Cognition animale Pour survivre, les moules vivent en bandes Vu de haut, cela ressemble un peu à une peau de zèbre. Lorsqu'elles sont en groupe sur le sable, les moules ne s'installent pas n'importe comment : elles dessinent des figures labyrinthiques très structurées qui, à grande échelle, forment de larges bandes. Comment les coquillages parviennent-ils à créer ces motifs et, surtout, pourquoi ? Les scientifiques du Centre de recherches sur la cognition animale (Laboratoire CNRS Université Toulouse 3), à Toulouse, en collaboration avec leurs collègues hollandais et britanniques (Institut néerlandais d'écologie, Université d'Utrecht, Université de Bangor), ont mené l'enquête : les structures sont issues d'une véritable « auto-organisation » des individus, et leur donnent un avantage écologique en améliorant leur survie. « Les processus d'auto-organisation jouent un rôle très important dans les systèmes vivants, indique Guy Theraulaz, membre de l'équipe. Ils sont présents chez de nombreux animaux vivant en groupe ou en sociétés, chez les bactéries et même chez les humains. Ce sont par exemple eux qui permettent aux fourmis de développer une forme d'intelligence collective et de construire des nids d'une remarquable complexité. » Pour savoir si les structures spatiales des communautés de moules étaient aussi le résultat de processus d'auto-organisation, les scientifiques ont étudié, en laboratoire, la manière dont elles les formaient. Des moules ont été placées dans des bacs remplis uniquement d'eau de mer. En une seule journée, des motifs similaires à ceux observés dans leur environnement naturel sont apparus. « Ils ne peuvent être que la conséquence d'interactions entre les individus, puisque dans notre expérience, il n'y avait aucun élément perturbateur, comme une hétérogénéité du substrat ou des algues en suspension, par exemple », explique Guy Theraulaz. L'analyse du comportement des mollusques et la construction d'un modèle numérique ont permis ensuite de préciser les conditions nécessaires à l'apparition des motifs. Trop peu nombreux, les coquillages forment des grappes isolées. Lorsque la densité augmente, les figures labyrinthiques apparaissent. Jusqu'à un certain point, au-delà duquel les moules préfèrent s'installer ailleurs. La taille des grappes et la forme des structures seraient donc optimisées. Mais pourquoi ? Le taux de survie apporte la réponse : plus les moules sont organisées, plus elles vivent longtemps. Non seulement les individus grandissent plus vite, probablement à cause d'une moindre compétition entre eux, mais les communautés résistent aussi mieux au ressac. « Nous souhaitons maintenant aller plus loin dans la compréhension des mécanismes d'auto-organisation et de leur rôle dans l'équilibre et l'évolution des communautés et des écosystèmes », indique Guy Theraulaz. Les scientifiques chercheront également à savoir si les fameux mollusques sont capables de faire des choix collectifs, à l'instar des insectes sociaux.
Fabrice Demarthon
Contact Guy Theraulaz, theraula@cict.fr
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Chimie Une double hélice plus vraie que nature C'est une première à l'échelle du micromètre (1 micromètre = 10– 6 mètre). Des chercheurs du groupe « Colloïdes et matériaux divisés », au laboratoire « Liquides ioniques et interfaces chargées » (LI2C) (Laboratoire CNRS ESPCI Université Paris 6), à Paris, et leurs collègues new-yorkais du Center for Soft Matter Research ont obtenu la formation spontanée d'une structure en double hélice qui fait étrangement penser à celle de l'ADN. Il s'agit d'un assemblage de colloïdes, de minuscules billes de silice qui se sont organisées d'elles-mêmes en double hélice. L'objectif premier des chimistes ? Mieux comprendre pourquoi ces objets dits chiraux, c'est-à-dire qui n'existent que sous deux formes miroirs l'une de l'autre, à l'image de nos mains, sont si abondants dans la nature. Grâce aux colloïdes, mélange homogène de liquide et de petites particules en suspension, il est en effet possible de mimer le comportement collectif des atomes. Et donc de tenter de savoir pourquoi ces derniers s'assemblent de façon dissymétrique et forment si souvent des molécules chirales. « La nature l'a inventé mais recréer cet assemblage à une échelle mille fois plus grande, par des méthodes simples et efficaces, s'est révélé très compliqué », avoue Jérôme Bibette, directeur du groupe « Colloïdes et matériaux divisés ». Et il a fallu des années de recherches à nos scientifiques pour réussir à obtenir une double hélice colloïdale, et chirale par définition, puisque les hélices peuvent tourner vers la droite ou vers la gauche. La recette ? Des particules de silice de 1 et 2 micromètres collées deux à deux. Sous l'effet d'un champ magnétique, ces doublets dissymétriques s'assemblent en quelques minutes pour former une double hélice. « Pour que des doublets ne s'empilent pas n'importe comment mais en spirale, le rapport entre la taille des deux sphères doit être compris entre deux et trois », commente Jérôme Bibette. Des règles de construction finalement très simples qui expliqueraient pourquoi les formes hélicoïdales sont si abondantes dans la nature, chez les protéines par exemple. Les chercheurs ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Prochaine étape : disposer de doubles hélices plus longues et capables de s'auto-assembler plus rapidement afin d'en étudier les propriétés. Car ces objets créés pour comprendre la nature pourraient avoir d'autres applications. « Des molécules chirales en forme d'hélice pourraient se mettre à tourner ou nager sous l'effet de la lumière par exemple, imagine déjà Jérôme Bibette. C'est à vérifier, bien sûr, mais ce type de structure laisse envisager des matériaux très évolués. »
Laurianne Geffroy
Contact Jérôme Bibette, jerome.bibette@espci.fr
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