être plus largement remboursées pour des destructions matérielles. Selon l’ONU, le coût des catastrophes naturelles doublerait tous les dix ans.

# Les risques environnementaux globaux forment à eux seuls une catégorie à part : il s’agit de processus qui affectent les équilibres d’ensemble de la reproduction de la Planète et de la biosphère. Le sociologue allemand Ulrich Beck voit dans les risques environnementaux globaux une menace suprême qu’il compare à un « volcan » de notre civilisation ». Dans La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité (Paris, 2001)5, il étudie la globalisation des risques liés à la modernité.

Pourquoi parler de risques globaux selon lui ?

  • car ils interviennent à toutes les échelles ;

  • car ils sont désormais transnationaux, avec des effets en retour imprévisibles (« effets boomerang ») ;

  • car ils pèsent sur tous les êtres vivants : hommes, plantes, animaux

Pour Ulrich Beck, il existe une différence plus qualitative que quantitative avec les siècles passés : l’universalisation du risque, sa perception, ont modifié radicalement les cadres traditionnels de la vie en société et de la politique. Utilisant la terminologie marxiste, Ulrich Beck pense qu’ils relèvent d’un processus de « paupérisation civilisationnelle ».
2. Le bilan des risques environnementaux actuels et à venir est préoccupant.
On croit souvent que l’empreinte écologique* des sociétés humaines s’est accumulée progressivement au fil des siècles, alors qu’en réalité la progression date surtout des débuts de la révolution industrielle avec une remarquable accélération après la seconde guerre mondiale, lorsque l’on entre dans une ère d’industrialisation massive. Les atteintes à l’environnement sont de plus en plus graves et elles vont s’accentuer : si nous regardons l’avenir, les sociétés humaines vont devoir trouver des ressources et de l’espace pour quelques 3 milliards d’individus supplémentaires d’ici 20506, faire face à la poursuite de l’explosion urbaine et à une plus large industrialisation de la planète, tout en essayant de sortir 2,8 milliards d’individus de la pauvreté.
 Pour mesurer l’empreinte écologique des sociétés humaines, les équipes du Canadien William Rees calculent depuis 1990, pour une population donnée, la somme des surfaces nécessaires à la production des ressources consommées et à l’assimilation les déchets produits par cette population. Elle est mesurée en « unités-surfaces » qui sont l’équivalent d’un hectare normalement productif. L’indicateur a été popularisé par le WWF au Sommet de Johannesbourg en 2002. Il est considéré comme un bon moyen de communication destiné au grand public sur les enjeux de la préservation de l’environnement, sans pour autant être un indicateur de développement durable7. La biocapacité par habitant de la planète est ainsi estimée à 1,8 hectare, or l’empreinte écologique moyenne, en prenant en compte l’impact de l’habitat et des infrastructures, les besoins en matériaux et en énergie, en comptabilisant l’effet des rejets industriels et domestiques, est aujourd’hui de 2,9. On est donc déjà loin d’un mode de développement écologique et durable, avec par surcroît de grandes disparités : un citoyen des Etats-Unis consomme 12,5 hectares par an contre 4,5 pour un Européen ou 0,7 pour un Indien.
Les atteintes à l’environnement, qui sont interdépendantes, sont multiples et rétroagissent. On peut les classer en quelques grandes catégories :
# L’épuisement progressif des ressources fossiles, sorte de « cadeau » de la Terre hérité des temps géologiques. Pour le pétrole, le problème du Peack Oil est récurrent depuis les années 1970 (voir chapitre XX).
# Les atteintes aux sols et aux eaux continentales et marines :

- Pollutions des cours d’eau, des nappes phréatiques, des mers et océans. Les rivières et fleuves sont de plus en plus gorgés de nutriments fabriqués par l’homme, qui provoquent toutes sortes d’effets indésirables, telles que la pullulation d’algues toxiques (marée rouge) ou l’eutrophisation* de l’eau, la rendant impropre à la consommation. Le phénomène d’eutrophisation des eaux a une extension mondiale aujourd’hui.

- Assèchement des lacs et mers intérieures. L’assèchement du lac Tchad depuis les années 1960 ou de la mer d’Aral, avec ses cimetières de bateaux de pêche échoués aujourd’hui dans le sable.

- Désertification : elle est considérée comme acquise lorsque le retour à l’état primitif des sols ne peut être atteint après 25 années de protection totale de l’environnement ; cette situation extrême ne concernerait qu’une infime partie des sols (moins de 1%) mais l’évolution est préoccupante sur des surfaces très étendues (Sahel par exemple).

- Disparition des zones humides : mangroves tropicales, tourbières et marais en zone tempérée. Jusqu’ici, environ 15% des 10 millions de km2 de zones humides à l’échelle de la planète ont été asséchées, soit l’équivalent d’un territoire comme le Canada.

- Salinisation des sols dans les zones d’agriculture irriguée par remontée des sels minéraux depuis les couches profondes jusqu’à la surface. Environ 30 % des terres irriguées sont touchées dans le monde par des problèmes de salinisation : celle-ci serait responsable d’une réduction de 1 à 2 % par an de la superficie des terres cultivées sous irrigation selon les estimations de la FAO.
# La gestion des ressources en eau. Au XXème siècle, alors que la population mondiale quadruplait, la consommation en eau décuplait. Les réserves s’épuisent : ainsi le plus grand aquifère américain, celui de l’Ogallala qui s’étend sur une dizaine d’Etats et fonde la prospérité agricole de l’Ouest des Etats-Unis, se vide si rapidement qu’on ne lui donne que deux ou trois décennies de vie alors qu’il a mis des millénaires à se constituer. La construction de barrages pose également de lourds problèmes : on dénombre dans le monde 45 000 barrages de plus de 15 mètres de hauteur et environ 800 000 barrages plus petits. Ils ont des impacts sanitaires et écologiques non négligeables : fragmentation des cours d’eau, modification des régimes hydrologiques et du transport des sédiments, érosion des côtes, interruption des migrations des espèces aquatiques, développement des maladies parasitaires sous les Tropiques.
# Les atteintes à la santé humaine. Des pathologies émergentes comme les épidémies de Sida, fièvre Ebola, maladie de Creutzfeld-Jacob (« vache folle »), Lyme ou SRAS : autant de maladies infectieuses qui se sont fortement développées et diffusées à la faveur des changements dans nos modes de vie. Ainsi que les cancers, allergies multiples, maladies neurodégénératives, diabète, obésité… Selon le professeur Dominique Belpomme8, 80 à 90 % des cancers sont causés par la dégradation de notre cadre de vie, de notre environnement. Cette théorie a été récemment mise en cause, mais elle a le mérite de poser la question fondamentale de notre mode de vie.
# La destruction de la « biodiversité »*. On estime que le quart des mammifères de la planète sont menacés, un tiers des amphibiens et un sixième des oiseaux. La surpêche est notamment en accusation : les navires-usines sont aujourd’hui capables de capturer et conditionner 100 tonnes de poissons à l’heure, soit l’équivalent du total des prises d’un bateau de pêche du XVIème siècle en une année. Les captures mondiales sont passées d’environ 20 millions de tonnes au début des années 1950 à quelques 85 millions de tonnes à leur maximum historique à la fin des années 1980.
# Les atteintes aux paysages. La déforestation, l’urbanisation, l’extension des zones industrielles et d’activités, la « bétonisation » des côtes. Ainsi, avec 3 milliards d’urbains et environ 500 villes de plus de 1 million d’habitants, l’emprise spatiale des villes ne cesse de s’étendre dans le monde. Elles impriment leur marque sur l’environnement bien au-delà de leurs strictes limites : par le rejet de déchets, par l’approvisionnement en nourriture, énergie, eau, produits manufacturés. La ville aujourd’hui n’est plus une agglomération au sens strict du terme, avec son centre bien délimité et ses faubourgs distincts des campagnes mais une aire, une région urbaine éclatée, qui s’étale au détriment des zones rurales et de leurs activités, constituée d’une mosaïque de milieux reliés par des infrastructures et équipements qui coupent et fragmentent les campagnes environnantes. De mieux en mieux reliées les unes aux autres par des centres secondaires, elles forment des conurbations.
# Les pollutions atmosphériques. Actuellement, le monde émet environ 22 gigatonnes (GT) de gaz carbonique par an. La quantité absorbable de la planète n’étant que de 11 GT de gaz carbonique, nous en produisons déjà deux fois trop. Nos droits d’émission par habitant ne devraient pas dépasser 1,8 tonne de gaz carbonique alors qu’ils atteignent le double (3,6 tonnes). Avec la perspective de 9 milliards d’êtres humains en 2050, il faudrait réduire le quota individuel à 1,2 tonne par an, ce qui reviendrait à diviser par 10 la consommation des Américains ou par 5 celle des Européens. Certains climatologues placent même la barre à 500 kg, afin de réellement contrecarrer le réchauffement climatique : cela correspond à la pollution émise par un avion lors d’un aller-retour Paris-New York…
3. Le réchauffement climatique est le symbole des nouveaux risques environnementaux globaux.
Le chimiste suédois Svante Arrhénius énonce pour la première fois en 1896 la théorie du réchauffement de la planète et expose les liens de ce dérèglement climatique avec l’utilisation industrielle des combustibles fossiles. Les pollutions industrielles et domestiques occasionnent une altération de la couche d’ozone qui elle-même entraîne, dans des zones de plus en plus vastes, l’augmentation du rayonnement ultra-violet ; l’effet de serre* additionnel, d’origine anthropique, engendre une transformation des climats et des phénomènes extraordinaires (El Nino*). Les experts montrent qu’il existe une corrélation étroite entre la courbe de l’évolution des températures et celle des gaz à effet de serre dont le plus connu (mais pas le seul) est le dioxyde de carbone : celui-ci piège en effet la chaleur. La planète se serait réchauffée, selon les experts du GIEC9, de 0,3 à 0,6° C au cours du XXème siècle et, entre 1990 et 2003, la planète aurait connu 11 des 13 années les plus chaudes depuis 186010. Pour le siècle à venir, les modèles prédictifs du GIEC font état d’une hausse moyenne des températures comprise entre 1,4 et 5,8°C.
Pourquoi ce réchauffement ?

- Il y a bien sûr des explications naturelles, à relier aux cycles climatiques et à l’effet de serre naturel, sans lequel la Terre serait d’une trentaine de degrés plus froide et la vie serait différente.

- Mais il y a également des explications anthropiques, qui pour la majorité des scientifiques sont prédominantes : l’effet de serre additionnel, lié à l’émission des gaz à effet de serre* provoqué lui-même par l’industrialisation et les transports, en particulier automobile et aéronautique.


De ce fait, d’après ces experts, on doit s’attendre à une multiplication et à une intensification des événements climatiques extrêmes (tempêtes, cyclones, inondations, canicules, sécheresse, coups de froid…) et à un relèvement général du niveau des océans. Les continents se réchaufferaient plus vite que les océans et les régions polaires plus rapidement que les régions équatoriales : plus les océans se réchauffent, plus les tempêtes sont fréquentes. Il y aurait également davantage de pluies torrentielles et inondations du fait de la hausse de l’humidité de l’air au-dessus des océans et des continents (le réchauffement climatique accroît bien sûr l’évaporation). Les spécialistes du climat ont montré que les précipitations tendent également à se relocaliser. Dans l’Arctique, en 40 ans, la banquise a diminué de 40 % (en épaisseur et en étendue), c’est-à-dire qu’elle a perdu 1,5 millions de km2. Or, la banquise réfléchit 90 % du rayonnement solaire et joue un rôle important dans le refroidissement général des océans et continents ; en revanche, une fois la banquise fondue, les mers libres ne réfléchissent plus que 10 % du rayonnement solaire, dès lors elles se réchauffent rapidement et le phénomène est ainsi cumulatif. Si bien que le pôle Nord se réchauffe plus vite que toute la planète, d’où des perturbations graves dans la circulation atmosphérique et dans le système des courants marins (Gulf Stream).

D’autres savants, minoritaires, contestent l’analyse faite par le GIEC11. Certains estiment les chiffres annoncés trop alarmistes ; d’autres doutent que l’activité humaine soit la principale cause du réchauffement et rappellent que, dans le passé, la Terre a déjà connu des températures beaucoup plus élevées. Peu importe finalement la validité de leurs arguments. L’essentiel est que l’immense majorité des medias et de l’opinion se soient ralliées aux conclusions du GIEC et que les gouvernements, sous leur pression, soient amenés à prendre des positions fermes sur ce sujet.

II. L’environnement repensé
La prise de conscience, assez soudaine et brutale dans les décennies 1970 et 1980, de ces graves risques environnementaux, fonde un nouveau rapport des hommes à leur environnement.
1. Le combat des écologistes est ancien.
 Les écologistes n’attendent pas les années 1970 pour s’intéresser à la sauvegarde de la Planète. Avant de devenir un courant politique, l’écologie fut d’abord une science. Elle connaît ses prémisses avec les travaux des savants naturalistes européens, notamment anglais, au XVIIIème siècle. Mais elle naît véritablement en Allemagne dans la deuxième moitié du XIXème siècle avec les travaux d’Ernst Haeckel, zoologue et biologiste, qui crée le terme. Sa racine étymologique est grecque, oikos, qui signifie « maison » et logos, « discours » : la science de la maison, c’est-à-dire son administration, sa gestion. L’écologie fut d’abord un discours scientifique étudiant les « écosystèmes* » comme des chaînes naturelles naturellement ordonnées et rationnelles que l’action de l’homme vient perturber.

Le dogme de l’équilibre de la nature que les premiers « écologues » propagent, largement utopique, contribue à voir dans l’homme un agent perturbateur auquel il faut arracher une part croissante de nature vierge. Ils mettent en avant la dimension esthétique et religieuse de la nature. Ils obtiennent une reconnaissance rapide au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, l’action de l’écrivain Henry David Thoreau, du naturaliste John Muir de l’Université du Wisconsin, fondateur du Sierra Club, ou celle du savant de Philadelphie Ferdinand V. Hayden contribuent à la mise en place d’une politique « conservationniste » fédérale, avec l’idée qu’il faut mettre certains espaces naturels hors de portée des déprédations des sociétés humaines : dans cette optique est créé le premier parc naturel (Yellowstone), en 1872. En 1913 est fondée à Londres la British Ecological Society.
Par extension, l’écologie devient progressivement un courant politique et une pratique dont l’objectif prioritaire est de préserver l’environnement. Au cours du XXème siècle, des scientifiques alertent périodiquement le grand public sur les conséquences environnementales désastreuses du triptyque industrialisation/urbanisation /modernisation agricole. Aux Etats-Unis, dès les années 1930, l’Administration Roosevelt doit légiférer en matière environnementale après la catastrophe du Dust Bowl*. Les premières alertes mondiales sont déclenchées dans les années 1940 et 1950 : ainsi en 1947, le zoologue américain Fairfield Osborn proclame la civilisation en danger en raison de la « guerre de l’homme contre la nature » dans son ouvrage La Planète au pillage.
Avec l’industrialisation rapide dans les années 1960, de nouveaux phénomènes décrits par les experts écologistes inquiètent le grand public :

- les perturbations climatiques : des liens sont alors établis entre la pollution de l’air et les problèmes de santé ;

- les pluies acides*, en particulier dans la région des Grands Lacs américains ;

- la déforestation : la proposition de la FAO de défricher de vastes surfaces de la forêt en Amazonie et en Amérique centrale pour faire face à la forte augmentation de la population mondiale est un premier choc ;

- les marées noires : le naufrage du Torrey-Canyon en 1967 et le déversement de 130 000 tonnes de pétrole au large de la Bretagne ont amené à une prise de conscience brutale, encore plus générale.
La thèse du « conflit de reproduction » entre sociétés riches et pays pauvres est en vogue. Au milieu des années 1960, l'économiste américain Kenneth Boulding compare la terre à un vaisseau spatial au sein duquel les populations et leurs besoins s'accroissent12. Dans cet espace clos, on observe un « conflit de repro­duction » entre les sociétés riches et celles qui aspirent à les rattraper. Les pays riches accusent les pauvres de ne pas contrôler leur croissance démographique et de vouloir s’industrialiser rapidement en usant inconsidérément les ressources naturelles fossiles. Les pays pauvres accusent les riches de chercher à les empêcher de se développer.
L’écologie politique est ainsi à la pointe des combats de « 1968 », militant à la fois pour la défense de l’environnement, contre la guerre, pour le tiers mondisme et pour une nouvelle manière de faire de la politique. Ainsi, de nombreux militants viennent à l'écologisme dans la continuité d'un engagement pacifiste contre la guerre d'Algérie ou la guerre du Viêt-nam. Le mouvement écologiste allemand est né de la convergence des courants pacifistes, antinucléaire et des groupuscules d'extrême gauche issus de mai 1968. La dimension subversive, sinon révolutionnaire, de l’écologisme politique est alors évidente, car l’écologie recherche une « alternative » au capitalisme individualiste et marchand, comme en témoigne la formule de Cornelius Castoriadis13 :

L’écologie est subversive car elle met en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète. Elle en récuse le motif central, selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation. Elle montre l’impact catastrophique de la logique capitaliste sur l’environnement naturel et sur la vie des êtres humains.
2. Il faut attendre les années 1970 pour qu’apparaisse une mobilisation écologique à grande échelle.
Les premières théories de la décroissance fleurissent au début des années 1970, à la suite notamment des travaux de l’agronome français René Dumont : «  Nous avons oublié que la croissance est réalisée aux dépens de la capacité de production de la planète ». Le fameux rapport Meadows (1972), commandé par le Club de Rome, vient donner un retentissement mondial à ces thèses. Pour la première fois apparaît l’idée que les ressources terrestres sont limitées et qu’elles peuvent en s’épuisant stopper net le développement. Le rapport met en avant la menace d’effondrement irrémédiable de la croissance vers l’an 2000 et réactive les théories malthusiennes : l’accroissement des populations et des productions mondiales doit être stoppé. Le rapport est traduit en 29 langues, le titre français, Halte à la croissance ?, renforce son effet d’avertissement-choc. Est posée la question d’une « croissance zéro » pour le Nord afin de compenser d’une part les écarts de plus en plus grands entre Etats développés et Etats en développement et d’autre part de stopper les dépenses énergétiques.
 En toile de fond, les mouvements écologistes se consolident grâce à leur combat contre le nucléaire. La mobili­sation contre le développement du nucléaire civil est contemporaine de l'installa­tion des centrales de première génération : les premières manifestations ont lieu devant les sites des premières centrales. En France, les premiers grands rassemblements ont lieu en 1971 à Fessenheim dans le Haut-Rhin et à Bugey dans l'Ain. En Allemagne ou au Japon sont organisées des actions ponctuelles dans le cadre des « initiatives de citoyens », Bürgerinitativen en Allemagne ou « Mouvement habitant » au Japon.

Formés sur une base associative comme dans le cas français ou à partir d’une base politique régionale comme dans le cas allemand, les mili­tants écologistes refusent longtemps toute organisation nationale permanente et structurée.

Ainsi, en France, la transformation des groupes de pression écologistes en parti politique s'est réali­sée contre l'avis de la majorité des militants : c’est la naissance en 1982 du premier parti écologiste français, baptisé « Les Verts-parti écologiste ». Il affirme d'emblée sa différence sur l'échiquier politique en se dotant d'une direction collégiale et en inscrivant dans ses statuts que les adhé­rents sont tenus de compléter leur action politique par des activités asso­ciatives. Les respon­sables politiques continuent en outre d'exercer leur profession (ainsi Antoine Waechter est ingénieur et Dominique Voynet médecin anesthésiste).

En Allemagne, plusieurs mouvements de contestation « citoyens » mutent en partis régionaux pour se faire mieux entendre : par exemple, le Parti de protection de l'Environnement de Basse-Saxe. Le Landtag de Brême est le premier à ouvrir ses portes aux Verts en 1979. Cette même année, différentes tendances écologiques s'entendent pour présenter une liste commune aux élections européennes. Cette entente débouche en 1980 sur la créa­tion du parti national des Verts, Die Grünen. A sa suite, les partis verts allemands proposent une organisation modèle, étant les premiers à imposer la parité au sein de leur état-major, à interdire le cumul entre mandat électif et responsabilités dans le parti, à soumettre les postes à responsabilités à un système de rotation automatique.

En revanche, dans les pays anglo-saxons, le système électoral bipartisan empêche la constitution de partis écologistes. Ainsi, au Royaume-Uni, les Verts n'ont jamais obtenu un seul siège à la Chambre des Communes. Cela ne signifie pas que les verts soient absents du paysage politique, mais ils conservent la forme d'un mouvement social, d'autant plus radical qu'ils ne disposent pas d'une tribune à la Chambre.
C’est dans ce contexte de mobilisation que se tient la première conférence internationale sur l’environnement. Elle est dans les esprits depuis la proposition initiale faite par la Suède en 1968, mais le rapport Meadows accélère les choses.

Effective en 1972, la CNUEH (Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain) réunit à Stockholm la plupart des Etats du monde, à l’exception de l’URSS et des démocraties populaires. Les discussions amènent à entériner vingt-six principes qui font des questions du développement et de l’environnement des enjeux internationaux. Le concept d’ « écodéveloppement » naît alors : il met en avant l’importance des aspects environnementaux dans une définition du développement jusqu’ici centrée sur l’enrichissement de la société et la redistribution équitable des fruits de la croissance.

Ainsi, les travaux et discussions de Stockholm témoignent-t-ils d’un nouveau souci de protection de la planète et d’utilisation plus parcimonieuse des ressources. Néanmoins, des divergences d’intérêts existent dès le départ. Les représentants du pays du Nord et ceux du Sud ont envisagé la réunion dans des perspectives différentes : le Nord insiste sur les risques environnementaux globaux et sur le partage de la responsabilité à leurs égards ; le Sud se concentre sur la problématique du mode de développement et conteste l’imposition de nouvelles conditions à ses progrès économiques sous prétexte de protection environnementale.

Un Programme des Nations Unies sur l’Environnement (PNUE) est créé à la suite de la conférence. Gagnés par l’ « esprit de Stockholm », un grand nombre de pays industriels se dotent de ministères et secrétariats d’Etat à l’environnement (110 pays au total au début des années 1980), tandis que les pays de l’OCDE votent de grandes lois sur l’environnement : 31 au total entre 1972 et 1975. Aux États-Unis est créée l'Environment Protection Agency (EPA) en 1970, qui fait office de secrétariat d'État à l'environnement, et au Japon un Secrétariat d’Etat à l’Environnement en 1971, la même année qu’en France. L'existence de ministères ou secrétariats autonomes en charge de l'environnement change la donne pour les partis écologistes qui sont tentés de se rap­pro­cher des autres formations politiques afin d'influencer la politique environnemen­tale du gouvernement et pour obtenir des responsabilités au sein de ces nouvelles structures administratives.
3. Dans les années 1980-1990 émerge le concept de « développement durable ».
Les années 1980 confirment les symptômes de la crise environnementale, certains événements renforçant l’impression d’une catastrophe écologique planétaire : les impacts de Seveso (1976) et de Three Miles Island (1979), les catastrophes spectaculaires de Bhopal (1984), de Tchernobyl (1986), de l’Exxon Valdez (1989) (cf. chronologie) Pourtant, des débats farouches s’engagent entre spécialistes pour prendre la véritable mesure des atteintes à l’environnement : certains chiffres catastrophistes sont mis en cause (concernant notamment la déforestation en Asie du Sud-Est ou la désertification en Afrique), d’autres phénomènes sont au contraire minimisés voire niés (le nuage radioactif de Tchernobyl)..
L'environnement fait durablement son entrée alors en politique, en trois étapes.
« La première étape est la
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