télécharger 101.14 Kb.
|
![]() De la crise de la médecine libérale à son industrialisation Nicolas DA SILVA1 1 EconomiX, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, niconds@hotmail.fr Abstract. Si historiquement la puissance publique a privilégié l’instrument tarifaire pour réguler l’activité de la médecine libérale, désormais elle cherche à contrôler les pratiques par des normes chiffrées – c’est dire à industrialiser la production des soins. L’objectif de cette communication est de fournir une analyse de cette évolution en soulignant le fait qu’il ne s’agit pas d’une « rationalisation » mais du produit de rapports de force historiquement situés. Keywords: industrialisation, certification, médecine libérale, médecine fondée sur les preuves, soin, santé. A.IntroductionAvec l’entrée dans le régime d’accumulation postfordiste, l’Etat social s’est transformé peu à peu en Etat néolibéral qui « fait son marché » (Batifoulier et al., 2007) : il organise la concurrence entre producteurs dans le champ de la santé comme ailleurs. En médecine de ville, ce New Public Management prend la forme traditionnelle d’une régulation par les prix qui pèse principalement sur les usagers et la demande de soins, laissant aux médecins libéraux leur liberté tarifaire (Pierru, 2007). Le renoncement au contrôle des honoraires rend le prix de l’acte plus cher et, pour certains patients, la maladie n’est plus seulement une épreuve physique et mentale mais aussi une épreuve financière (Batifoulier, 2014). Neamoins, il semble que cette politique de prix soit peu à peu supplée par la régulation des pratiques médicales (Da Silva et Gadreau, à paraître). L’Etat cherche aujourd’hui contrôler les pratiques thérapeutiques et prescriptives par l’intermédiaire de dispositifs de gestion tels que des démarches qualité, des agences de santé, des normes de bonnes pratiques et même des mécanismes de paiement à la performance médicale (Bloy et Rigal, 2012, Setbon, 2000). Afin de maîtriser les dépenses de santé et d’améliorer la qualité des pratiques, la puissance publique prétend désormais industrialiser la production des soins. Traditionnellement fondée sur la singularité de la relation patient-médecin, l’activité médicale doit se rapprocher au plus près du respect inconditionnel de normes impersonnelles. Nous cherchons ici à analyser l’évolution historique de la régulation de la médecine libérale de façon comprendre cette logique d’industrialisation de la qualité des soins. Dans une première partie (B.), nous analyserons la crise qui touche la médecine libérale depuis la fin des années 1970 et rend plausible l’évolution de la politique publique (des prix aux pratiques). Cette crise est multiforme dans la mesure où elle prend sa source non seulement dans la crise économique mais aussi dans la crise du régime de la preuve propre au champ médical (rôle de la Médecine fondée sur les preuves) et dans la crise de confiance vis-à-vis de la figure du médecin (Benamouzig et Besançon, 2005, Keel, 2011). Dans la seconde partie (C.), nous mettrons en évidence les différentes étapes visant à instituer la nouvelle représentation de la qualité des soins. L’industrialisation suppose successivement la définition du produit, la certification du produit, le recueil des informations sur la production et l’incitation à la modification des comportements. En mettant en évidence tout le processus d’institutionnalisation de la régulation par les pratiques nous souhaitons ainsi démontrer que cette politique publique n’est pas « naturelle » mais qu’elle est le résultat des rapports de force consubstantiels à l’évolution du capitalisme. Il n’y a pas de transformation des structures sans action transformatrice c’est-à-dire sans action politique (Théret, 1990). B.Les crises de la médecine libéraleL’industrialisation de la médecine libérale n’est pas le produit d’une histoire linéaire qui voudrait que les progrès de la science médicale soient immédiatement et intégralement transposés dans la politique publique. L’évolution de la régulation de la médecine libérale a nécessité certaines conditions de possibilité que sont une crise du régime de la preuve (B.1.), une crise de confiance (B.2.) et une crise économique (B.3.). Dès lors, on peut contester la prétention de la présente régulation (par les pratiques) à être une rationalisation. |