 DROIT ADMINISTRATIF I Cours de M. Michel ERPELDING
Travaux dirigés de M. Arnaud BONISOLI
4e séance : Les sources constitutionnelles du droit administratif
DOCUMENTS :
Document n° 1 : CE Sect., 6 novembre 1936, Arrighi, concl. R. Latournerie.
Document n° 2 : CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, GAJA.
Document n° 3 : CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, n° 26 638 Rec., p. 317, AJDA 1956, p. 400.
Document n° 4 : CC n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association, AJDA 1971, p. 537.
Document n° 5 : CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, n° 169 219, AJDA 1996.722 ; RFDA 1996, p. 870, conclusions Delarue, GAJA.
Document n° 6 : CE, 8 juillet 2002, Commune de Porta, n° 239 366, AJDA 2002, p. 1005.
Document n° 7 : CE Ass., 16 décembre 2005, Syndicat national des huissiers de justice, AJDA 2006, p. 357.
Document n° 8 : CE, 8 octobre 2010, Mme D., n° 338505, AJDA 2010, p. 2433.
Document n° 9 : CE, 16 janvier 2015, Société Métropole Télévision
EXERCICE : Commentaire du document n° 9.
DOCUMENT N° 1 : CE Sect., 6 novembre 1936, Arrighi, concl. R. Latournerie. VU les lois constitutionnelles des 25 févr. et 16 juill. 1875 ; les lois des 7-14 oct. 1790 et 24 mai 1872 ; l’art. 36 de la loi du 28 févr. 1934 ; le décret du 10 mai 1934 ; Sur le moyen tiré de ce que l’art. 36 de la loi du 28 févr. 1934, en vertu duquel ont été pris les décrets des 4 avr. et 10 mai 1934, serait contraire aux lois constitutionnelles : Considérant qu’en l’état actuel du droit public français, ce moyen n’est pas de nature à être discuté devant le Conseil d’État statuant au contentieux ;
Sur les autres moyens :
Considérant, d’une part, qu’il résulte du texte même de l’art. 36 de la loi du 28 févr. 1934, et compte tenu des conditions dans lesqueIles il a été voté, qu’en autorisant le Gouvernement à prendre les mesures d’économie qu’exigera l’équilibre du budget, le législateur a entendu le mettre à même de réaliser toutes les réformes susceptibles de conduire à une réduction des charges financières de l’État et d’aider au rétablissement de l’équilibre budgétaire par leurs répercussions sur les dépenses de l’exercice 1934 au des exercices suivants ; qu’ainsi, le Gouvernement n’a pas excédé les pouvoirs exceptionnels qu’il tenait de la disposition législative susrappelée en modifiant, dans un intérêt d’économie, la législation relative à la mise à la retraite des fonctionnaires ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’art. 2 du décret du 10 mai 1934, « pourront être mis à la retraite d’office, avec droit à pension d’ancienneté, les fonctionnaires justifiant d’un nombre d’années de service au moins égal au minimum exigé et qui seront, du fait de leur admission à la retraite d’office, dispensés de la condition d’âge » ; que le sieur Arrighi soutient à la vérité que cette disposition ne lui serait pas applicable parce qu’il n’a pas accompli trente ans de services depuis qu’il a quitté l’armée ; mais qu’il résulte de l’art. 12 do la loi du 14 avr. 1924 que les services militaires accomplis dans les armées de terre et de mer concourent avec les services civils pour la détermination du droit à pension ; qu’il est constant que le sieur Arrighi a accompli plus de trente ans de services civils et militaires ; qu’ainsi, le ministre de la guerre a pu légalement le mettre à la retraite d’office avec droit à pension d’ancienneté, par application de l’art. 2 précité du décret du 10 mai 1934 ;
Art. 1er. La requête… est rejetée. *** Conclusions de R. Latournerie sur CE, Sect., 6 novembre 1936, Arrighi : Le principe de la séparation des pouvoirs présente chez nous, en effet, un caractère très spécial, que lui ont imprimé les circonstances historiques particulières. Nous devons les rappeler sommairement. Affirmé dans l’article 16 – qu’invoque expressément le sieur Arrighi – de la Déclaration des droits de 1789, quel sens attache-t-on alors à ce principe ? La conception en est entièrement dominée par la souveraineté de la loi. Nous n’avons pas à examiner ici en détail le rôle que jouèrent sur ce point la doctrine d’alors et notamment les idées du philosophe de Genève. On sait à quel degré d’absolutisme il portait cette souveraineté, au nom de la volonté générale, et par quelles formules catégoriques il a présenté (…) certaines affirmations dont la vérité a depuis paru moins évidente (…). À cette considération de doctrine constitutionnelle s’ajoutent d’ailleurs les préjugés qu’avaient inspirés, comme on l’a maintes fois rappelé, à des assemblées novatrices, des Parlements hostiles aux réformes. C’est par cette conjonction d’influences que s’expliquent tant les interdictions portées par les art. 10 et 11 de la loi des 16-24 août 1790 que le refus aux juges (…) même du pouvoir d’interpréter la loi (…).
Mais quoiqu’il en soit de l’interprétation que le principe de la séparation des pouvoirs a pu recevoir dans le passé, la solution qui écarte le contrôle [de la loi] est-elle aujourd’hui en accord avec l’ensemble de la situation juridique ?
On peut tout d’abord faire observer que (…) la conception que l’on se fait tant de la loi que des pouvoirs du juge s’est considérablement modifiée (…). Si, d’autre part, il fut un temps où le pouvoir judiciaire fut suspect de vouloir entreprendre sur l’autorité du législateur, il ne paraît guère contestable que ces temps sont bien révolus (…). Et si la loi continue à rester la règle juridique fondamentale, sinon aux yeux de tous, suprême, le temps n’a pas laissé d’atténuer sérieusement, depuis un siècle, la conception quasi oraculaire qu’on s’en était faite un instant.
Si large qu’ait été en effet l’extension des pouvoirs du juge dans l’interprétation de la loi, elle ne saurait aller jamais jusqu’à priver de force un acte législatif, du moins émanant du parlement. Comment pourrait-il en être ainsi, alors que la théorie dite des actes de gouvernement met en dehors de votre contrôle jusqu’aux actes relatifs aux rapports de l’exécutif et du parlement (…).
Si malgré les progrès qu’il a faits dans l’étendue de son contrôle, le juge, et en particulier le juge de l’excès de pouvoir, a désarmé les préjugés qui avaient fait tenir en suspicion la magistrature de l’époque intermédiaire, ce serait, semble-t-il, une entreprise non moins vaine que dangereuse que de l’engager à risquer, par de telles tentatives de contrôle [de la loi], tout l’acquis de la jurisprudence. Quelque atteinte qu’aient pu recevoir certaines idées trop absolues sur la souveraineté de la loi, il n’en reste pas moins en effet que, dans la théorie et aussi dans la pratique de notre droit public, le Parlement reste l’expression de la volonté générale et ne relève à ce titre que de lui-même et de cette même volonté.
Pratiquement d’ailleurs, quel serait l’avantage que l’on pourrait attendre d’un tel contrôle ?
Il faudrait, pour qu’il y en eût un, que la loi supérieure eût un contenu substantiel à l’égard des droits individuels. Or, si l’on écarte les déclarations de droits, il ne reste, dans nos textes constitutionnels, que des prescriptions de procédure, sans intérêt contentieux pour les particuliers. DOCUMENT N° 2 : CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, GAJA. Vu la requête présentée par le sieur Dehaene [Charles], chef de bureau à la Préfecture d'Indre-et-Loire, ladite requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 10 mars 1949, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler : 1° un arrêté du préfet d'Indre-et-Loire en date du 13 juillet 1948 le suspendant de ses fonctions ; 2° un arrêté du préfet d'Indre-et-Loire en date du 30 juillet 1948 lui infligeant un blâme ; Vu la Constitution de la République française ; Vu les lois du 19 octobre 1946, du 27 décembre 1947 et du 28 septembre 1948 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ;
En ce qui concerne la mesure de suspension : Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la mesure de suspension dont le sieur Dehaene a été frappé le 13 juillet 1948 a été rapportée le 20 juillet 1948, antérieurement à l'introduction du pourvoi ; qu'ainsi la requête est, sur ce point, sans objet ;
En ce qui concerne le blâme : Considérant que le sieur Dehaene soutient que cette sanction a été prise en méconnaissance du droit de grève reconnu par la Constitution ;
Considérant qu'en indiquant, dans le préambule de la Constitution, que "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent", l'assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue l'une des modalités, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ;
Considérant que les lois des 27 décembre 1947 et 28 septembre 1948, qui se sont bornées à soumettre les personnels des compagnies républicaines de sécurité et de la police à un statut spécial et à les priver, en cas de cessation concertée du service, des garanties disciplinaires, ne sauraient être regardées, à elles seules, comme constituant, en ce qui concerne les services publics, la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution ;
Considérant qu'en l'absence de cette réglementation, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; qu'en l'état actuel de la législation il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations ;
Considérant qu'une grève qui, quel qu'en soit le motif, aurait pour effet de compromettre dans ses attributions essentielles l'exercice de la fonction préfectorale porterait une atteinte grave à l'ordre public ; que dès lors le gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la grève de juillet 1948 ;
Considérant qu'il est constant que le sieur Dehaene, chef de bureau à la préfecture d'Indre-et-Loire, a, nonobstant cette interdiction, fait grève du 13 au 20 juillet 1948 ; qu'il résulte de ce qui précède que cette attitude, si elle a été inspirée par un souci de solidarité, n'en a pas moins constitué une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui infligeant un blâme le préfet d'Indre-et-Loire a excédé ses pouvoirs ;
DECIDE :
DECIDE : Article 1er - La requête susvisée du sieur Dehaene est rejetée. Article 2 - Expédition de la présente décision sera transmise au ministre de l'Intérieur. DOCUMENT N° 3 : CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, n° 26 638 Rec., p. 317, AJDA 1956, p. 400.
(…) Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 81 de la Constitution de la République française : « Tous les nationaux français et les ressortissants de l'Union française ont la qualité de citoyens de l'Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et réaffirmés par le préambule de ladite Constitution sont applicables sur le territoire français aux ressortissants de l'Union française ; qu'au nombre de ces principes figure la liberté d'association ; que, dès lors, le Ministre de l'Intérieur n'a pu, sans excéder ses pouvoirs, constater par l'arrêté en date du 30 avril 1953 la nullité de l'association déclarée des Annamites de Paris, dont les dirigeants et les membres étaient des ressortissants vietnamiens ;...(…) (Annulation).
DOCUMENT N° 4 :
CC n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association, AJDA 1971, p. 537.
Vu la Constitution et notamment son préambule ; Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ; Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;
1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ;
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; (…)
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ;
5. Considérant, qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;
Décide : Art. 1er - Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence. (…)
DOCUMENT N° 5 : CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, n° 169 219, AJDA 1996.722 ; RFDA 1996, p. 870, conclusions Delarue, GAJA.
Vu la Constitution ; Vu l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Mali du 9 mars 1962 ; Vu la loi du 10 mars 1927, relative à l'extradition des étrangers ;
(…) Considérant que le décret attaqué accorde l'extradition de M. KONE, demandée à la France par les autorités maliennes pour l'exécution d'un mandat d'arrêt délivré par le président de la chambre d'instruction de la cour suprême du Mali le 22 mars 1994 dans le cadre de poursuites engagées à son encontre pour les faits de "complicité d'atteinte aux biens publics et enrichissement illicite" relatifs aux fonds transférés hors du Mali provenant de trafics d'hydrocarbures susceptibles d'avoir été réalisés à l'aide de faux documents douaniers par Mme Mariam Cissoko et son frère M. Cissoko ; (…)
Considérant qu'aux termes de l'article 48 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Mali du 9 mars 1962 susvisé : "La demande d'extradition sera adressée par la voie diplomatique... Les circonstances des faits pour lesquels l'extradition est demandée,... la qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiquées le plus exactement possible. Il sera joint également une copie des dispositions légales applicables..." ;
Considérant que la demande d'extradition adressée à la France par le Mali le 27 mars 1994 répond à ces prescriptions ; qu'elle précise notamment que les faits reprochés à M. KONE constituent les infractions de "complicité d'atteinte aux biens publics et enrichissement illicite" prévus et réprimés par la loi malienne n° 82-39/AN-RM du 26 mars 1982 et l'ordonnance n° 6/CMLN du 13 février 1974, dont la copie figure au dossier, d'une peine d'emprisonnement de trois à cinq années ; que l'erreur matérielle sur la date de ladite ordonnance dans l'une de ces copies n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le décret attaqué ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant puisse encourir la peine capitale à raison des faits qui lui sont reprochés ; Considérant. qu'aux termes de l'article 44 de l'accord de coopération franco-malien susvisé : "L'extradition ne sera pas exécutée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la partie requise comme une infraction politique ou comme une infraction connexe à une telle infraction" ; que ces stipulations doivent être interprétées conformément au principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'État doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique ; qu'elles ne sauraient dès lors limiter le pouvoir de l'État français de refuser l'extradition au seul cas des infractions de nature politique et des infractions qui leur sont connexes ; que, par suite, M. KONE est, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, fondé à se prévaloir de ce principe ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'extradition du requérant ait été demandée dans un but politique ; (…) |