Henri hubert et Marcel mauss (1906)





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La magie

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Mais il existe un groupe considérable de phénomènes religieux où le double ca­rac­tère sacre et social des rites et des croyances, n'apparaît pas au premier abord. C'est la magie. Pour généraliser les résultats de notre travail sur le sacrifice, et aussi pour les vérifier, il fallait s'assurer qu'elle ne constitue pas une exception. Or, la magie nous présente un ensemble de rites aussi efficaces que le sacrifice. Mais il leur manque l'adhésion formelle de la société. Ils se pratiquent en dehors d'elle et elle s'en écarte. De plus, sacrilèges, impies, ou simplement laïcs et techniques, ils n'ont pas au premier abord le caractère sacré du sacrifice. Dans la magie il y a aussi des repré­sentations, depuis celles des dieux et des esprits jusqu'à celle des propriétés et des causes, qui sont investies d'une certitude égale à la certitude des représentations de la religion, il y entre des mythes dont la simple récitation agit comme charme 2 et des notions, comme celles de substance, de nature, de force, [en grec dans le texte] et [en grec dans le texte], dont le bien fondé fût si peu contesté qu'elles ont été admises par les sciences et les techniques. Cependant, ni ces mythes, ni ces représentations abs­trai­tes dont la valeur pratique est si haute, ne sont explicitement l'objet de l'accord unanime et nécessaire d'une société. - Enfin, pas plus que les rites, ces notions et ces mythes ne semblent avoir pour principe la notion du sacre. L'efficacité des pratiques était-elle donc du même genre que celle des techniques ; la certitude des notions et des mythes du même genre que celle des sciences ?
Au moment où nous nous posions ces questions, les opérations mentales d'où dérive la magie étaient données comme des sophismes naturels de l'esprit humain. Associations d'idées, raisonnements analogiques, fausses applications du principe de causalité, pour MM. Frazer 1 et Jevons 2 en constituaient tout le mécanisme. L'école anthropologique anglaise arrivait ainsi, a des résultats tout a fait opposés a ceux vers lesquels nous conduisaient nos investigations sur la religion. Nous étions donc con­duits à réviser ses travaux.
Notre enquête 3 a établit que tous les éléments de la magie : magiciens, rites, repré­sentations magiques sont qualifiés par la société pour entrer dans la magie.
Le mémoire que nous publions plus loin sur l' « Origine des pouvoirs magiques dans les sociétés australiennes » en fait précisément la preuve avec détails en ce qui concerne la conscience même du magicien : le magicien est un fonctionnaire de la société, souvent institué par elle, et qui ne trouve jamais en lui-même la source de son propre pouvoir. On nous a reproche d'avoir étendu indûment ce que nous avions dit des corporations de magiciens 4. Mais en réalité les magiciens isolés sont reliés par les traditions magiques et forment des associations.
En ce qui concerne les rites et les représentations, le magicien n'invente pas a cha­que coup. La tradition qu'il observe est garante de l'efficace des gestes et de l'autorité des idées. Or qui dit tradition dit société. En second lieu, si la magie n'est pas publique comme les sacrifices, la société n'y est pas moins présente. Si le magicien se retire, se cache, c'est de la société ; et si celle-ci le repousse, c'est qu'il ne lui est pas indifférent. Elle n'a peur des magiciens qu'en raison des pouvoirs qu'elle lui prête et il n'agit contre elle qu'armé par elle.
Enfin, ces pouvoirs, ces qualités ont tous un même caractère, procèdent tous d'une même idée générale. Cette notion, nous lui avons donné le nom de mana emprunté aux langues malayo-polynésiennes, mais par lequel elle est désignée dans la magie mélanésienne, où M. Codrington 5 a révélé son existence. Elle est a la fois celle d'un pouvoir, celle d'une cause, d'une force, celle d'une qualité et d'une substance, celle d'un milieu. Le mot mana est à la fois substantif, adjectif, verbe, désigne des attributs, des actions, des natures, des choses. Il s'applique aux rites, aux acteurs, aux matières, aux esprits de la magie, aussi bien qu'à ceux de la religion.
Il en résulte que les rites et les représentations magiques ont le même caractère social que le sacrifice et qu'ils dépendent d'une notion identique ou analogue a la notion de sacré. De plus nous avons commence à montrer qu'il y a des cérémonies magiques où se produisent des phénomènes de psychologie collective d'où se dégage cette notion de mana.


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Comme nous ne dissimulions pas que nous ne connaissions que peu d'exemplaires authentiques de cette notion, M. Jevons 1 nous a reproche de fonder ainsi toute la magie sur un principe dont, de notre aveu, l'existence explicite n'était pas absolument universelle. Nos recherches ultérieures nous permettent d'affirmer que cette notion est très répandue.
Le nombre des sociétés où on ne la constate pas expressément se restreint de plus en plus.
En Afrique, les Bantus, c'est-à-dire la plus grande et la plus dense des familles afri­caines, possèdent la notion tout a fait identique de nkissi, de moquissie, comme disaient les vieux auteurs 2. Les Ewhé, c'est-à-dire une bonne partie des Nigritiens, ont la notion de dzo 3. De ce fait, nous concluons déjà qu'il est nécessaire de rem­placer pour toute l'Afrique, la notion de fétiche par celle de mana. En Amérique, nous avions déjà signalé l'orenda iroquois, la manitou algonquin, le wakan sioux, le xube pueblo, le naual du Mexique central. Il faut y joindre le nauala des Kwakiutl 4. Notre hypothèse, sur la parenté qui relie la notion de brahman, dans l'Inde védique, à celle de mana, a été admise récemment par M. Strauss 5. Quant au nombre des langues où la même notion est fragmentée en plusieurs expressions, il est indéfini 6.
Mais nous avions une autre réponse à faire a la critique de M. Jevons. Il n'est pas indispensable qu'un phénomène social arrive à son expression verbale pour qu'il soit. Ce qu'une langue dit en un mot, d'autres le disent en plusieurs. Il n'est même pas du tout nécessaire qu'elles l'expriment : la notion de cause n'est pas explicite dans le verbe transitif elle y est pourtant.
Pour que l'existence d'un certain principe d'opérations mentales soit sûre, il faut et il suffit que ces opérations ne puissent s'expliquer que par lui. On ne s'est pas avise de contester l'universalité de la notion de sacré et pourtant, il serait bien difficile de citer en sanskrit ou en grec un mot qui correspondît au (sacer) des Latins. On dira : ici, pur (medhya), sacrificiel (yajñiya), divin (devya), terrible (ghora) ; là, saint ([en grec dans le texte] ou [en grec dans le texte]) vénérable [en grec dans le texte], juste [en grec dans le texte] respectable [en grec dans le texte]. Et pourtant les Grecs et les Hindoux n'ont-ils pas eu une conscience très juste et très forte du sacré ?
On n'a pas attendu ce supplément de preuves pour faire crédit à ce que nous avons dit sur la notion de mana. MM. Sidney Hartland 1, Frazer 2, Marrett 3, M. Jevons, lui-même. M. Preuss 4 s'y sont ralliés ; M. Vierkandt 5, qui probablement s'est contenté de lire M. Preuss, en arrive à nous reproduire presque intégralement.


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Nous n'avons publié qu'une partie de notre travail sur la magie, celle qu'il nous importait de terminer alors pour poursuivre nos recherches. C'était assez pour nous en effet d'avoir montré que les phénomènes de la magie s'expliquent comme ceux de la religion. Comme nous n'avons pas encore expose la partie de notre théorie, qui concerne les rapports de la magie et de la religion, il en est résulte quelques malen­tendus.
Nous avons été les premiers à formuler dans ce mémoire une distinction des rites en positifs et négatifs que nous tenions de M. Durkheim. Deux ans après notre publi­cation, M. Frazer 6 arrivait, de son cote, à la même distinction, mais en considérant tous les tabous comme des rites négatifs de ce qu'il appelle la magie sympathique. Nous ne pouvons accepter l'honneur que M. Thomas 1 et à sa suite M. Marrett 2 nous ont fait de cette généralisation. Nous la croyons erronée. Nous avons divise la magie en positive et négative ; cette dernière embrassant les tabous et en particulier les tabous sympathiques. Mais nous n'avons pas dit que tous les tabous fussent de la magie négative. Nous insistions sans doute sur les interdictions de la magie, parce que, par le fait même de la prohibition, elles portent, mieux que les règles positives, la marque de l'intervention sociale. Nous ne niions nullement qu'il y eût des tabous religieux, et qu'ils fussent d'un autre ordre.
Faute encore d'avoir délimite les rapports de la magie et de la religion nous nous sommes attire de la part de M. Huvelin une autre querelle 3.

M. Huvelin attribue une origine magique aux liens de droit primitifs 4 ; et, pour lui, la magie a servi puissamment à la constitution de ce qu'il appelle le droit indi­viduel. Ce que la magie met à la disposition des individus, ce sont des forces sociales et religieuses. Il l'admet. Toutefois il s'inquiète d'une contradiction qu'il aperçoit dans les termes dont nous nous servons. Comment la magie, étant sociale, c'est-à-dire, selon M. Huvelin, obligatoire, peut-elle être illicite ? Comment, étant religieuse, puisqu'elle trouve sa place dans le droit, phénomène de la vie publique, peut-elle être antireligieuse en même temps ? Voilà ce qu'il nous demande d'expliquer 5.
Mais une bonne partie des rites et surtout des sanctions, qui, selon M. Huvelin viennent de la magie, se rattachent pour nous à la religion. Pas plus que les dieux infernaux, les imprécations, les [en grec dans le texte] ne sont par définition magiques et hors de la religion. D'ailleurs, dans un bon nombre des cas cites, la sanction magi­que n'est que facultative. La religion noue donc, aussi bien que la magie, les liens du droit individuel et avec un formalisme de même nature.
Le malentendu vient en somme uniquement de l'emploi abusif que M. Huvelin fait encore du mot magique. Il n'y a pas, entre les faits du système magique et les faits du système religieux, l'antinomie qu'il se représente et au sujet de laquelle il nous prend à partie. Il y a, nous l'avons dit, dans tout rite de la magie aussi bien que de la religion, une même force mystique, qu'on avait autrefois le tort d'appeler magique. M. Huvelin n'a pas répudié ce vice de la nomenclature et c'est pourquoi il fait de la magie la source unique des contrats.
Il ne faut pas opposer les phénomènes magiques aux phénomènes religieux : dans les phénomènes religieux, il y a plusieurs systèmes, celui de la religion, celui de la magie, d'autres encore ; par exemple la divination et ce qu'on appelle le folk-lore forment des systèmes de faits religieux comparables aux précédents. Cette classifi­cation correspond mieux à la complexité des faits, et a la variabilité des rapports historiques de la magie et de la religion. Mais notre définition du système de la magie reste la même et nous continuons à ne considérer comme lui appartenant que ce qui, le folk-lore mis à part, ne tait pas partie des cultes organises. En vertu de cette défi­nition, par exemple, le dhârna 1, le suicide juridique à l'effet d'arriver à l'exécution d'un créancier, dont parle M. Huvelin, ressortissant aux différents codes, a celui de Manou en particulier, ne figurant dans aucun manuel magique, dépendant du culte funéraire, relève de la religion et non de la magie.
Enfin, sans être obligatoires, les rites de la magie sont néanmoins sociaux. L'obli­gation proprement dite n'est pas pour nous le caractère distinctif des choses, des actes et des sentiments sociaux. L'acte magique illicite reste pour nous social, sans qu'il y ait là contradiction. L'acte est social parce qu'il tient sa forme de la société et qu'il n'a de raison d'être que par rapport à elle. Tel est le cas que cite M. Huvelin du sacrifiant qui fait un sacrifice pour tuer son ennemi 2. Au surplus la magie n'est pas nécessaire­ment illicite et, dans le droit, en fait, elle sert aussi bien au droit public qu'au droit individuel. Ainsi, dans les tribus australiennes 3 les menaces d'envoûtement sont pour les vieillards un moyen de faire respecter la discipline. Ce n'est pas sans raison que M. Frazer rattache aux pouvoirs des magiciens les pouvoirs du roi 4.
Certes M. Huvelin a raison de montrer que la magie a aidé à la formation de la technique du droit, comme nous supposions qu'elle a fait pour les autres techniques 5. Nous sommes d'accord avec lui, quand il allègue que, dans le droit, elle a facilité l'action individuelle. La magie a en effet fourni à l'individu les moyens de se faire valoir a ses propres yeux et aux yeux des autres, ou bien d'éviter la foule, d'échapper à la pression sociale et a la routine. A l'abri de la magie non seulement les audaces juridiques ont été possibles, mais aussi les initiatives expérimentales. Les savants sont fils des magiciens.
Nous avons fait de fréquentes allusions au rôle que l'individu joue dans la magie et à la place qu'elle lui fait. On les a considérées comme des concessions prudentes, destinées à compenser l'excessive rigueur d'une théorie sociologique qui semblait nier dans la magie l'autonomie des magiciens 6. Il n'y avait là ni concession ni contradic­tions. Notre travail avait précisément pour objet de déterminer la place de l'individu dans la magie par rapport à la société.
Nous nous proposions au début de nos études, surtout de comprendre des insti­tutions, c'est-à-dire des règles publiques d'action et de pensée. Dans le sacrifice, le caractère public de l'institution, collectif de l'acte et des représentations est bien clair. La magie dont les actes sont aussi peu publics que possible, nous fournit une occasion de pousser plus loin notre analyse sociologique. Il importait avant tout de savoir dans quelle mesure et comment ces faits étaient sociaux. Autrement dit : quelle est l'attitude de l'individu dans le phénomène social ? Quelle est la part de la société dans la conscience de l'individu ? Lorsque des individus se rassemblent, lorsqu'ils confor­ment leurs gestes à un rituel, leurs idées à un dogme, sont-ils mus par des mobiles purement individuels ou par des mobiles dont la présence dans leur conscience ne s'explique que par la présence de la société ? Puisque la société se compose d'indivi­dus organiquement rassemblés, nous avions à chercher ce qu'ils apportent d'eux-mêmes et ce qu'ils reçoivent d'elle et comment ils le reçoivent. Nous croyons avoir dégagé ce processus et montré comment, dans la magie, l'individu ne pense, n'agit que dirigé par la tradition, ou poussé par une suggestion collective, ou tout au moins par une suggestion qu'il se donne lui-même sous la pression de la collectivité.

Notre théorie se trouvant ainsi vérifiée, même pour le cas difficile de la magie, où les actes de l'individu sont aussi laïcs et personnels que possible, nous sommes bien sûrs de nos principes en ce qui concerne le sacrifice, la prière, les mythes. On ne doit donc pas nous opposer a nous-mêmes si, parfois, nous parlons de magiciens en renom qui mettent des pratiques en vogue, ou de fortes personnalités religieuses qui fondent des sectes et des religions. Car, d'abord, c'est toujours la société qui parle par leur bouche et, s'ils ont quelque intérêt historique, c'est parce qu'ils agissent sur ses sociétés.

III
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