Le rôle des réseaux relationnels et les mécanismes de proximité dans la construction de l’attractivité territoriale :
Le cas du développement exogène de la région de Kalouga en Russie par l’implantation d’EMN françaises Olivier KERAMIDAS
Maître de Conférences à l’Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale,
Laboratoire CERGAM, Aix-Marseille Université.
@ : olivier.keramidas@univ-amu.fr Ekaterina LE PENNEC
Doctorante de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, IAE,
Laboratoire GREDEG - UMR 6227 – CNRS.
@ : lepennecekaterina@gmail.com Sarah SERVAL
Doctorante de l’Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale,
Laboratoire CERGAM, Aix-Marseille Université.
@ : sarah.serval@univ-amu.fr
Christelle ZELLER
Doctorante de l’Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale,
Laboratoire CERGAM, Aix-Marseille Université.
@ : christelle.zeller@univ-amu.fr Résumé : Cette communication propose une vision dynamique de l'attractivité, en termes de capacité, suggérant l'émergence d'un acteur collectif pour une co-construction du territoire et de ses ressources (Colletis-Wahl, 2008). L’objectif de notre recherche n'est pas d'en relever les facteurs d’attractivité mais bien de comprendre comment, dans la pratique, se construit l’attractivité du territoire et comment les interactions s'organisent autour d’un système de gouvernance territoriale pour rendre le territoire attractif. Nous nous appuyons sur une approche « chemin faisant » de l'attractivité par le biais des mécanismes de proximité (Pecqueur et Zimmermann, 2004) et nous articulons la problématique suivante : dans quelle mesure le réseau relationnel territorial permet-il la construction de l’attractivité territoriale au regard de la proximité ? Afin d’y répondre, nous clarifions dans un premier temps les concepts d’attractivité, de proximité, de réseau relationnel territorial et de gouvernance territoriale. Nous décrivons ensuite la méthodologie de recherche adoptée qui s’inscrit dans une perspective interprétativiste, reposant sur l’étude qualitative d’un cas unique (Miles et Huberman, 1991). La troisième partie de cette communication présente le cas et ses résultats ; nous explorons notre problématique à travers l’étude de la région de Kalouga en Russie située à 70km de Moscou. L’attractivité territoriale de cette région s’est traduite par l’implantation de plusieurs EMN françaises et se voit présentée par les journalistes russes comme « l’eldorado des firmes françaises ». En observant la construction de proximités par le réseau relationnel territorial de Kalouga, nos résultats révèlent que son attractivité est notamment due à une ressource spécifique d’essence relationnelle que les acteurs publics ont su construire et développer en instaurant un système de gouvernance collaboratif (Ansell et Gash, 2007). Nous relevons que l’équilibre du système de gouvernance se manifeste par le passage d’une gouvernance publique à une gouvernance mixte, pour une implication des acteurs privés et publics engagés dans la co-construction de leur territoire. La recherche d’un système de gouvernance équilibré poursuit un processus itératif impliquant un savant dosage entre gouvernance formelle et informelle pour gérer la dualité autonomie-interdépendance et pérenniser le réseau.
Mots-clefs : Attractivité territoriale, réseau relationnel territorial, proximité, gouvernance territoriale
Le rôle des réseaux relationnels et les mécanismes de proximité dans la construction de l’attractivité territoriale :
Le cas du développement exogène de la région de Kalouga en Russie par l’implantation d’EMN françaises
INTRODUCTION : ENJEUX ET CONTEXTE MANAGERIAL DES STRATEGIES D’ATTRACTIVITE TERRITORIALE
Les territoires, en tant que systèmes ouverts (Moine, 2007), sont contraints par leur environnement extérieur. Dans cette perspective, le développement territorial s’envisage par une vision stratégique des réalités « cherchant à mettre en phase l’évolution d’un système local avec celle d’un système global » (Soldo, 2010 : 98). Plongés dans un environnement concurrentiel prégnant (Meyronin, 2009), les territoires mettent en œuvre des stratégies afin de construire un avantage concurrentiel permettant de distancer durablement leurs concurrents (Thisse et Ypersele, 1999 ; Maillat et Kébir, 2001 ; Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; Gérardin et Poirot, 2010). Les stratégies territoriales s’orientent massivement vers un objectif d’attractivité territoriale visant à rendre le territoire accueillant pour toute forme d’activité (Benko, 1999 ; Thisse et Ypersele, 1999 ; Camagni, 2005, 2006 ; Proulx et Tremblay, 2006 ; Thiard, 2007). En ce sens, l’action publique locale participe activement à la création d’une « offre de sites » (Jayet, 1993) sur le « marché de l’implantation » (Texier et Valla, 1992) entendu comme « le lieu de rencontre entre, d’une part, une demande entrepreneuriale de biens et services urbains permettant de créer, de reprendre, de réactiver ou encore de transférer un établissement, et d’autre part, une offre urbaine ayant pour objet d’attirer et d’ancrer les entrepreneurs » (Méchin, 2001, p. 26).
Le contexte managérial dans lequel les stratégies d’attractivité prennent forme est marqué par des mouvements historiques qui ont conduit l’action locale à se complexifier (Pierre, 2010). En effet, en management public territorial, il est admis que les mouvements de déconcentration-décentralisation et de désinstitutionalisation ont amené les territoires à concevoir l’action locale de manière stratégique, collective et concertée dans plusieurs régions du monde (Casteigts, 2003 ; Andrews et de Vries, 2007). Les collectivités territoriales, en charge du bien-être de ses citoyens-usagers, mettent en œuvre une vision d’avenir, une intention stratégique, afin d’assurer le développement de leur territoire (Hernandez, 2006 ; Huteau, 2006 ; Pierre, 2010). Le management territorial répond alors à une logique bottom-up, où chaque territoire cherche à mobiliser ses propres ressources pour assurer son développement en fonction de ses spécificités, plaçant au cœur de sa gestion les principes de concertation, de négociation et de participation (Hernandez, 2006). Le territoire n’est plus un simple support d’activité mais devient « un élément dynamique des stratégies territoriales » (Hernandez 2006). Désormais, le principe de gouvernance territoriale domine (Pierre, 2010) et les forces de l’auto-organisation se veulent constitutives d’un nouveau paradigme impliquant l’émergence d’un acteur collectif (Casteigts, 2003) pour animer et mettre en œuvre ces stratégies d’attractivité. La gouvernance territoriale est qualifiée de management en réseau (Peters et Pierre, 1998 ; Frederickson, 1999) où les liens hiérarchiques s’effacent (Pierre, 2010), supposant un partage du pouvoir (Chevalier, 2003) et un encastrement des parties prenantes privée et publique (Shively, 1994) dans les processus de décisions publiques locales (Argiolas et al., 2009) : « aucun acteur ne saurait à lui seul maîtriser les processus décisionnels ; prenant acte de la complexité des problèmes et de l’existence de pouvoirs multiples, il s’agit de coordonner leur action et d’obtenir leur coopération » (Chevalier, 2003 : 207) . En ce sens, les acteurs présentent de la diversité en termes de statuts, de compétences et de cultures (Le Gallès, 1995) nécessitant « de travailler au-delà des frontières temporelles, géographiques, politiques et culturelles » (Grenier, 2008 : 41). Par conséquent, la gouvernance territoriale et le management territorial définissent le contexte managérial dans lequel toute action publique locale prend forme et « ont donc pour objectifs et pour fonction la définition d'une stratégie, la coordination des acteurs impliqués et le pilotage de la mise en œuvre de la stratégie » (Pierre, 2010 : 58).
Dès lors, si les stratégies d’attractivité territoriale sont a priori impulsées par les collectivités territoriales qui élaborent une intention stratégique (Hamel et Prahalad, 1989) en vertu de leurs prérogatives (Hernandez, 2006), la mise en œuvre de leur dessein est soumise à une tension permanente entre action et contexte ; « elles [les collectivités territoriales] cherchent à structurer et à influencer le contexte sur lequel elles souhaitent agir, tout en étant elles-mêmes structurées et influencées par ce dernier » (Hernandez, 2008 : 56). Il existe en ce sens un décalage entre ce qui est voulu, ce qui est prévu et ce qui est effectivement réalisé. La stratégie d’attractivité territoriale ne peut s’appréhender que dans l’action du fait d’une dimension collective à la fois contraignante et habilitante ; elle devient observable « chemin faisant » (Rouleau et al., 2007), dans l’action et par la pratique (Johnson et al., 2006), afin de révéler le caractère dynamique et social de l'action stratégique (Jarzabkowski, 2002).
Dans cette perspective, nous proposons d’explorer la manière dont le réseau d’acteur territorialisé construit l’attractivité territoriale par des mécanismes de proximité. Pour ce faire, nous mobilisons le cadre théorique de l’école de la proximité (RERU, 1993) que nous articulons avec celui du réseau relationnel (Fulconis, 2000) pour comprendre comment s’est construit l’attractivité du territoire de la région de Kalouga en Russie ayant accueilli plusieurs EMN françaises à partir de 2007 (Lafarge en 2007 ; Faurecia, 2008 ; Gefco, 2009 ; L’Oréal, 2010 ; PSA, 2010). En ce sens, nous postulons que les mécanismes de proximité, initiés par un système de gouvernance territoriale, ont permis, au réseau relationnel territorial, de construire l’attractivité et d’accueillir de nouvelles activités sur son territoire. D’un point de vue plus pragmatique, notre recherche permet de relever les dispositifs et outils de gestion mobilisés par le réseau relationnel territorial de Kalouga pour attirer et faciliter l’implantation d’EMN françaises.
Nous présentons dans un premier temps notre cadre théorique qui s’articule autour du concept d’attractivité ; nous justifions ainsi le choix de l’école de la proximité pour observer l’attractivité d’un territoire, nous précisons la notion de réseau relationnel territorial, et nous abordons la question de sa gouvernance. Nous décrivons ensuite le design de la recherche qui s’inscrit dans une perspective interprétativiste, reposant sur l’étude d’un cas unique (Miles et Huberman, 1991), mobilisant un outillage méthodologique de type qualitatif. La troisième partie de cette communication présente le cas, celui de la région de Kalouga en Russie, ainsi que les résultats de notre recherche que nous mettons en perspective en guise de discussion.
CADRE CONCEPTUEL
Phénomène d’internationalisation des entreprises et concept d’attractivité territoriale
L'attractivité d'un territoire est une affaire de perception et en ce sens, c'est un concept dynamique qui résulte de l'interaction de multiples flux de perceptions qui construisent la valeur attractive d'un territoire perçu. L'attractivité du territoire se définit « comme la capacité d'un territoire à être choisi par un acteur comme zone de localisation (temporaire ou durable) pour tout ou partie de ses activités » (Gérardin et Poirot, 2010 : 27). La notion d'attractivité fonde sa légitimité sur l'importance des firmes multinationales dans l'économie et la dépendance des territoires par rapport à leur choix de localisation (Hatem, 2005). L'entreprise est qualifiée de multi-nationale (EMN) dans la mesure où elle opère une localisation à l'international de tout ou partie de sa chaîne valeur (Krugman, 1995). Cette localisation est définie comme « le choix des firmes de faire faire hors des frontières nationales ce qu'elles auraient pu faire dans leur pays d'origine (Mucchielli, 1998) » (Colovic et Mayrhofer, 2008 : 153). Les facteurs d'attractivité d'un territoire désignent, pour des investisseurs, « la capacité d'un territoire à leur offrir des conditions d'implantation de leurs activités » avantageuses, qui les incitent à s'implanter sur ce territoire (Gérardin et Poirot, 2010 : 32). D'après Gérardin et Poirot, l'attractivité d'un territoire sera évaluée par un investisseur au regard de trois composantes : « les caractéristiques de la demande des entreprises soucieuses de développer leurs projets, les caractéristiques du territoire lui-même et l'intensité de la concurrence entre les territoires » (2010 : 32). En ce sens, les facteurs d'attractivité pour un investisseur sont multiples et contextuels. Ils correspondent à une dialectique complexe entre les dimensions de l'offre recherchée, son coût et le niveau de qualité souhaité. Les dimensions de l'offre sont multiples et peuvent concerner la main d'œuvre disponible, les infrastructures du territoire, les services disponibles, la présence de fournisseurs ou encore l'existence d'un marché et d'une demande potentielle, le coût des facteurs de production, le dynamisme et la nature du tissu économique local, ainsi que les orientations des politiques d'attractivité locales (Mucchielli, 1998 ; Gérardin et Poirot, 2010). La combinaison de ces facteurs est propre à chaque entreprise ce qui complexifie la gestion de l’attractivité d’un territoire (Ferrara et Henriot, 2004). A travers son travail de recensement des travaux théoriques et pratiques liés à l'attractivité, Hatem (2005) identifie quatre grandes approches théoriques du concept ; l’approche par l’image du territoire, l’approche par les processus de décision, l'approche « macro » par les indicateurs globaux et l'approche « méso » par les effets d'agglomération d'entreprises. Nous proposons de détailler les apports théoriques de ces différentes conceptualisations de l’attractivité territoriale pour nous focaliser plus particulièrement sur l’approche « méso » qui constituera notre cadre théorique de référence. Conscients que toute typologie d'un corpus théorique entraîne une vision parfois arbitraire dans l'interprétation des travaux théoriques, nous faisons le choix, à l'instar des travaux de Duez (2009), de présenter ce corpus théorique tout en admettant l'existence de ponts et de frontières poreuses entre les différents courants. Premièrement, l’approche en termes d’image et l’approche par les processus de décisions renvoient à une vision managériale de l’attractivité. L'approche en termes d'image suppose une démarche marketing fondée sur un processus stratégique dont résulte la valorisation du territoire dans une perspective de différenciation afin d'accroître sa capacité à attirer des activités ciblées (Van den Berg et Braun, 1999). L’intérêt est ici porté au territoire et renvoie à une vision intégrative des processus managériaux afin de faire converger les efforts vers une démarche stratégique cohérente et porteuse de valeur (Bros-Clergue, 2006 ; Noisette et Valérugo, 2010). L'approche par les processus de décision se focalise sur l'analyse des différentes étapes menant un investisseur à formuler un choix de localisation. Dans le couple entreprise-territoire, l'intérêt est alors porté aux entreprises plutôt qu'à une analyse centrée sur le territoire ou la comparaison entre territoires. Dans cette perspective, plusieurs approches à dominante managériale peuvent être recensées. Premièrement, l'approche par le cycle de vie du produit permet de comprendre pourquoi l'entreprise s'internationalise à travers la recherche d'un allongement de ce cycle de vie par l'acquisition de parts de marchés étrangères où la demande n’a pas été ou peu exploitée (Vernon, 1966). Dans la recherche en management international, l'approche éclectique (OLI), notamment développée par Dunning (1988), fournit des clés de compréhension relatives aux modalités d'entrée de l'entreprise sur un marché étranger en soulignant la recherche d'optimisation des avantages retirés par l'internationalisation (Cheriet, 2010). Le paradigme éclectique explique l'investissement direct à l'étranger (par rapport au recours à l'exportation ou à l'utilisation de licence) par la combinaison d'avantages à la fois spécifiques à l'entreprise, liés à la localisation ainsi qu'à l'internalisation des activités à l'étranger. Si ces trois formes d'avantages ne sont pas réunis, l'entreprise choisira un autre mode d'entrée que celui de l'IDE. Dans une perspective plus compréhensive de l'internationalisation des entreprises, le modèle d'Uppsala (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975 ; Johanson et Vahlne, 1977) offre une perspective béhavioriste à travers une analyse processuelle et séquentielle de l'internationalisation. L'incertitude liée à la décision d'internationaliser conduit l'entreprise à rechercher la minimisation du risque. Cette gestion du risque s'opère par le choix d'un pays ayant une faible « distance psychique » par rapport au pays d'origine et par un engagement croissant, procédant ainsi par étapes : « l'exportation non régulière, l'exportation via un agent, la représentation commerciale dans le pays d'accueil et enfin la mise en place d'une filiale de production » (Cheriet, 2010 : 47). Le Gall (2011) relève également les apports des théories néo-institutionnelles pour expliquer le choix de localisation des firmes à travers les logiques isomorphiques résultant des diverses pressions auxquelles sont soumis les décideurs. Ces approches managériales nous aident à comprendre pourquoi et comment les entreprises localisent leurs activités à l'étranger (Colovic et Mayrhofer, 2008 ; Cheriet, 2010). Néanmoins, le choix de localisation n'est pas directement abordé et le rapport au territoire et à l'attractivité reste suggestif. Précisons que ces théories tendent à considérer le territoire comme un support d'activité et à minimiser son rôle en tant qu'acteur à part entière. Il faudra attendre les années 90 pour une territorialisation des problématiques liées à l'internationalisation des entreprises et un intérêt certain pour l'attractivité des territoires que l’on retrouve dans l’approche « macro » et « méso » à travers les travaux de l'économie des territoires. Les perspectives « macro » et « meso » de l’attractivité sont, pour leur part, de tradition économiste (Hatem, 2005). L'approche « macro » amène la notion d'attractivité en complément de celle de compétitivité qui témoigne d'un glissement paradigmatique de facteur de production fixe à facteur de production mobile. En ce sens, il ne s'agit plus seulement d'apprécier la dotation factorielle d'un territoire pour expliquer sa compétitivité mais bien sa capacité à attirer des activités. Dans cette approche, le territoire de prédilection est généralement celui des pays où l'on tente d'expliquer les investissements étrangers par un ensemble de grands indicateurs nationaux impliquant une méthodologie de type économétrique. La nature de la variable expliquée tend à confondre attractivité et localisation perdant ainsi le caractère dynamique de l'attractivité (Hatem, 2005). Dans une autre perspective, l'attractivité est considérée comme une affaire de perceptions et laisse place à un ensemble d'études de l'attractivité perçue par les investisseurs à travers la hiérarchisation de leurs critères de localisation et leur appréciation des différents territoires d'accueil. Cette approche permet de mettre en perspective les performances des territoires dans une optique de benchmarking. Hatem (2005) précise que ces travaux permettent de mettre en lumière certains facteurs de localisation clés qui dépendent de la nature de l'activité. L'approche « meso » de l'attractivité s'intéresse aux effets d'agglomération, dans la lignée des travaux de Marshall, et tente de « comprendre pourquoi une catégorie spécifique d'activités (secteur, fonction) sera davantage attirée par une zone particulière (de niveau en général régional ou infra-régional) » (Hatem, 2005 : 5). Contrairement à l'approche macro, ces travaux ne se focalisent pas sur les investissements étrangers. Si les recherches inscrites ici s'intéressent également aux comportements de localisation des activités, elles apportent une vision endogène de l'attractivité s'intéressant ainsi à la capacité d'un territoire de créer en interne les conditions favorables à l'émergence d'effets d'agglomération.
L’approche « meso » et l’école de la proximité pour une attractivité construite et dynamique en termes de ressource et de capacité
De manière plus précise, l’approche « meso » aborde l'attractivité par deux dimensions complémentaires. D'une part, l'implantation de nouvelles activités exogènes permet de créer ou de renforcer l'effet d'agglomération conduisant à l'atteinte d'une masse critique et à « l'arrivée de « chaînons manquants » dans les filières ou les compétences techniques locales » (Hatem, 2005 : 6). D'autre part, la stratégie d'attractivité peut reposer sur la présence a priori d'effets d'agglomération sur le territoire pour attirer de nouvelles activités exogènes en lien direct avec celles préexistantes de sorte à construire « une offre territoriale différenciée » correspondant aux besoins des activités exogènes ciblées. Dès lors, l'attractivité résulte de dynamiques endogènes et exogènes dans le sens où le développement endogène ainsi que l'attraction de nouvelles activités exogènes conduisent tous deux de manière complémentaire à rendre le territoire attractif (Hatem, 2005). L'approche « méso », formalisée par l'économie des territoires, permet d'introduire une analyse plus dynamique, moins normative et plus systémique de l'attractivité à travers son rapport au territoire. C'est ici une analyse dont l'objectif est de comprendre les dynamiques locales (Duez, 2009). L'économie des territoires recouvre un corpus théorique qui se décline essentiellement autour de deux grandes approches, la géographie socioéconomique et la nouvelle économie géographique. La Nouvelle Economie Géographique (NEG), dont les fondements sont issus des travaux de Krugman (1991, 2000), suppose une rationalité limitée des acteurs tout en conservant l'hypothèse de décisions optimales (Duez, 2009). L'objectif de la NEG vise à « réintégrer la dimension spatiale dans les modèles d’équilibre économique » (Hatem, 2005 : 5). La NEG explique la localisation d'activité économique par le résultat d'une dialectique complexe entre forces centrifuges de dispersion des activités et forces centripètes d'agglomération des activités (Crozet et Lafourcade, 2009). Ayant pour objectif de produire des inférences systématiques au moyen de formalisations mathématiques, cette approche se focalise sur l’analyse de la concentration d’externalités pécuniaires pour expliquer le regroupement d’activités et de populations dans quelques territoires, rejetant ainsi toute dynamique d’ordre sociologique (Duez, 2009). La géographie socioéconomique place au cœur de ses travaux la notion de rationalité située impliquant une rationalité limitée des acteurs et une action située dont résulte une cognition distribuée (Laville, 2000). Leur approche, marquée par la transdisciplinarité, tente de compléter l'analyse économique par une mise en perspective du territoire, de son histoire et de ses institutions. Les chercheurs inscrits dans ce courant s'intéressent alors à la coordination des acteurs, ses mécanismes et ses effets à la fois sur la performance des entreprises et du territoire. Ainsi, l'école californienne et davantage l'école française de la proximité opèrent un encastrement social de l'économie. L'école californienne (Scott, Storper et Walker), d'inspiration régulationiste, a une approche plus normative. A travers l'étude des clusters de la Sillicon Valley, cette dernière se fonde sur le concept néo-classique des coûts de transaction de Coase et Williamson pour expliquer les effets d’agglomération (Géneau de Lamarlière et Staszak, 2000). L'école de la proximité (Courlet, Colletis, Gilly, Pecqueur, Rallet, Torre, Zimmermann), quant à elle, trouve ses origines dans les recherches relatives aux Systèmes Productifs Locaux se tournant ainsi vers Marshall et d'autres sociologues et économistes italiens tels que Bagnasco, Becattini et Brusco (Géneau de Lamarlière et Staszak, 2000). Les auteurs de l'école de la proximité tentent de dépasser l'explication d'un avantage concurrentiel par de simples dotations factorielles génériques et standardisées (Colletis et al., 1998). Une telle explication est rejetée dans la mesure où elle conduit à une situation économique défavorable pour les territoires en raison d'une focalisation sur une compétitivité-prix entraînant des situations de surenchères néfastes dans une logique de développement territorial (Benko, 1999). Dès lors, pour dépasser cette approche, l'école de la proximité s'attache à expliquer l’attractivité territoriale et la formation d'un avantage concurrentiel à partir du concept de ressource spécifique. C'est ici une approche penrosienne renouvelée ; la ressource dépasse les frontières organisationnelles de la firme pour se situer sur un territoire où elle est l'objet d'une co-construction impliquant une pléiade d'acteurs en situation inter-organisationnelle. La spécificité d’une ressource territoriale s’explique par un ancrage territorial fort qui correspond à un « processus d’apprentissage collectif localisé » (Zimmermann, 1998 cité par Freyssignes, 2001 : 90). Une ressource spécifique suppose donc « la rigidité de la localisation de la ressource » (François et al., 2006 : 686) et implique les variables espace et temps pour une construction socio-cognitive et socio-culturelle (Colletis et Pecqueur, 1993). L’intensité de cet ancrage territorial est appréciée à travers ses dimensions géographique, culturelle et identitaire qui décline le couple ressource-territoire dans une perspective de long terme (Roux et al., 2006). Ainsi, une ressource spécifique, par opposition à une ressource générique, est à l'origine de la formation d'un avantage concurrentiel durable en raison d'une faible transférabilité (Colletis et Pecqueur, 1993) et d'un caractère unique voire inimitable (Maillat et Kebir, 2001). Les mobilisations de ressources spécifiques « fondent la différentiation du territoire » (Landel et Senil, 2009 : 6) et constituent des facteurs d'attractivité à privilégier (Colletis et Pecqueur, 1993, 2004). Les apports théoriques de ce courant permettent de déduire une dynamique territoriale à partir de la coordination des acteurs et pose donc le lien entre coordination et dynamique territoriale : « on retrouve comme hypothèse commune, la plupart du temps posée de manière implicite que c’est l’amélioration de qualité de la coordination (grâce au renforcement de telle ou telle forme de proximité) qui serait à l’origine des dynamiques territoriales » (Colletis-Wahl, 2008 : 253). L'approche « proximiste » s'intéresse en ce sens à la gouvernance locale des ressources spécifiques (Duez, 2009). En effet, la construction et l'exploitation de ces ressources, en ce qu'elles dépendent de la qualité de la coordination entre acteurs territoriaux hétérogènes, supposent une action collective par la construction de proximité (Colletis-Wahl, 2008). Le concept de proximité se décline autour de deux dimensions : une proximité d’essence spatiale et une proximité d’essence non spatiale (Rallet et Torre, 2004), cette dernière étant à son tour divisée en proximité institutionnelle et proximité organisationnelle. Nous obtenons ainsi une grille de lecture de l’action collective à trois dimensions : une dimension géographique, une dimension institutionnelle et une dimension organisationnelle (Pecqueur et Zimmermann, 2004). La proximité géographique correspond à la position relative des acteurs dans l'espace et à la distance qui les sépare en termes de temps et de coûts (Rallet et Torre, 2004). Cette proximité résulte donc de l'espace anthropique et des moyens de transports et de communication dont disposent les acteurs. Elle est en ce sens perçue selon qu'un acteur se sente plus ou moins physiquement proche d'un autre (Angeon et al., 2006). La proximité institutionnelle repose sur le partage de valeurs, de règles et sur l'existence d'un langage commun, de représentations collectives entre les acteurs (North, 1990 cité par Colletis-Wahl, 2008). Elle ne requiert pas d'interactions directes entre les acteurs (Bouba-Olga et Grossetti, 2008). La proximité organisationnelle, quant à elle, nécessite des interactions directes. Elle se matérialise par l'échange direct d'informations entre acteurs ou par l'émergence d'une action collective (Pecqueur et Zimmermann, 2004). L’articulation de ces formes de proximité et les interactions entre acteurs qui en résultent, sont considérées comme source d'externalités positives conduisant à l'ancrage territorial des firmes et au développement de l'attractivité territoriale (Camagni, 2005 ; Thiard, 2005). La vision de l'attractivité ici développée tend à confondre stratégie de localisation et logique d'ancrage territoriale (Le Gall, 2011). Notons par ailleurs que la dialectique étudiée n'est plus celle des forces d'agglomération/dispersion que l'on retrouve dans la NEG, mais la dialectique nomadisme versus ancrage territorial des firmes (Perrat et Zimmermann, 2003) connotant un rapport au territoire plus fort et plus profond dans l'analyse des dynamiques locales : « en interprétant la localisation sous l’angle des ressources, le territoire évolue pour ne plus être considéré comme un simple support des activités » (Le Gall, 2011 : 1).
Le réseau relationnel territorial et la gouvernance territoriale pour construire l’attractivité d’un territoire
L'identification des ressources spécifiques est difficilement observable dans la mesure où elles sont intangibles, « socialement complexes et historiquement déterminées » (Lorino et Tarondeau, 2006 : 316). Par ailleurs, les ressources spécifiques recouvrent à la fois les ressources en tant qu'intrants mobilisables et la capacité à mobiliser ces ressources. Dans la mesure où les ressources spécifiques territoriales sont « plurielles et débordent dans de nombreux cas la seule sphère productive » (Leloup et al., 2005 : 326), elles sont intrinsèquement liées à l'action et ne peuvent être envisagées que par les processus et les acteurs qui les mettent en situation. Ainsi, dans le cadre de l'observation empirique, « il en découle que ce sont les processus qui doivent être observés par les chercheurs en stratégie plutôt que les ressources » (Lorino et Tarondeau, 2006 : 319). En ce sens, pour mettre en perspective ces ressources spécifiques territoriales, nous souhaitons observer la construction de l’attractivité d’un territoire par les mécanismes de proximité, initiés par un système de gouvernance territoriale qui révèle les actions et modalités d’action d’un réseau d’acteurs territorial constitutif de ce que Casteigts (2003) nomme « l’acteur collectif ». L’intérêt est alors porté à la gouvernance du réseau que l’on appréhende comme « les modes de régulation des rapports entre différentes unités » (Ehlinger et al., 2007 : 155). Le terme générique de « réseau »1 définit un ensemble d'entités (objets, personnes, etc.) liées les unes aux autres avec un objectif commun, celui de faire circuler des éléments matériels ou immatériels entre chacune de ces entités suivant un ensemble de règles formelles et informelles. Le mot « réseau » est « cristallisateur de réflexions dans le monde des chercheurs » (Le Boterf, 2004). Selon Le Boterf (2004), l’émergence des réseaux tient « dans une nécessaire mobilisation de l’intelligence collective face à des situations complexes à gérer ; dans la recherche de la cohérence et de la convergence des contributions des acteurs dans des structures décentralisées ; dans l’émergence d’une culture de l’interactivité ; dans le fait tout simplement qu’il devient de plus en plus impossible d’agir avec compétence en restant isolé et sans coopérer avec les autres ». Les réseaux sociaux peuvent être considérés comme « un ensemble de méthodes, de concepts, de théories, de modèles et d’enquêtes (...) qui consistent à prendre pour objet d’étude non pas les attributs des individus (leur âge, leur profession, etc.), mais les relations entre les individus, et les régularités qu’elles présentent, pour les décrire, rendre compte de leur formation et de leurs transformations, analyser leurs effets sur les comportements individuels » (Mercklé, 2004, p.3).
Plusieurs travaux de recherche insistent sur le fait que l’appartenance d’un individu à un réseau assure tout d’abord son accès aux ressources de celui-ci et lui permet également de les partager avec des partenaires (Burt, 2004 ; Lazega, 2007). Par exemple, selon Forsé « la forme du réseau a une incidence sur les ressources qu’un individu peut mobiliser et sur les contraintes auxquelles il est soumis. Elle ne le détermine pas, mais elle explique que tout ne soit pas possible pour lui et que dès lors certains comportements ou stratégies soient, en raison de la position occupée dans le réseau, plus probables que d’autres » (Forsé, 2008 : 11).
D’après Fulconis (2000), le réseau peut se définir et être représenté au travers de cinq dimensions : les nœuds (acteurs du réseau), les connections (liens entre les nœuds), la structure créée par les connections, les propriétés opératoires et les flux qui circulent entre les nœuds (flux de nature tangible et intangible). Le réseau qui nous intéresse ici est d’essence territoriale ce qui suppose le rapprochement des « acteurs économiques et publics locaux autour de référents partagés » (Ehlinger et al., 2007 : 165). Nous qualifions ce réseau territorial de « relationnel » pour mettre en lumière l’ensemble des relations interpersonnelles qui relient les acteurs d’un territoire. L’intérêt se porte alors sur la gouvernance de ce réseau et ses propriétés opératoires qui « désignent, au sein d’une structure en réseau, l’ensemble des propriétés et des règles de fonctionnement dans le cadre des liens qui ont été établis entre les partenaires, définissent ce qu’ils font ensemble et de quelle manière ils le font. Les principales d’entre elles constituent les systèmes opératoires (les obligations contractuelles, les droits de propriété, les procédures de planification mais aussi de coordination, de contrôle etc.) et les dimensions culturelles (langages, objectifs, codes, valeurs, politique d’identité, formation…) » (Fulconis, 2000 : 123).
En effet, la question de la gouvernance du réseau territorial est avancée par la littérature comme variable explicative de la compétitivité du réseau (Mendez, 2005), de la valorisation des ressources spécifiques territoriales (Colletis-Wahl, 2008) et de la compétitivité des entreprises liées à ce réseau (Porter, 1998 cité par Ehlinger et al., 2007). Nous suggérons alors que cette gouvernance est à même d'expliquer l'attractivité d'un territoire par la qualité des formes relationnelles qu'elle porte et des dispositifs de coordination qu'elle met en place pour attirer et faciliter l’implantation de nouvelles activités. Dès lors, la gouvernance territoriale désigne « un processus de construction d’une compatibilité entre différentes proximités institutionnelles unissant des acteurs (économiques, institutionnels, sociaux, etc.) géographiquement proches, en vue de la résolution d’un problème productif inédit ou plus largement, la réalisation d’un projet local de développement » (Colletis et al, 2001).
La gouvernance du réseau relationnel territorial s’étudie essentiellement au regard de trois dimensions. Premièrement, il s’agit de l’arbitrage entre gouvernance formelle et informelle (Dyer et Singh, 1998) pour gérer la dualité autonomie-interdépendance (Assens, 2003 cité par Chabault, 2007). La gouvernance formelle se manifeste par les voies de la contractualisation et des liens institutionnels, permettant d'introduire une variable de contrôle et de régulation pour encadrer les relations inter-organisationnelles et pérenniser la dynamique du réseau (Mendez, 2005). La gouvernance informelle repose « notamment sur la confiance, l’encastrement (Gulati, 1995, Powell, 1990 ; Uzzi, 1997) et sur la réputation (Larson, 1992 ; Weigelt et Camerer, 1988) » ; le caractère informel et les mécanismes d'ajustement mutuel tendent à compenser la rigidité des arrangements bureaucratiques et contractuels (Chabault, 2007 : 4). Ensuite, il est question de préciser la structure de la gouvernance territoriale. Selon Mendez et Mercier (2006), cette structure est soit à dominante privée (les acteurs privés sont au cœur du système de gouvernance et en pilotent les dispositifs de coordination), privée collective (les acteurs privés qui pilotent le système de gouvernance se rassemblent au sein d’une structure représentative prenant généralement la forme d’association), ou publique (les acteurs publics impulsent, coordonnent et orientent le réseau relationnel territorial). Néanmoins, la réalité empirique présente une hybridation de ces types de gouvernance se rapprochant ainsi d’une structure mixte (Mendez et Mercier, 2006 ; Ehlinger et al., 2007 ; Chabault, 2007). Enfin, la troisième dimension qui nous intéresse ici repose sur le rôle managérial des acteurs et du système de gouvernance qualifié de « méta-management » (Ehlinger et al., 2007).
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