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« Catégoriser des catégories »Tous les élèves savent catégoriser à la sortie de l’école maternelle, mais ils n’ont pas tous compris les logiques des procédures qu’ils manipulent quand ils catégorisent. Catégoriser consiste à considérer de manière équivalente des objets, des personnes ou des situations qui partagent des caractéristiques communes. Enfants et adultes peuvent ainsi réduire la complexité du monde et mettre de l’ordre dans leurs connaissances en les subdivisant en catégories. Ces catégories sont impliquées dans toutes les activités cognitives, des plus simples aux plus complexes : identifier, déduire, désigner, représenter, abstraire des relations, mémoriser, rappeler, apprendre… Savoir catégoriser permet donc de réussir un grand nombre de tâches scolaires et de situations de la vie quotidienne. Chez l’enfant, comme chez l’adulte, ces catégories cohabitent harmonieusement et elles sont fortement contextualisées : en d’autres termes, elles dépendent des expériences qu’ils réalisent quotidiennement. C’est pourquoi parents et enseignants doivent stimuler les pratiques enfantines, c’est-à-dire veiller à compléter et à diversifier les catégories dont l’enfant dispose quand il rentre à l’école maternelle. Mais cela ne suffit pas : ils doivent également accroître le degré d’organisation de ces catégories et la prise de conscience, par l’enfant, des modalités de cette organisation. Catégo répond à ces objectifs à travers un ensemble de jeux et d’activités guidés par l’adulte. Comprendre la logique de la catégorisation, c’est comprendre qu’un même objet est porteur d’une multiplicité de relations avec lequel on peut l’apparier avec une multiplicité d’autres objets. Savoir catégoriser, c’est comprendre qu’une fois qu’on a choisi une relation (une règle de tri ou de catégorisation), il est nécessaire ce l’appliquer jusqu’au bout du tri, sans en changer, sans accepter d’intrus même s’ils partagent une propriété commune avec l’un de éléments de la catégorie (rares sont les jeunes élèves qui refusent d’intégrer la carte « pneu » dans la catégorie « véhicules » ou la « cage » dans la catégorie « oiseau »). On dit que les catégories du jeune enfant sont perméables. De plus, les jeunes enfants sont généralement peu flexibles : lorsque vous leur demandez, par exemple, si la carotte va bien avec la salade, ils acquiescent, certains sachant même expliquer pourquoi : « les deux sont des légumes ». Si, peu après, vous leur demandez : « Et la carotte, tu trouves qu’elle va bien avec le lapin ? », ils répondent « non, parce que le lapin n’est pas un légume ». En d’autres termes, ils ne sont pas capables de changer rapidement de critère pour catégoriser. Cependant, si vous renouvelez l’expérience le lendemain en commençant par le lapin, ils diront cette fois que le lapin va très bien avec la carotte parce qu’il mange des carottes (et qu’ils n’ont pas vu la salade). Ce constat n’a rien d’inquiétant cependant ; les connaissances des jeunes enfants sont encore peu nombreuses, il est légitime qu’ils y tiennent et qu’ils s’y tiennent. Et s’ils ne parviennent pas à changer de règle, c’est surtout parce qu’ils n’ont pas encore compris ce que sont les relations catégorielles (même s’ils les utilisent avec succès dans certaines circonstances). On a longtemps pensé que les jeunes enfants ne savaient pas catégoriser, notamment parce qu’on constate qu’avant six ans ils ont du mal à classer de manière logique un ensemble de formes géométriques. Au lieu de les regrouper en fonction de leur couleur, de leur taille ou de leur forme, ils ont tendance à les aligner ou à les utiliser pour représenter des objets familiers, bâtir une maison par exemple en plaçant un triangle sur un carré. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont incapables de catégoriser puisqu’ils parviennent à le faire lorsqu’on remplace les formes géométriques par des images d’objets, de personnages ou d’animaux familiers. Même s’ils introduisent parfois des intrus dans leurs catégories, même s’il ont du mal à donner un nom aux catégories qu’ils réalisent et même s’ils peuvent difficilement envisager d’autres tris que ceux qu’ils viennent de faire, les jeunes enfants peuvent catégoriser dès lors que le matériel qu’on leur propose correspond à des catégories qu’ils connaissent. Chez le jeune enfant, la catégorisation est donc davantage contrôlée par les associations suggérées par le matériel que par la recherche délibérée de relations. On peut dire que le jeune enfant réagit au matériel plutôt qu’il ne l’organise. Lorsqu’il regroupe des images d’animaux puis désigne son regroupement par l’étiquette « Animaux », il n’est pas nécessairement conscient de la nature des relations catégorielles (règles et critères) qu’il vient d’utiliser. C’est pourquoi, le plus souvent, il a du mal à planifier ses rangements (il ne se fixe pas une règle dès le départ) : il se laisse volontiers guider par ce qu’il voit et ne se demande qu’après coup quelle est la propriété commune aux éléments rassemblés. Ce n’est qu’à l’issue du rangement que la règle lui « saute aux yeux » et qu’il peut énoncer la règle qu’il a implicitement suivie et expliquer pourquoi ces éléments « vont bien ensemble ». Les connaissances catégorielles du jeune enfant demeurent longtemps lacunaires et les frontières de ses catégories sont floues et donc perméables. C’est pourquoi il accepte facilement l’introduction d’intrus si ceux-ci partagent un point commun avec l’un des membres de la catégorie qu’il a constituée (ainsi il n’hésite pas à ranger le pantalon dans la catégorie « êtres humains » ou la cage dans la catégorie « animaux »). C’est pour la même raison qu’il refuse de mettre le loup dans la boîte des « animaux ». Il sait bien que le loup est un animal, mais il sait aussi que c’est un animal dangereux qu’il ne peut raisonnablement pas introduire dans une boîte où il a déjà rangé le cochon dodu, le tendre lapin et l’innocent mouton ! À quatre ans, il n’est pas facile de conserver sa logique de catégorisation quand la « vraie vie » vient la contredire ; pas facile de se centrer sur la seule dimension cognitive du langage sans prendre en compte sa dimension affective. Tant que les jeunes enfants n’ont pas compris la logique des procédures qu’ils manipulent, ils ne peuvent pas utiliser leurs connaissances de façon flexible. Ainsi par exemple à 4 ans, lorsqu’on leur donne un ensemble d’images qui représentent des exemplaires de trois catégories taxonomiques (humains, animaux et véhicules) que l’on peut également insérer dans deux schémas connus (celui de la plage et celui de la ferme), ils ont du mal à adopter successivement deux règles de tri différentes. Bref, si les jeunes enfants savent bien trier, ranger, catégoriser, il s’agit davantage d’une maîtrise de type procédural (savoir-faire, réussite en actes) que d’une compréhension conceptuelle de leur activité : la difficulté à anticiper les tris, à les expliciter en les nommant, à modifier les tris réalisés, à trouver d’autre tris possibles, à justifier les intrus, à utiliser leurs connaissances catégorielles de manière stratégique (pour planifier ou pour mémoriser, par exemple) en atteste. |