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LA MEMOIRE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE DANS LE CINEMA FRANCAIS DEPUIS 1945 Le thème de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale apparaît au programme de plusieurs filières de Terminale. Pour aborder ce sujet difficile, le cinéma apparaît comme un moyen privilégié : il est qualifié par Henry Rousso de «vecteur du syndrome» dans son fameux livre, Le syndrome de Vichy, publié en 1987 (il y consacre un sous-chapitre intitulé l'écran des années noires). Il est aussi mentionné par les instructions officielles, qui précisent qu'il «est le grand art des mémoires et constitue une remarquable source pour identifier les mémoires et parcourir un itinéraire de leur histoire» (Eduscol, mars 2014). Comme l'écrivait Henry Rousso dans son ouvrage fondateur, «sur l'ensemble de la période, le cinéma n'a qu'à de très rares moments anticipé l'évolution des mentalités. Il en est plutôt la cristallisation la plus manifeste et la plus imprégnante»: il est exact que le cinéma a rarement anticipé l'évolution historiographique sur cette période, sauf exceptions. On peut quand même relever que Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sort en salle en 1971, soit deux ans avant l'ouvrage événement de Robert Paxton La France de Vichy, dont la traduction française paraît en 1973. De même, lors d'un colloque à la Sorbonne en 1992, Pierre Vidal-Naquet estimait que «trois œuvres majeures avaient plus fait pour la connaissance de l'extermination des Juifs que les historiens de métier». Et de citer les œuvres de Primo Levi, Raul Hilberg (d'abord politologue) et le film Shoah de Claude Lanzmann. Mais s'ils ne font pas forcément avancer la recherche, les films traduisent bien les différents moments de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, car, comme l'indique Henry Rousso, le cinéma «produit ce que peu de livres d'histoires voire de romans sont capables de recréer : la proximité souveraine de l’événement, événement non vécu par les générations suivantes et de surcroît souvent occulté par les mémoires». Mais l'historien met bien sûr en garde contre le «risque de déformations optiques et donc d’anachronismes». Avec ces remarques en tête, il est notamment intéressant d'étudier les films qui ont obtenu de forts succès populaires (La Bataille du rail, Paris brûle-t-il? et même La Grande Vadrouille...) : leur popularité montre bien le consensus de l'opinion publique sur ce qu'il convient de penser de cette période, «l’historiquement correct» à un moment donné. D'autres films ont provoqué parfois de violentes polémiques, ce qui prouve que les enjeux de mémoire sont restés sensibles longtemps après la guerre : de ce point de vue, le film Lacombe Lucien de Louis Malle, est emblématique, car il reçoit un accueil contrasté à sa sortie en 1987 et fait l'objet des très violentes critiques (cf textes sur les films). Le corpus filmique réalisé depuis 1945 est important, même s'il a pu varier selon les périodes (ces variations sont d'ailleurs souvent significatives de l'importance de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale à différentes époques). Henry Rousso relève ainsi près de 200 films sur le sujet entre 1944 et 1986, soit 7% de la production annuelle de films (environs une dizaine de films chaque année). Enfin, cette question de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français a fait l'objet de nombreuses études, soit d'historiens spécialistes de la période (Henry Rousso, Pierre Laborie) soit de chercheurs plus intéressés par l'histoire du cinéma (Sylvie Lindeperg, Suzanne Langlois, Michel Jacquet). Certains cinéastes, dont plusieurs films évoquent cette période (René Clément, Jean Pierre Melville) ont fait l'objet d'ouvrages de spécialistes et des films comme La Bataille du Rail, Le Chagrin et la Pitié, l'Armée des ombres, Au revoir les enfants,... ont été étudiés plus particulièrement (on pense notamment au livre remarquable de Sylvie Lindeperg sur le film d'Alain Resnais, Nuit et Brouillard ). Nous vous proposons donc d'étudier quelques moments particuliers du cinéma français sur cette question, en les articulant avec l'évolution de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale (pour approfondir cette question, nous avons également établi une filmographie et une bibliographie, ainsi qu'un ensemble de textes sur les films les plus marquants, avec déclarations des auteurs, des critiques, des historiens... ). L'immédiate après-guerre : le cinéma au service du mythe Juste après la fin de la guerre, le cinéma français consolide le mythe, élaboré par les gaullistes et les communistes, d'une France toute entière résistante, qui n'aurait cédé aux sirènes vichystes qu'à la marge. Comme le note Michel Jacquet, le cinéma est un art populaire, qui reste très prudent quand il aborde le sujet de l'Occupation, car il est soumis à de multiples pressions, politiques, économiques, sociales... Certains romanciers comme Jean Louis Bory (Mon village à l'heure allemande) ou Jean Louis Curtis (Les forêts de la nuit) sont plus audacieux quand il s'agit d'évoquer les aspects les plus sombres de l'Occupation. Dès 1946, 22 films sont sortis, dont la moitié sont des montages d'archives. Ces derniers se présentent comme une mémoire cinématographique immédiate du conflit : au cours de la Libération de Paris, entre une vingtaine et une centaine d'opérateurs tournent en direct les différents événements de l'insurrection parisienne, entre le 20 et le 26 août 1944. Ces séquences sont utilisées dans le film La Libération de Paris, sorti à l'automne 1944, qui veut montrer la communion de tous les résistants : le montage rappelle les temps forts de l'insurrection, l'arrivée de la 2ème DB, le discours du général de Gaulle à l'Hôtel de Ville. Le film se veut consensuel : Paris est bien tenu par les insurgés et les hommes de Leclerc sont montrés comme de simples supplétifs (!). Il insiste sur le rôle de la police parisienne, qui a beaucoup à se faire pardonner. Les extraits du discours gaullien évoquent la communauté ressoudée. Dans les films de fiction, deux œuvres sont notables ; tout d'abord, la Bataille du Rail, film réalisé par René Clément, alors connu pour avoir tourné un documentaire en 1942 -Ceux du rail-, apprécié par les cheminots. Le réalisateur, ainsi adoubé par les personnels, les communistes, et... la direction de la SNCF, tourne un film sorti en février 1946, remarqué par la critique et le public, primé deux fois au festival de Cannes. Il présente d'abord les différentes formes de résistance des cheminots, sous une forme quasi documentaire (on voit notamment l'exécution de six d'entre eux, fusillés «pour l'exemple» par les Allemands). Puis, il évoque tous les moyens employés par la Résistance-Fer, aidée par certains maquis, pour retarder l'arrivée du train blindé Apfelkern, envoyé sur le front de Normandie. Cette œuvre, trop rapidement assimilée au néoréalisme italien, a de réelles qualités formelles : surtout, elle montre une communauté du rail unie dans l'action, des plus humbles cheminots aux cadres et ingénieurs de l'entreprise. Le même cinéaste participe également à un autre film unanimiste, le Père tranquille, écrit et interprété par l'acteur Noël-Noël. Dans ce film sorti en 1946 et qui connaît un réel succès, la période de l'Occupation est traitée sur le ton de la comédie. Un petit notable de province, Édouard Martin, petit assureur bien tranquille, amateur d'orchidées, s'avère être le chef d'un réseau de résistance. Le cinéaste présente une image très «gaulliste» des Français : soudés contre l'occupant, ils semblent avoir tous «résisté» , d'une manière ou d'une autre, quelle que soit leur classe sociale (ce sont souvent des Français moyens, garagiste, petit commerçant... ). Comme certains historiens du cinéma, on peut estimer que le film dédouane cette population française de sa passivité apparente : même les «têtes brûlées» des jeunes résistants doivent rentrer dans le rang. D'ailleurs, les réalisateurs qui s'écartent de cette vision consensuelle se font sanctionner par le public : La Grande Illusion de Jean Renoir, qui avait connu un grand succès en 1937 et qui ressort après guerre, choque le public par son message pacifiste et sa volonté de présenter de «bons Allemands». Marcel Carné tourne les Portes de la Nuit, avec un scénario de Jacques Prévert, sur Paris pendant l'hiver 1945, évoquant le monde louche des trafiquants du marché noir, des collaborateurs, et aussi les désillusions de la Libération. Mais cette vision très sombre n'est pas encore acceptée, peut-être parce qu'un peu trop réaliste. Le film subit un échec à sa sortie. Le temps du désenchantement Au cours des années 1950, le temps du consensus national autour des valeurs de la Résistance est révolue. C'est l'époque de la Guerre froide (les ministres communistes doivent quitter le gouvernement Ramadier en 1947) et le temps semble à l'indulgence envers le régime de Vichy et les collaborateurs (en 1954, Robert Aron publie Histoire de Vichy 1940-1944, d'une grande «compréhension» envers l’État français. Dans cette période, plusieurs lois d'amnistie sont votées pour les condamnés de la Libération en 1947, 1951 et 1953 : seuls les cas les plus graves sont exclus du cadre législatif). Ainsi, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est mise en veille car l'heure n'est plus à la glorification d'une France unanimement résistante : le temps des divisions est venu. De toute façon, le sujet intéresse moins et les réalisateurs et le public : selon Henry Rousso, seulement 11 films sur le thème sont sortis entre 1947 et 1958. Mais dans ce climat déprimé, le cinéma français commence quand même à apporter des nuances à l'image sans nuance donnée de la France de 1940-1945 dans les premiers films sortis après la Libération. Ainsi, des personnages français peu recommandables apparaissent sur les écrans : par exemple, le film Manon est réalisé par Henri-Georges Clouzot (le cinéaste avait été interdit de tournage à la Libération pour avoir tourné pour la Continental, société de production allemande, et surtout pour avoir présenté une image négative de la France dans son film Le Corbeau). Dans son adaptation de Manon Lescaut, alors que le roman est transposé dans la période de la Libération, le réalisateur abîme quelque peu la légende née dans l'immédiate après-guerre : ainsi, il fait clairement allusion à la collaboration «horizontale» et aux femmes tondues, ainsi qu'aux trafiquants du marché noir (dont notamment un officier résistant qui se livre à des activités peu glorieuses par amour... ). Et ces personnages pas très reluisants se retrouvent dans plusieurs films de l'époque. Un autre film, sorti en 1956, frappe le public par son ton sarcastique : il s'agit de la Traversée de Paris, adapté du roman de Marcel Aymé, réalisé par Claude Autant-Lara avec deux grandes vedettes Jean Gabin et Bourvil dans les rôles principaux : la vision du cinéaste sur la période de l'Occupation est très réaliste et très noire : tous les Français, et notamment les boutiquiers, patrons de bistrot... apparaissent comme des profiteurs ou des lâches. Seul Grandgil, joué par Gabin, se met au dessus de la mêlée, avec un mépris non dissimulé pour les « salauds de pauvres ». D'autre part, certaines questions, plus ou moins occultées à la Libération commencent à émerger, et notamment le sujet de la déportation. En 1947, Jean-Pierre Melville décide d'adapter à l'écran Le Silence de la mer, le bref roman de Vercors publié clandestinement en 1943. Le cinéaste, lui-même membre des FFL, s'entoure d'un luxe de précautions, car il sait bien que le personnage de Von Ebrennac, image même de l'officier allemand très cultivé et sincèrement francophile, pourrait troubler l'opinion publique. Aussi, avec l'accord de l'auteur, ajoute-t-il une scène qui n'existe pas dans le livre, dans laquelle les massacres de Treblinka sont clairement exposés. Surtout, en 1956, sort le célèbre court-métrage d'Alain Resnais, Nuit et Brouillard... Toute la genèse du projet ainsi que les réactions qu'il a suscitées ont été précisément étudiées par Sylvie Lindeperg. Il s'agit d'une commande du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, dirigé alors par Henri Michel, pour commémorer les dix ans après la libération des camps. Resnais s'est inspiré du livre d'Olga Wormser et d’Henri Michel, La tragédie de la déportation. On sait que le cinéaste, alors connu pour ses documentaires engagés, a réuni de très nombreuses archives filmiques dans toute l'Europe, et qu'il a «emprunté» quelques images au film de Wanda Jakubowska, La Dernière Étape. Le commentaire a été écrit par Jean Cayrol, lui même déporté à Mathausen. Surtout, le réalisateur est allé sur place à Auschwitz tourner des séquences en couleur dans le camp d'extermination : le montage de ces séquences avec les documents d'archives en noir et blanc permet au spectateur de ressentir la distance historique du sujet, mais aussi son actualité. Comme on le sait, le projet connaît bien des déboires, en particulier avec la censure qui refuse que l'on montre un gendarme français gardant le camp de Pithiviers (en fait, il s'agit de celui de Beaune la Rolande). Finalement, le cinéaste, le producteur et Henri Michel acceptent qu'on occulte le fameux képi, mais les problèmes ne sont pas terminés : sous la pression de l'ambassade de l'Allemagne fédérale, le film est retiré de la sélection officielle au festival de Cannes mais une contre-campagne s'organise, avec les associations d'anciens déportés et l'appui des Cahiers du Cinéma, et il est finalement projeté dans une section parallèle. L'intelligence du commentaire et du montage (Resnais est notamment assisté par Chris Marker) font d'emblée de ce film une référence absolue sur l’univers concentrationnaire et la critique est presque désemparée : François Truffaut peut ainsi écrire: «Nuit et Brouillard est un film sublime dont il est très difficile de parler : tout adjectif, tout jugement esthétique sont déplacés à propos d'une œuvre, qui, plutôt qu'un réquisitoire ou poème, emprunte l'aspect d'une méditation sur la déportation. Toute la force du film réside dans le ton adopté par les auteurs : une «douceur» terrifiante; on sort de là ravagé et pas très content de soi». Par contre, peu de commentateurs relève que la fin du film est en fait une allusion à peine voilée aux tortures et aux massacres alors en cours dans la guerre d'Algérie («nous qui feignons de croire que cela est d'un seul temps et d'un seul pays et qui ne pensons pas à regarder autour de nous et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin»). Surtout, Nuit et brouillard ne fait quasiment aucune allusion au judéocide et aux mécanismes de l'extermination des Juifs. De fait, selon Sylvie Lindeperg, Alain Resnais et Olga Wormser avaient bien prévu une séquence sur ce sujet mais Cayrol ne l'a pas retenue dans son commentaire. Il semble bien qu'il y ait eu débat entre le cinéaste, l'historienne et l'écrivain. Pour expliquer cette absence d'allusion aux centres d'extermination, Sylvie Lindeperg avance plusieurs hypothèses : il est ainsi possible que «Cayrol (ait) été enclin à privilégier son expérience et son point de vue de résistant déporté». Il faut dire qu'à l'époque l’extermination des juifs était connue mais qu'on n’avait pas vraiment conscience de sa spécificité : comme l'écrit Mme Lindeperg, «son évocation ne constitue nullement un enjeu mémoriel» (le livre de Léon Poliakov, Le bréviaire de la Haine paraît en 1951, mais l'ouvrage de référence de Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, paru aux États-Unis en 1961, n'est traduit qu'en 1988) : Annette Wieviorka , dans sa thèse sur Déportation et Génocide, explique que le camp de référence de l'époque est plutôt Buchenwald, où sont surtout rassemblés les déportés politiques, plutôt qu'Auschwitz, où sont exterminés les déportés raciaux. L'historienne écrit : «jusqu'aux années 1960, l'idée s'impose "d'unifier le sort de tous les déportés en faisant de tous les camps, Birkenau et Buchenwald, Dachau et Treblinka, un seul grand camp mythique ouvert en 1933 et libéré en 1945, où tous, Juifs et non-Juifs, auraient connu indifféremment le même sort : Nuit et Brouillard est emblématique de cette vision". En tout état de cause, l’œuvre de Resnais est dérangeante pour son époque, alors que l'opinion n'est pas encore prête à entendre certaines vérités sur les camps ainsi que sur la responsabilité de l’État français dans les déportations. |
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