Introduction Psychanalyse et perspectives concernant l’autisme





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A paraître dans « Médecine et Enfance »

Geneviève HAAG1
COMMENT LES PSYCHANALYSTES PEUVENT AIDER LES ENFANTS AVEC AUTISME ET LEURS FAMILLES

Introduction - Psychanalyse et perspectives concernant l’autisme



L’urgence est de lutter contre le clivage qui continue à sévir entre les points de vue cognitiviste, génétique, et des neurosciences d’une part et les points de vue psycho-dynamiques.

La psychanalyse s’intéresse à tous les aspects du développement de la psyché et a réalisé beaucoup d’approfondissements pratiques et théoriques en abordant progressivement des psychopathologies de plus en plus graves. Ses recherches se sont entrecroisées avec d’autres domaines d’études développementales, par exemple pour le champ qui nous occupe, avec celles du Pr A. Bullinger sur les sensorialités et les plateformes sensori-toniques et tonico-émotionnelles [1] ou celles du Pr C. Trevarthen [2] sur le dialogue émotionnel dans les échanges sonores très précoces, ou encore celles de J. Nadel [3] sur l’imitation. Nous avons également attaché une très grande importance à l’approfondissement du développement précoce par l’observation naturaliste du nourrisson dans sa famille (méthode E. Bick [4]).

Notre souci, et celui des patients, est : comment la psyché essaie de se construire malgré des handicaps dont le substrat neurophysiologique est patent et/ou dont les éléments génétiques de prédisposition sont recherchés, comme dans la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive et l’autisme. Mais les facteurs environnementaux, parmi lesquels les facteurs relationnels sont très importants, ont une influence de plus en plus reconnue sur l’expression du génome (épigenèse) et influent aussi sur le développement cérébral précoce. En tout cas, c’est la possibilité d’une influence environnementale qui nous donne l’espoir d’avoir un certain impact tant sur le plan éducatif que thérapeutique, et ceci le plus tôt possible.

Mais si les psychanalystes mettent davantage l’accent sur le primum movens d’une dysrégulation émotionnelle plurifactorielle, cela ne veut pas dire qu’ils ne considèrent que les facteurs environnementaux. La plupart sont aussi à l’affût des recherches neurophysiologiques et biologiques qui viendraient confirmer une prédisposition qu’ils ressentent souvent ; le « traitement » des émotions est aussi dans le cerveau. L’augmentation des hormones de stress mise récemment en évidence par la recherche clinico-biologique de S. Tordjman [5] semble l’un des chaînons importants à considérer. Quoi qu’il en soit, ces dysrégulations entravent autant le développement de toute la personnalité que les processus cognitifs ; d’autres courants mettent plus l’accent sur l’hypothèse de troubles cognitifs spécifiques : troubles des réceptions sensorielles (M. Zilbovicius) [6], qui pourraient rejoindre les travaux psychanalytiques sur le démantèlement de l’appareil de perception, défaut de « théorie de l’esprit » (U. Fritz) [7], qui pourrait rejoindre les travaux psychanalytiques de longue date sur les identifications. Nous aurions tout intérêt à nous coordonner pour avancer plutôt que de déclarer chroniquement que « la » découverte scientifique du moment confirmerait l’origine cérébrale ciblée de l’autisme et battrait en brèche toute considération de psychopathologie dynamique.

Or, les découvertes faites par les psychanalystes qui ont longuement travaillé avec les enfants avec autisme depuis maintenant plus de trente ans, sont importantes et rejoignent complètement les autobiographies de sujets avec autisme (T. Grandin, D. Williams [8] ) ainsi que des repérages actuels de chercheurs non-psychanalystes tels que ci-dessus mentionnés.

I – Les traitements psychanalytiques des enfants et adolescents avec autisme


A) Aménagements techniques

La psychanalyse a été adaptée aux enfants à travers la technique du jeu spontané [9], qui a des rapports avec le rêve. Mais est-ce possible avec les enfants avec autisme qui ne jouent pas ? [10]. Nous avons découvert qu’ils sont en fait capables de répondre, à une attention ouverte à leurs difficultés, par l’association libre, fondement de la technique psychanalytique, en utilisant au départ, non pas les jouets, qui doivent cependant être à disposition ainsi que des livres d’images, mais leur corps propre, le nôtre, les éléments architecturaux de la pièce et son mobilier, à un niveau en effet très primitif de symbolisation qu’ils nous ont aidés à préciser. Cela suppose la formation des thérapeutes au décryptage du langage corporel et spatial en exerçant l’observation minutieuse de toute l’expression corporelle, tout en recevant ce qui nous était parallèlement donné à ressentir. Nous avons pu rejoindre les repères développementaux de la même construction du moi corporel dont les bébés, à partir au moins du 2e trimestre de la 1ère année, semblent bien conscients. Les travaux d’E. Bick [11], de F. Tustin [12] et de D. Meltzer [13], avaient déjà grandement déchiffré ce langage préverbal, déchiffrage que nous avons poursuivi et qui n’est certes pas terminé. On est amené à une permissivité relative du contact corporel, sans toutefois le chercher ni le favoriser ; les élans affectifs, lorsque l’enfant s’en défendra moins, iront vers les parents. Nous utilisons en effet un concept du transfert et du contre-transfert élargi à la reproduction, dans la relation thérapeutique, des angoisses et des défenses archaïques ainsi que des modalités indentificatoires primitives, que nous appelons adhésives depuis E. Bick (1975) (collages corporels et agrippements sensoriels) et projectives (tentatives de pénétration corporelle et psychique dans l’autre), dans les versions normales et pathologiques de ces identifications.

Le but est de communiquer au sujet souffrant d’autisme le maximum de compréhension car celle-ci fait partie des facteurs environnementaux qui facilitent la construction de la contenance corporelle et émotionnelle. La compréhension juste est la plus efficace mais aussi la plus difficile puisque les repères développementaux sont perdus. C’est pourquoi nous devons nous combiner étroitement, parents, éducateurs, enseignants et psychanalystes, ceux-ci devant communiquer les principales découvertes que les patients les ont amenés à faire concernant leurs vécus émotionnels et la construction de leur personnalité.

Pour les cas à risque d’évolution autistique dépistés très tôt, les consultations thérapeutiques hebdomadaires ou bimensuelles parents-bébés doivent être instaurées très tôt (G. Crespin [14] ) ; on peut aussi utiliser avec efficacité l’observation thérapeutique à domicile qui nécessite une formation particulière (Houzel, [15]).

Un traitement individuel peut s’instaurer dès l’âge de 2 ans ½ (Houzel, ibid. ; M.C.Laznik [16]) mais une période de séances mère ou parents/enfant est souvent nécessaire au départ. On peut aussi envisager des traitements en tout petits groupes avec deux thérapeutes (Urwand, Haag [17]). Le rythme souhaitable des séances individuelles est de trois à quatre séances hebdomadaires. Il est souvent très difficile d’en installer plus de deux. Une seule risque d’être bien peu efficace. Les groupes se font plus souvent à raison d’une ou deux fois par semaine.

B) Les processus

1/ Révélations faites par les enfants avec autisme eux-mêmes de leurs vécus corporels et spatiaux angoissants, plus ou moins colmatés par les stéréotypies et rituels, mais qui handicapent leurs explorations spontanées.

Ces vécus sont des sensations de chute et de liquéfaction, en rapport avec des effondrements toniques le plus souvent insoupçonnables derrière des enraidissements, des mouvements rythmiques ou des agrippements sensoriels (lumière, son, vertige labyrinthique), mais parfois « réalisés » de manière brusque lors de séparation corporelle (fin de séance dans le cadre thérapeutique), de changement imprévisible, ou de débordement émotionnel : l’enfant s’écroule alors comme un tas de chiffons. Ceux qui parlent peuvent ajouter des évocations d’écoulement et/ou d’engloutissement tourbillonnaire, tel l’enfant Paul qui, après une longue séparation d’été, s’effondre ainsi en fin de séance de retour et dit avec un filet de voix tremblée, très angoissée « On va pas couler dans les W.C… » Une fillette sans langage verbal, cherchant à répondre au questionnement sur son enraidissement corporel global quasi-permanent, verse de l’eau par terre et désigne la flaque, tout en laissant tomber comme une flaque, à côté, une peluche toute molle, vidée de sa bourre. Pour ce qui est de la chute, les enfants font de nombreuses mises en scène d’objets qui tombent du bord des tables, des rebords architecturaux, des sièges etc. Certains se perchent eux-mêmes sur ces rebords architecturaux, comme des alpinistes contre la paroi et nous communiquent ainsi la peur qu’ils ne tombent.

Les enfants nous ont également indiqué la nature de leurs peurs de la rencontre du regard qui semblent avoir deux composantes, combinées ou non :

  • peurs prédatrices (l’œil-bec) démontrées souvent avec des objets pointus dirigés vers nos yeux, ou passant à côté en frôlant notre tête ; « racontées », à une étape plus évoluée, sur des images ou des objets ou avec des marionnettes : grands becs d’oiseaux désignés de manière insistante parallèlement aux yeux d’autres animaux ; index fondant comme un épervier sur les yeux d’un enfant dans un livre d’images ;

  • peur de tomber de l’autre côté des yeux ou de la tête d’autrui, cela est mimé de diverses manières ; nous comprenons que le défaut ou la faiblesse d’introjection de la contenance corporo-psychique est projeté sur la tête de l’autre, nous en reparlerons.

Nous observons, dans les cas les plus graves, l’absence de perception du pourtour de la bouche, ce que j’ai appelé « l’amputation du museau » c’est-à-dire de la zone de contact dans le nourrissage, qui se manifeste par des bouches flasques, coulantes, ou bien sa perception est si fragile qu’il faut y entretenir des excitations trop dures (objets durs, remplissages excessifs). Lorsque les enfants retrouvent cette sensation par des explorations intenses des objets, des murs, avec la langue et les lèvres, ils réalisent des jonctions main-bouche jusque là inexistantes. Les fluctuations obligatoires dans cette trouvaille, ou retrouvaille, provoquent des crises très angoissées de « dépersonnalisation » où l’on peut voir l’enfant se « rattraper la bouche » en hurlant.

Nous observons également des négligences d’un hémicorps que j’ai appelé « hémiplégie autistique », ou bien le besoin de se coller latéralement au corps de l’autre : le symptôme bien connu de prendre le bras ou la main de l’autre pour obtenir ou faire quelque chose appartient à cette problématique ; la technique de « communication facilitée » en est une application pratique, de découverte empirique.

On peut observer plus rarement une négligence des membres inférieurs réalisant une pseudoparaplégie et pouvant gravement retarder la marche.

Tous ces symptômes se sont révélés, chemin faisant, en lien avec la non-constitution, la perte, ou la fragilité des bases de l’image du corps, les « représentations du corps » dit A. Bullinger, principalement le sentiment d’enveloppe c’est-à-dire « être dans sa peau », avec son noyau interne autour de l’axe langue/mamelon relayé par le pouce autoérotique : défaut de constitution des grands axes, vertical et horizontal, qui attachent, « membrent » solidement le corps, ce que certains (D. Meltzer) appellent le « squelette interne ».

Les enfants avec autisme qui progressent dans la communication sont conscients du processus de construction ou reconstruction de ces formations et cherchent à nous l’expliquer, tout d’abord en langage préverbal dans des séquences de comportement répétitives et insistantes, qui se retrouvent d’un cas à l’autre, et nous forcent à les décrypter.

2/ Reconstruction du moi corporel

Voici comment les enfants avec autisme, les uns après les autres, résument le processus de formation de cette contenance-peau, que nous appelons aussi « enveloppe » : il faut combiner le tactile - principalement celui du dos, qui est le premier contact accepté ou recherché par les enfants (Soulayrol [18]) et qui draine les échanges rythmiques dans le sonore et probablement les autres sensorialités de proximité - avec l’intense pénétration du regard : cela fait une enveloppe circulaire ou plutôt sphérique tout autour du corps et tout d’abord de la tête [19]. Cela va de pair avec un réinvestissement de la bouche et de la zone péribuccale évoqué plus haut. Cette première sphère englobe aussi la main. Nous reconnaissons là ce qui se passe dans les premiers mois de la vie : soutien dos/nuque, enveloppe sonore, intense œil à œil pendant le nourrissage, surtout le dans deuxième mois.

L’étape suivante est la consolidation des grands axes du corps, qui sont souvent non constitués ou très fragiles, donnant des enfants pantins ou plus souvent des enfants très enraidis, tentant de « se tenir » sur leur propre rigidité musculaire. Là aussi ce sont les démonstrations insistantes des enfants qui ont forcé notre compréhension : le côté dominant du corps est fortement identifié au corps et aux fonctions de la mère ou du personnage maternant réactualisé dans le transfert sur le thérapeute, et la communication entre bébé et mère se rejoue d’un côté à l’autre du corps dans les jeux de mains en intégrant l’axe [20] [21].

Nous avons des démonstrations similaires pour l’intégration des membres inférieurs, dont les principaux signes sont répertoriés dans les articles sus-cités et repris dans la grille de repérage des étapes évolutives de l’autisme traité que nous avons établie avec des collègues [22]. Cette grille met en parallèle cette reconstruction avec le développement, spontané, des explorations cognitives et celui du langage et de la symbolisation.

Toutes les démonstrations des enfants, notamment du côté des reprises développementales [23] sont parfaitement congruentes avec ce que nous donne la reprise de l’observation du développement évoquée au début de ce texte. Elles s’entrecroisent aussi très bien avec les apports des repérages cognitivistes qui ont eu raison de souligner par exemple l’absence de pointage proto-déclaratif que nous avions également remarqué comme une caractéristique importante, ainsi que l’absence d’attention conjointe. Les enfants nous éclairent, par ce que j’appelle leurs « narrations préverbales », sur certaines articulations entre ces différents signes en les reliant à la fragilité de la contenance et en les mettant dans la filière des processus identificatoires que nous avons pu ainsi mieux comprendre.

L’évolution, même favorable, n’est pas linéaire, elle est émaillée de crises qu’il faut bien connaître. En effet, dans les processus thérapeutiques, lorsque ce que nous appelons le « dégel pulsionnel » survient, il est souvent volcanique et donne lieu à de nouveaux troubles du comportement comme les agressions joyeuses du visage : griffures, tirage des cheveux, voire morsures qui sont le témoignage d’un amour oral par rapport auquel il faut faire ou reprendre ce que l’on fait normalement dans le deuxième semestre de la vie : faire respecter la limite de la peau, aider à transformer en caresse, mais surtout théâtraliser la dévoration (jeu de lion), ce qui est l’un des paliers importants d’instauration du faire-semblant qui manque tellement aux enfants avec autisme. Dans le même temps peuvent se multiplier les crises de tantrum (selon le mot de F. Tustin, crises émotionnelles dans le vocabulaire cognitiviste), qu’il est très important de comprendre et de gérer avec les parents et les autres intervenants. Ces crises mêlant rage et angoisses corporelles, surviennent dans la prise de contact avec la réalité et ses frustrations là où auparavant l’enfant aurait colmaté avec des stéréotypies. Elles sont très éprouvantes et peuvent durer entre dix minutes et une heure. Mais, parallèlement, la communication s’améliore.

Un autre type de crise, plus tardive, est le surgissement d’états maniaques (plus ou moins grande excitation souvent sexualisée), nécessitant la même coopération étroite pour comprendre les angoisses dépressives qui sont en arrière-plan avec surtout, pour l’enfant, une auto-dévalorisation correspondant d’un côté à une plus grande conscience de son état, de sa différence, de son décalage développemental, des bizarreries d’adaptation sociale dues à son plus ou moins long retrait, mais aussi à la nuance mélancolique de cette dépression qui comporte des éléments de destructivité : c’est vraiment le rôle des psychanalystes de travailler cela pour essayer de contenir le mieux possible cette crise dans la relation thérapeutique.

Cette crise, si elle arrive au moment de la puberté, peut se combiner à l’excitation pubertaire, ce qui ne peut qu’amplifier le caractère d’excitation sexualisée. Le recours à une aide médicamenteuse transitoire peut être nécessaire, mais son ajustement est souvent difficile à cause de réactions souvent paradoxales.

Le développement du langage est très variable, souvent partiel [24]. La tonalité de la voix a du mal à se mettre en place (voix haut perchées, monocordes). Il faut dire que le rapport des autistes au sonore est très particulier, avec probablement un trouble instauré dès la vie prénatale. Il existe une hypersensibilité à certains bruits (machine trépidante, perceuse, tondeuse…), mais peut-être aussi au bruit de l’articulation consonnantique de la parole (le dur de la parole). On est donc obligé de musicaliser beaucoup sa voix, certains enfants ne se démutisent d’abord qu’en sons vocaliques ou en chansons. L’étude neurophysiologique récente, répercutée dans les médias en annonçant que les autistes sont « imperméables à la voix humaine », à partir du constat de la non-activation chez 4 des 5 adultes avec autisme de l’aire spécifique de réception de la voix, nous semble une conclusion très hâtive. Certes les sujets avec autisme sont fréquemment en état de non réceptivité de la parole ; cependant, nos observations cliniques nous font présumer qu’il y a bien une reconnaissance de la voix mais dont l’entrée serait en quelque sorte filtrée par une triple exigence : une suffisante douceur et musicalité, l’adéquation du contenu à leurs préoccupations notamment de leurs vécus corporels, et pour certains l’adresse, indirecte, du commentaire émotionnel.

C/ Résultats


Nous sommes bien d’accord que la prise en charge psychanalytique, si elle n’est pas combinée étroitement avec les efforts éducatifs, le dialogue fréquent avec les parents et le travail de soutien à domicile, ne peut suffire, mais en échangeant nos expériences entre psychothérapeutes de formation psychanalytique, nous pouvons affirmer que nous avons aidé un certain nombre d’enfants avec autisme de bon niveau intellectuel à évoluer avec beaucoup moins de séquelles, notamment obsessionnelles avec rigidité de la pensée telles qu’elles sont décrites dans la littérature depuis Kanner, et aussi avec une meilleure contention émotionnelle bien que cela reste le point fragile ; mais les patients en sont alors conscients et sont capables d’organiser les préventions nécessaires. Il faut aussi savoir qu’il peut y avoir une aggravation transitoire des symptômes anxieux ou obsessionnels pendant l’adolescence car elle réébranle le moi corporel.

Nous avons aussi travaillé avec des enfants déficitaires qui évoluent certes beaucoup plus lentement mais qui nous « parlent » avec les mêmes démonstrations préverbales, des mêmes représentations du développement du moi corporel et de ses aventures, que les enfants de haut niveau au début de leur traitement. Il faut cependant reconnaître que certains enfants, même vus très tôt dès la première année de la vie et traités assez intensément, évoluent très peu sans que nous puissions, dans l’état actuel de nos connaissances, comprendre toujours pourquoi. Ces cas, malheureusement très éprouvants pour les familles et pour les intervenants, mériteraient que l’on resserre d’autant plus les liens interdisciplinaires. Malheureusement la souffrance et le sentiment d’échec poussent souvent aux clivages et certaines familles rompent, nous accusent d’impuissance et s’engouffrent dans le clivage actuellement en cours dans les milieux scientifiques eux -mêmes.
II – Le soutien aux familles. Il peut prendre des formes différentes :

  • Les consultations familiales de départ, alternant des entretiens avec les parents seuls, et les parents avec l’enfant. Il s’agit tout d’abord de communiquer les observations mutuelles, d’échanger les compréhensions intuitives des parents et les compréhensions issues de notre expérience, de reprendre les repères développementaux qui ont plusieurs raisons d’être embrouillés, de laisser parler la souffrance et les interrogations forcément angoissées des parents qui nous demandent souvent des éléments de pronostic qui sont très difficiles à donner lorsque l’enfant est très jeune ! Parlera – t – il, ou elle ? Quand ? Nous n’avons pas actuellement de critères fiables de pronostic. Nous pouvons pécher par trop d’optimisme ou de pessimisme. Le plus sage et le plus fécond, mais aussi le plus difficile à maintenir, semble être de proposer une étroite coopération pour suivre l’évolution pas à pas en cherchant les meilleures prises en charge pouvant favoriser le développement de l’enfant à l’étape ou il est. Cela suppose, aussi bien de la part des parents que de celle des professionnels, de pouvoir tolérer l’incertitude et, tout en prenant les moments nécessaires de recul pour l’évaluation des différentes étapes, de se focaliser sur tout ce que nous pouvons observer et comprendre de l’enfant qui va, comme nous l’avons vu, dans les évolutions les plus favorables, traverser des « crises » qui peuvent paraître souvent une aggravation. La notation soigneuse des signes positifs en contre-point des crises anxieuses ou de nouveaux troubles du comportement peut seule redonner espoir.

  • Le soutien à domicile est un volet important de la prise en charge. Bien avant l’installation des SESSAD, plusieurs équipes ont proposé ce soutien ne serait-ce qu’une ou deux fois par semaine pendant environ une heure et demie afin de voir ensemble avec les parents certains aspects du quotidien et chercher comment essayer de renverser certains cercles vicieux qui se créent obligatoirement autour des troubles alimentaires et de sommeil, de l’absence de jeux spontanés chez l’enfant, ce qui aboutit à supprimer parfois l’espace de jeu au profit de sollicitations seulement éducatives, souvent désajustés en raison de la perte des repères développementaux évoquée plus haut. Beaucoup de familles ont apprécié ce soutien du « voir ensemble », et aussi de pouvoir communiquer et partager les interrogations et anxiétés dans un rythme moins espacé que celui des consultations. La visiteuse à domicile pouvait aussi, lors de l’intégration scolaire, faire le pont pour la mise en selle de l’enfant, et l’accompagner dans des lieux de loisirs pour soutenir les tentatives d’intégrations sociales. Les SESSAD peuvent maintenant apporter le soutien d’interventions plus fréquentes et variées. Ce travail demande une grande délicatesse de la part des intervenants et un grand respect du rôle des parents.

  • Les demandes ou propositions d’aide psychothérapique individuelle ou groupale. Autour d’un enfant autiste, il est difficile de « garder le moral », même si l’on n’a pas de tendances dépressives ou anxieuses. Les couples peuvent être ébranlés. Certains parents demandent ou acceptent une psychothérapie personnelle, ou de couple, qui peut leur être proposée. On peut aussi envisager, dans certains cas de plus forte résonance des troubles de l’enfant dans le groupe familial, des thérapies familiales analytiques qui servent en même temps de soutien pour les frères et sœurs, qui sont également éprouvés ; elles sont réalisées généralement à un rythme hebdomadaire ou bimensuel avec deux thérapeutes ; les « associations libres » circulent entre les parents, les activités ludiques (jeux, dessins) des autres enfants, et les expressions en langage corporel de l’enfant autiste parlant ou non parlant, dont on peut ainsi mieux repérer le sens tous ensemble ; cette thérapie peut être préalable, ou parallèle, ou postérieure, à la thérapie individuelle de l’enfant ; c’est le thème groupal qui se dégage qui est retenu et interprété par les thérapeutes, ; il est fait des « résonances » entre les angoisses archaïques de l’enfant et celles que nous avons tous au fond de nous même avec notre psychisme très complexifié et articulé avec nos héritages transgénérationnels, pleins de richesses mais aussi parfois de drames terribles qui peuvent faire irruption dans le thème groupal et être compris.

  • Certaines équipes font aussi des groupes d’expression pour la fratrie qui sont très appréciables

Ces soutiens spécifiques offerts par les psychanalystes ne sauraient remplacer le soutien et l’aide concrète que peuvent trouver les parents dans leurs Associations : partage des difficultés avec le réconfort de la profonde empathie et sympathie que peut éveiller la difficulté commune ; échanges d’informations de toutes sortes, union pour cerner les besoins et réclamer avec force les équipements nécessaires pour le suivi des enfants, des adolescents et des adultes. Mais il est tout à fait navrant que certaines Associations se soient braquées dans un clivage absolu entre les perspectives éducatives et les perspectives thérapeutiques même s’il est vrai que certaines fractions du monde psychanalytique, qui garde ses divisions et ses conflits autant que d’autres mondes scientifiques, aient pu prendre des positions, et encore peut-être maintenant malheureusement, qui peuvent culpabiliser en restant sur l’idée d’une psychogenèse pure, ou en tout cas ne pas aider les parents à se déculpabiliser car quel est le parent qui ne se culpabilise pas si son enfant ne va pas bien ?

En tout cas, cessons d’assimiler les positions de l’ensemble du courant psychanalytique actuel à celles de B. Bettelheim il y a 50 ans, et affirmons que plusieurs courants ont développé des recherches cliniques qui peuvent parfaitement et le devraient beaucoup plus que maintenant s’articuler avec les neurosciences et des projets éducatifs car toutes les propositions en cours (TEACH, PECS, etc..) vis-à-vis desquelles certains crient maintenant prudence par rapport à leurs aspects trop conditionnants et invitent à considérer davantage la vie émotionnelle, contiennent beaucoup de repérages intéressants, mais l’on est loin de l’élaboration d’une psychopédagogie définitivement au point comme le proclame chaque nouvelle méthode, sans doute parce qu’on est loin de comprendre encore assez bien les articulations multidimensionnelles de ce grave trouble cognitivo-émotionnel. Les psychanalystes peuvent, dans cette recherche également, apporter leur « grain de vérité » disait F. Tustin pour l’articuler aux autres.
Contact et copyright : G. Haag, 18 rue Emile Duclaux, 75015 Paris
RESUME

Les psychanalystes ont adapté la méthode de l’association libre en prenant en compte le langage corporel des enfants avec autisme qui nous ont révélé la nature de leurs vécus crispés sur les stéréotypies. La principale panne développementale, quelles qu’en soient les causes, semble la non- constitution ou l’effondrement des premières constructions du moi corporel permettant à la fois d’être dans sa peau et de contenir les émotions. Le débordement émotionnel à la réception de la voix, à la pénétration du regard semble couper, dissocier le développement des réceptions sensorielles et de leur organisation perceptuelle permise par la fonction d’attention, et aussi gravement entraver le développement cognitif. Ces observations et ces hypothèses s’entrecroisent et se discutent avec les recherches cognitivistes, neurophysiologiques et génétiques.
MOTS CLES
Autisme. Psychanalyse. Moi-corporel. Débordement émotionnel. Langage préverbal. Processus développemental (reprise).
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1 Psychiatre et psychanalyste (SPP)



Autisme-pédiatres 27.01.05

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