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Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de : Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt “Les Bérets blancs à la croisée des chemins.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Bertrand Ouellet et Richard Bergeron, Croyances et sociétés, pp. 173-185. Montréal: Les Éditions Fides, 1998, 500 pp. Collection: Héritage et projet, no 59. M Martin Geoffroy, sociologue, professeur adjoint de sociologie à l’Université de Moncton, nous a accordé le 25 août 2006 son autorisation de diffuser électroniquement cet article. ![]() Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman, 14 points. Pour les citations : Times New Roman, 12 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition numérique réalisée le 27 août 2006 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec, Canada. ![]() Les auteurs
Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt Respectivement sociologues et professeurs de sociologie à l’Université de Moncton et l’Université de Montréal “Les Bérets blancs à la croisée des chemins”. ![]() Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Bertrand Ouellet et Richard Bergeron, Croyances et sociétés, pp. 173-185. Montréal: Les Éditions Fides, 1998, 500 pp. Collection: Héritage et projet, no 59. Table des matières Droite catholique et intégrisme Méthodologie Un peu d'histoire... La doctrine du Crédit social L'épisode de Bayside Les Bérets blancs à la croisée des chemins Conclusion : les Bérets blancs, un groupe québécois non schismatique Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt “Les Bérets blancs à la croisée des chemins”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Bertrand Ouellet et Richard Bergeron, Croyances et sociétés, pp. 173-185. Montréal: Les Éditions Fides, 1998, 500 pp. Collection: Héritage et projet, no 59. Droite catholique et intégrisme Retour à la table des matières Cet article est le deuxième volet d'une recherche sur les catholiques de droite au Québec. Dans une publication antérieure 1, nous avons élaboré une typologie des groupes catholiques intégristes au Québec. Nous avions alors identifié quatre sous-types de communautés intégristes : les intégristes « schismatiques » d'origine étrangère (la Fraternité Pie-X), les intégristes non schismatiques d'origine étrangère (la Contre-Réforme catholique), les intégristes « schismatiques » québécois (les Apôtres de l'Amour infini) et les intégristes non schismatiques québécois (les Bérets blancs). Nous décrirons ici plus en profondeur la catégorie des « intégristes non schismatiques québécois » à travers une analyse succincte d'un groupe représentatif de ce sous-type : les Bérets blancs. Méthodologie Retour à la table des matières Notre investigation s'est déroulée en trois étapes : l'analyse qualitative de contenu de nombreux documents produits par les Bérets blancs, des observations sur le terrain et finalement quelques entrevues avec des membres du groupe. Nous avons jugé qu'il serait difficile, voire impossible, d'utiliser un questionnaire écrit dans le cas des Bérets blancs parce que ces derniers sont en général très méfiants à l'égard des personnes venant de « l'extérieur » et surtout des chercheurs universitaires 2. Nous avançons aussi l'hypothèse que la faible scolarité de plusieurs membres de ce groupe fausserait probablement les données recueillies à l'aide d'un questionnaire. Nous avons donc analysé plusieurs publications des Pèlerins en faisant porter principalement notre attention sur leur journal Vers Demain. Nous avons arrêté notre attention sur les contenus factuels, autant que sur les contenus latents ou symboliques. Ainsi, nous avons pu recueillir des informations sur l'évolution historique du groupe, sur sa doctrine économique, politique et religieuse, ainsi que sur ses valeurs importantes. Nous avons aussi assisté au congrès international annuel des Bérets blancs, à Rougemont au Québec, durant les années 1993, 1994 et 1995. Cette observation participante a pu être réalisée en respectant l'éthique scientifique parce qu'elle a eu lieu dans le cadre d'assemblées ouvertes au grand public, les informations étant alors du domaine public 3. Nous avons ensuite visité officiellement les Bérets blancs et leur avons présenté le but de notre recherche et ils ont accepté de nous recevoir pour une journée. C'est à cette occasion que nous avons eu plusieurs entretiens informels avec quelques Pèlerins. Nous avons finalement poursuivi ces entretiens plus en profondeur avec un des « permanents 4 » de la maison Saint-Michel dont nous avons accepté de respecter l'anonymat. Un peu d'histoire... Retour à la table des matières Il y a trois grandes périodes dans l'histoire des Bérets blancs : la première se situe entre 1935 et 1946. C'est la période de fondation qui vise essentiellement à propager l'enseignement du Crédit social aux masses. Le mouvement est surtout dominé à cette époque par son fondateur Louis Even. Le Crédit social comme doctrine économique a été élaboré par le major C.H. Douglas, un ingénieur-économiste écossais, surtout à partir de 1917. Au Québec, Louis Even, un ancien frère enseignant d'origine bretonne, découvrit la doctrine du Crédit social en travaillant comme typographe et ensuite en tant que traducteur pour la maison d'édition créditiste Garden City Press durant les années 1920. Il quitta cette maison d'édition en 1936 pour publier Les Cahiers du Crédit Social. En 1937, une jeune étudiante en lettres à l'Université de Montréal, Gilberte Côté, se joignit à lui. Ils fondèrent ensemble le journal Vers Demain en 1939 et l'Institut d'Action politique en 1940, dont la principale fonction était d'enseigner le Crédit social. Avec la fondation de l'Union des électeurs en 1942, les créditistes vont tenter l'aventure électorale en présentant des candidats aux élections provinciales et fédérales, mais les résultats seront plutôt désastreux. L'Union présenta des candidats dans pratiquement toutes les circonscriptions aux élections provinciales de 1944 et de 1948 et 22 candidats aux élections fédérales de 1945. Un seul candidat créditiste, Réal Caouette, fut élu pendant toute cette période. Au début, Vers Demain se veut surtout un journal économique, politique et social qui fait la promotion de la doctrine monétariste du Crédit social, qui s'attaque aux financiers, au dirigisme étatique et à la misère économique. Graduellement, la dimension religieuse va prendre de plus en plus d'importance chez les Bérets blancs et dans les pages du journal. La deuxième période débute en 1946 avec la publication du livre de Louis Evert, Sous le signe de l'abondance. C'est un ouvrage à caractère socio-religieux qui associe de près la religion catholique de droite et le Crédit social. Louis Even et Gilberte Côté coexistent comme figures de proue du mouvement pendant cette période. La doctrine plus idéologique du Crédit social de Even sera remplacée peu à peu pendant cette époque par le perfectionnisme austère et pieux de Gilberte Côté. Deux événements majeurs marquent la fin de cette période et le début de la troisième qui sera caractérisée par le leadership de Gilberte Côté-Mercier. Premièrement, Louis Evert, âgé alors de 70 ans, remet officiellement les destinées des Bérets blancs entre les mains de Gilberte Côté au congrès de 1957. Autre événement important, la création du Ralliement des créditistes le 4 mai 1958 par Réal Caouette qui va créer un schisme définitif entre l'aile électoraliste des créditistes et les éléments plus religieux rassemblés autour de Mme Côté. A partir de ce moment, les Bérets blancs deviennent un groupe de pression plutôt qu'un parti politique. Ils n'ont plus aucune visée électoraliste et dénoncent ouvertement les créditistes de Réal Caouette comme étant des pantins de la haute finance. Avec la construction de la maison Saint-Michel à Rougemont en 1962, les Pèlerins de Saint-Michel fondent une communauté 5 para-religieuse qui fonctionne encore comme telle aujourd'hui. Cette communauté « religieuse » possède sa hiérarchie, une maison-mère et une vocation spécifique. En fait, plus la société québécoise se sécularise, plus les Bérets blancs s'en retirent progressivement. C'est au début des années 1960 que Gilberte Côté-Mercier interdit aux Pèlerins de posséder un poste de télévision ou de l'écouter, isolant ainsi socialement encore davantage ses adeptes du monde moderne. En 1965, Gilberte Côté-Mercier veut lever une armée contre-révolutionnaire de 10 000 patriotes en réunissant sous la même bannière les forces catholiques de droite du Québec, mais elle se prive de certains appuis en écartant délibérément les Apôtres de l'Amour infini de sa croisade qui sera finalement un échec. Depuis ce temps, le torchon brûle entre ces deux groupes intégristes. Pendant un certain temps, les Pèlerins vont entretenir des relations cordiales avec Mg, Lefebvre, mais lorsque ce dernier sera finalement excommunié, ils se rangent du côté du magistère en rejetant encore une alliance potentielle de la droite catholique, ce qui démontre très bien le caractère « non schismatique » du groupe. Le seul lien que les Bérets blancs vont vraiment entretenir avec le monde extérieur pendant cette période se fera via la publication et la distribution porte à porte du journal Vers Demain et de sa version anglaise Michael. Cette radicalisation en vue de la formation d'une grande communauté religieuse et para-militaire s'est poursuivie pendant les années 1970 et s'est accentuée encore pendant les années 1980. La doctrine du Crédit social Retour à la table des matières Selon la doctrine du Crédit social, le pouvoir d'achat dont disposent les citoyens doit être égal aux prix à payer pour l'ensemble des produits mis en vente dans le pays. Seule la production doit engendrer la circulation de l'argent et c'est le rôle de l'État de maintenir un équilibre entre les produits disponibles et le pouvoir d'achat des citoyens. L'argent en circulation devrait toujours permettre l'achat de ce qui est produit et il ne devrait pas y avoir de limite à la production. Malheureusement, ce sont la haute finance et les banques qui contrôlent véritablement l'argent en circulation et les marges de crédit qui en découlent. Les Bérets blancs ont déjà associé malencontreusement la haute finance aux Juifs, ce qui leur a valu d'être taxés d'anti-sémitisme. La nouvelle production doit être financée par des crédits nouveaux et non par l'épargne individuelle ou nationale. Les crédits doivent être mis automatiquement au service de la capacité de production, à mesure que les besoins humains, d'ordre public ou d'ordre privé, se font sentir. Les impératifs de la production doivent être dictés par les consommateurs par l'entremise de l'État. Le système financier doit fournir autant l'argent pour produire des nouveaux biens que pour les acheter. Les revenus des individus doivent venir de moins en moins des salaires et de plus en plus d'un dividende social, obtenu de l'État et accessible à tous. Le citoyen devient alors un capitaliste copropriétaire du capital collectif et chaque membre de la société devient en quelque sorte un actionnaire auquel l'État doit verser un dividende sur les profits générés par ce capital collectif. Ce dividende remplacerait progressivement le salaire car les progrès technologiques tendent à éliminer de plus en plus l'emploi 6. Il est intéressant de noter que la thèse ici décrite n'a pas changé depuis la fondation des Bérets blancs en 1935. Ce sont surtout les moyens d'application et de légitimation du Crédit social qui ont changé. De plus, c'est avec le « schisme » de 1958 entre les créditistes « électoralistes » de Réal Caouette et les Bérets blancs de Gilberte Côté-Mercier que la conception politique du Crédit social va changer chez ces derniers. En effet, c'est à partir de ce moment qu'ils vont renoncer définitivement à faire passer leur projet économique et religieux par un Parti créditiste pour se transformer plutôt en un groupe de pression socio-religieux, ce qui va accentuer leur marginalisation dans la société et faire en sorte que leur projet sera de plus en plus perçu par le public comme étant une utopie de droite. Ce projet de société est basé sur trois piliers qui sont la religion, la famille et le Crédit social. Il est bien entendu question ici d'un modèle traditionnel de famille, où cette dernière est reconnue comme la cellule de base de la société. Par ailleurs, la conception de la famille des Pèlerins correspond bien à cette définition du modèle traditionnel de la sociologue Jocelyne Valois : Selon la conception traditionnelle, la famille est la cellule de base de la société, la pierre angulaire sur laquelle repose tout l'édifice social. Elle joue un rôle déterminant dans la bonne marche de la société : son fonctionnement selon les règles établies est [...] le garant de la bonne santé de l'organisation sociale. À l'inverse, la remise en question d'une de ces règles est considérée comme une menace pesant sur l'existence de la famille et de la société tout entière. [...] Il en est ainsi parce que telle est la volonté de Dieu. Inscrite au cœur même de la nature par le Créateur, la famille est vue comme ayant toujours existé et devant toujours exister. Les liens qui unissent les membres d'une famille sont sacrés, sanctionnés par Dieu lui-même grâce au mariage religieux et les liens du mariage sont indissolubles 7. Pour illustrer la perfection de ce modèle, les Pèlerins vont même, par l'entremise de leur journal Vers Demain, jusqu'à faire une relecture de l'histoire de la famille québécoise en plaçant la destruction du modèle traditionnel au centre de leurs préoccupations. En effet, ils prétendent que la dégradation et l'éventuelle disparition du modèle traditionnel est un complot franc-maçonnique pour détruire la société québécoise. Chaque paroisse formait une véritable famille et pourvoyait économiquement aux besoins de tous. [...] C'est par la fondation des paroisses et le miracle du berceau que les 70 000 Canadiens français, abattus par de longues années de guerre survécurent après la conquête de l'Angleterre. Les familles comptaient 8, 12, 15 et même 25 enfants. Respectueux des lois sacrées du mariage, les parents restaient unis et assuraient ainsi le bonheur et l'éducation chrétienne de leurs enfants. [...] Mais depuis 1960, avec le concours de nombreux Judas sortis de nos rangs, la franc-maçonnerie a entrepris la destruction et la déchristianisation de la famille par le lancement de la Révolution tranquille 8. Cette logique conservatrice fait en sorte que les Bérets blancs sont aussi anti-séparatistes et qu'ils associent souvent le nationalisme moderne au communisme. Dans une édition récente de Vers Demain 9, Gilberte Côté-Mercier résume la doctrine du mouvement en trois mots : le Verbe, l'Assomption et la Route. Par le Verbe, elle entend ici la personne de Jésus Christ, mais aussi la Parole de Dieu dans la Bible, une parole qui ne doit pas être interprétée mais respectée dans son intégralité. Par ailleurs, les Bérets blancs ont souvent un discours anti-technologique et apocalyptique. Ils associent les nouvelles technologies bancaires à la marque de la bête, soit le numéro 666. Ce nombre symbolise pour eux l'emprise du diable sur la terre. Pour avoir droit au dividende, on voudrait nous imposer la puce électronique injectée sous la peau, afin de contrôler tous nos achats et ventes et nous épier dans les moindres détails de notre vie privée, une dictature sans nom. Et on voudra nous forcer à renier notre foi catholique, chrétienne. Alors nous serons dans le gouvernement mondial satanique avec la marque de la bête, 666 10. Selon René Saint-Germain, il y aurait depuis le début des années 1980 une résurgence de la symbolique du 666 chez les intégristes catholiques 11. Les Bérets blancs seraient dans une catégorie dite « conspirationniste », c'est-à-dire des gens qui voient dans les progrès technologiques la menace d'une conspiration satanique inter-nationale. L'Assomption, dans la trilogie de Gilberte Côté-Mercier, illustre l'importance de la piété mariale dans la doctrine des Bérets blancs alors que la Route représente l'engagement apostolique des Pèlerins. Les pleins temps doivent faire du porte à porte pour vendre des abonnements au journal Vers Demain ; ces derniers vivent dans la pauvreté et l'abstinence de sexe, de cigarettes et d'alcool. Ils doivent rester célibataires et n'ont pas de revenu. Le code vestimentaire des « plein temps » est très strict : « les dames en robe attachée au cou, à manches dépassant le coude, et à jupe couvrant les genoux ; pas de transparents ni de collants ; et pas de pantalons. Les messieurs portent le veston 12. » Ils réussissent à survivre en quêtant leur gîte et leur nourriture chez de bons samaritains qui veulent bien les recevoir. Ils doivent aussi contrôler les activités locales des Pèlerins, diriger et participer à toutes les étapes de la production du journal et des circulaires, et finalement entretenir le domaine de Rougemont dans tous ses aspects. L'épisode de Bayside Retour à la table des matières Les Bérets blancs ont développé une grande dévotion au culte de Bayside. Tout commença à New York, alors que Robert Kennedy venait d'être assassiné en Californie le 5 juin 1968. Veronica Lueken était en automobile. Bouleversée par l'événement, elle invoqua sainte Thérèse de Lisieux et eut la surprise de sentir une odeur de rose. Après quelques autres expériences de ce genre, Veronica affirme avoir vu la Vierge Marie, puis sainte Thérèse. Elle dit avoir reçu encore la visite de Notre-Dame-des-Roses dans le parc de Bayside situé à Brooklyn dans l'État de New York. Dès lors, Veronica Lueken a eu de nombreux disciples. Elle disait alors avoir beaucoup de visions de la Vierge, de l'archange saint Michel et même du Christ, et elle tombait en extase pendant que ses fidèles prenaient des photos supposément miraculeuses. On distribuait alors des pétales de rose comme porte-bonheur en l'honneur de Notre-Dame-des-Roses. Madame Lueken aura jusqu'à sa mort récente toute une série de révélations privées qui auront toutes en commun d'être truffées de discours idéologiques d'extrême-droite. Dans l'une de ces révélations, elle affirme que Paul VI aurait été remplacé tôt dans son pontificat par un imposteur démoniaque qui aurait eu recours à la chirurgie esthétique afin de lui ressembler ! Le vrai pape, incarcéré, aurait eu assez de force pour ne pas condamner Mg, Lefebvre, puis serait mort martyr. Les cardinaux instigateurs de ce crime (Villot, Benelli et Casaroli) auraient ensuite assassiné Jean-Paul 1, mais n'auraient pas pu éviter l'élection de Jean-Paul II 13. Dès le début, les Bérets blancs se sont intéressés à ces révélations qui, la plupart du temps, venaient confirmer leur doctrine. Dans les années 1970, plusieurs se sont rendus en pèlerinage à Bayside. C'est alors que Veronica Lueken affirme avoir vu Louis Even à la droite de la Sainte Vierge qui affirmait qu'il fallait généraliser le port du béret et que la télévision est un instrument diabolique qu'il faut détruire. On comprend alors l'intérêt des Pèlerins de Saint-Michel pour Bayside et qu'ils aient été tentés par la suite de récupérer les événements de Bayside à leur compte. Mais pour des raisons difficiles à évaluer, ils n'ont pas réussi et se sont finalement fait chasser de Bayside. La version officielle des Bérets blancs est que les apparitions de Bayside sont véridiques, mais qu'ils ne veulent plus en parler parce que l'affaire a été finalement récupérée par la franc-maçonnerie. Mais malgré le fait qu'ils ont pris leur distance par rapport aux événements de Bayside, les Bérets blancs citaient encore récemment dans Vers Demain les révélations de la Vierge Marie à Bayside 14. L'épisode de Bayside illustre bien les difficultés d'expansion des Bérets blancs dans les pays occidentaux, alors qu'ils ont plus de succès en Afrique ou en Europe, par exemple. Au congrès de 1996, on retrouvait des délégations ghanéenne, zaïroise, française, portugaise, libanaise, italienne, espagnole, haïtienne et même autochtone ! Les Bérets blancs à la croisée des chemins Retour à la table des matières Madame Gilberte Côté-Mercier est toujours officiellement à la tête du mouvement, mais elle a 86 ans. C'est la question de plus en plus pertinente de sa succession qui nous fait affirmer que les Bérets blancs sont maintenant à la croisée des chemins. Vont-ils continuer à se radicaliser et à se refermer encore davantage sur eux-mêmes, ou vont-ils devenir un peu plus permissifs pour pouvoir conserver leurs adeptes et même recruter de nouveaux membres ? La réponse n'est pas simple. D'un côté, nous avons remarqué un certain assouplissement dans le code vestimentaire (une femme portait un pantalon de type « legging » au congrès de 1995 et certains hommes n'avaient pas de veston). Pour la première fois depuis très longtemps, les Pèlerins ont « toléré » l'an dernier la présence de journalistes à leur congres annuel. D'un autre côté, les Pèlerins de Saint-Michel recrutent de plus en plus de nouveaux adeptes en dehors du Québec, alors que leur nombre se stabilise à environ 2000 membres au Québec depuis environ dix ans. Il leur serait donc possible, même en se radicalisant encore davantage, d'élargir leur nombre en recrutant des éléments de l'extrême-droite et des intégristes catholiques d'un peu partout dans le monde. Par ailleurs, les Bérets blancs estiment avoir entre 7000 et 8000 « distributeurs » que l'on retrouve en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Europe et en Afrique. Ces « distributeurs » sont des gens qui adhèrent au mouvement et se portent bénévoles pour assurer la distribution des journaux et des circulaires dans leur coin de pays. On estime qu'ils distribuent environ 100 000 circulaires gratuites par année, alors qu'il en coûte cinq dollars pour recevoir sept fois par année le journal Vers Demain. Les abonnements au journal rapportent entre 300 000$ et 700 000$ par année dans la caisse du mouvement. Le reste du financement provient des dons des membres et des « plein temps » qui doivent s'engager à verser une contribution annuelle. La maison Saint-Michel, le « quartier général » des Bérets blancs situé à Rougemont, abrite en ce moment une cinquantaine de « permanents », dont une vingtaine de jeunes femmes non mariées. La moyenne d'âge des membres est d'environ 35 ans. Le mouvement serait donc moins « vieillissant » qu'on aurait pu le croire il y a quelques années. Thérèse Tardif s'est donnée au mouvement en 1954 et c'est elle qui dirige le bureau de Vers Demain depuis 1965. C'est elle qui, actuellement, rédige ou collige la majorité des articles de ce journal. Selon Gilles Bibeau, « le mouvement risque un jour de reposer sur ses épaules 15 ». Mais c'est surtout Gérard Mercier qui, pour l'instant, prend le plus d'initiatives en public. Dans les assemblées publiques auxquelles nous avons assisté, Thérèse Tardif est presque invisible et la plupart des discours sont prononcés par M. Mercier. (N.d.A. : Gérard Mercier est décédé en septembre 1997.) À cause d'un état de santé de plus en plus précaire, Gilberte Côté-Mercier fait des apparitions de plus en plus sporadiques lors des différentes réunions des Bérets blancs, ce qui ne l'empêche pas de continuer fréquemment à publier des textes dans Vers Demain. Par contre, plusieurs de ces textes sont des « reprises » et ont déjà été publiés dans des numéros précédents. Dans un désir évident de réactualiser la pensée du cofondateur, on va même jusqu'à reprendre des textes du défunt Louis Even en y remplaçant parfois les chiffres d'hier par ceux d'aujourd'hui ! Parmi les autres collaborateurs du journal, il y en a aussi des plus jeunes encore comme Yvette Poirier (dans la vingtaine) et Alain Pilote (dans la trentaine) qui forment en quelque sorte la relève du mouvement. Conclusion : les Bérets blancs, un groupe québécois non schismatique Retour à la table des matières La question de l'émergence et de la persistance des groupes religieux n'est pas nouvelle en soi. Ce sont plutôt les façons de classer ces derniers qui ont changé. Selon l'Américain Richard Niebuhr, c'était la mauvaise situation socio-économique d'une société qui était principalement responsable de la naissance des groupes sectaires 16. De son côté, le sociologue Bryan Wilson pensait que l'on pouvait classer ces groupes par leur réaction face à la société séculière 17. Selon cette typologie, il y avait des groupes qui seraient « manipulateurs », et ces derniers baseraient leur doctrine sur la philosophie moderne. Une deuxième catégorie de groupes dits thaumaturges est formée de ceux qui communiquent de façon magique avec le surnaturel. Une troisième est nommée « réformiste » et regroupe les sectes qui veulent changer le monde et finalement, une quatrième dans laquelle se retrouvent des groupes radicaux complètement coupés du monde (les « utopiques »). On pourrait dire que les Bérets blancs se retrouvent à la fois dans les catégories des réformistes et des utopiques. Ils sont réformistes parce qu'ils croient toujours pouvoir renverser la tendance moderniste de la société actuelle, mais ils sont utopiques dans le sens qu'ils visent à instaurer un projet de plus en plus irréaliste par rapport aux nonnes sociales actuelles. Le sociologue Roy Wallis a élaboré une typologie à partir du concept de légitimation de l'autorité dans les groupes sectaires. Sa typologie nous apparaît très intéressante dans le cas des Béret blancs 18. Selon Wallis, plus le nombre de sources de légitimation est grand à l'intérieur du groupe sectaire, plus la propension au schisme est forte. Cela expliquerait en partie que la persistance du mouvement Vers Demain serait due à l'autorité monolithique que Gilberte Côté-Mercier a exercée sur le groupe durant la période récente de leur histoire, période qui se terminera probablement avec son décès. Lors de nos observations sur le terrain, nous avons noté le début de certains clivages à l'intérieur du groupe. Au congrès de 1994, nous avons trouvé dans l'église de Rougemont un communiqué d'ex-Pèlerins qui dénonçait la hiérarchie actuelle de la maison Saint-Michel, et qui appelait à un retour aux idées de Louis Even par opposition à celles de Gilberte Côté-Mercier et de son mari. Même si les Pèlerins se soumettent au magistère de Rome, ils ne sont pas reconnus officiellement comme groupe faisant partie de l'Église catholique au même titre qu'une paroisse, une communauté ou un groupe mandaté par l'épiscopat. Ils disent qu'ils sont des catholiques engagés, mais qu'ils ne représentent pas l'Église de façon officielle pour ne pas la compromettre dans leurs luttes politiques. Selon nous, ils entrent dans la catégorie des « non schismatiques » puisque, contrairement aux disciples de Mgr Lefebvre qui ont été excommuniés et aux apôtres de l'Amour infini qui ont leur propre pape et qui sont « ignorés » par le magistère, ils ont réussi jusqu'à maintenant à fonctionner à l'intérieur des normes établies par Rome. Les Bérets blancs sont, parmi tous les groupes d'intégristes que nous avons recensés, le groupe qui entretient la relation la moins tendue avec le Vatican. Le pape Jean-Paul Il a lui-même signé un certificat de bénédiction pour la leader du mouvement des Pèlerins de Saint-Michel : « Sa Sainteté Jean-Paul II accorde de tout cœur à Mme Gilberte Côté Mercier une spéciale Bénédiction à l'occasion de ses 50 ans de don total comme co-fondatrice de l'oeuvre des Pèlerins de Saint-Michel (25 mai 1986) 19. » Autre caractéristique de ce sous-type : c'est un groupe qui a vu le jour au Québec et qui, à plusieurs égards, est typique d'une partie du Québec d'avant les années 1960 et sa « Révolution tranquille ». Les Bérets blancs sont représentatifs de cette époque d'avant la Révolution tranquille que plusieurs historiens ont qualifié de « Québec du terroir », c'est-à-dire une société monolithique basée essentiellement sur ce que Marcel Rioux appelait une « idéologie de conservation ». Les Pèlerins de Saint-Michel représentent un noyau dur de résistance à la modernité actuelle, parce qu'ils rejettent les valeurs de la société séculière. Mais ils témoignent aussi d'une certaine persistance de l'idéologie de conservation au Québec parce qu'ils aimeraient revenir en arrière et parce que le Québec des années 1930 est devenu pour eux, au fil des ans, une société idyllique qu'ils aimeraient bien reconstituer. Cette habilité que les Bérets blancs ont à se maintenir dans les bonnes grâces de Rome, comparativement à d'autres groupes semblables, pourrait venir à notre avis du fait que le mouvement Vers Demain est né dans une contexte social (celui du Québec des années 1940) où la remise en question du magistère était impensable. Fin du texte 1 « La droite catholique au Québec : essai de typologie », Studies in Religion / Sciences Religieuses, vol. 24, no 5, hiver 1996. 2 Voir à ce sujet : Jean-Paul ROULEAU, « Droits à la connaissance et droits des personnes », Religiologiques, no 13, printemps 1996, Presses de l'UQAM, pp. 60, 61. 3 Maurice ANGERS, Initiation pratique aux méthodologies en sciences humaines, CEC, Montréal, 1996. 4 Les « permanents », aussi appelés « plein temps » ou « grands donnés de Dieu » sont des Pèlerins qui consacrent intégralement leur vie au mouvement Vers Demain. Ils ont le contrôle régional des activités des Pèlerins. 5 Pour plus de détails sur notre définition du terme « communauté », voir : « La droite catholique au Québec : essai de typologie », Studies in Religion /Sciences Religieuses, vol. 24, no 5, hiver 1996. 6 Gilles BIBEAU, Les Bérets blancs (essai d'interprétation d'un mouvement québécois marginal), Éditions Parti pris, Montréal, 1976, p. 101. 7 Jocelyne VALOIS, Sociologie de la famille au Québec, CEC, Anjou, 1993, p. 44-45. 8 Yvette POIRIER, « Soyons fiers de la devise du Canada », Vers Demain, mai 1996, pp. 10-11. 9 Vers Demain, août-septembre 1996. 10 Pierre MARCHILDON, « [...] le gouvernement mondial », Vers Demain, mai 1996, p. 2-3. 11 René SAINT-GERMAIN, « La bête de l'apocalypse : un super ordinateur ? (Les fondamentalistes chrétiens et les nouvelles technologies », Actes du congrès 1996 de la Société canadienne de théologie, Montréal, Fides, 1997. 12 Vers Demain, octobre-novembre 1991, p. 20. 13 Source : Mouvements Religieux, no 57, Janvier 1985, p. 9. 14 Louis EVEN, « Habillez-vous chrétiennement ! », Vers Demain, août-septembre 1996, p. 15. 15 Op. cit. 8, p. 101. 16 Richard H. NIEBUHR, The Social Sources of Denominalism, Meridian, New York, 1929. 17 Bryan R. WILSON, « Typologie des sectes dans une perspective dynamique et comparative », Archives de sociologie des religions, no 16, juillet-décembre 1963, pp. 49-63. 18 Roy WALLIS, The Elementary Forms of New Religious Life, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1984. 19 Extrait d'un certificat authentique signé par Jean-Paul Il. |
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