• Considérations éthiques ou religieuses relatives au droit à l'avortement Les partisans du droit à l'avortement considèrent souvent que sa pénalisation est immorale dans la mesure où elle conduit à des avortements clandestins, causes de fortes souffrances humaines, tant psychologiques que biologiques.
Cependant, pour les adversaires de l'avortement, qu’ils fondent leur position sur une approche religieuse ou non, le problème éthique est la défense de la dignité de l'être humain dès l'instant de la conception.[] La comparaison du nombre des victimes n'est pas un argument pertinent de ce point de vue, puisque la mortalité due aux avortements clandestins reste bien entendu inférieure au nombre d'avortements pratiqués. En outre, la dépénalisation de l'avortement ne supprime pas les souffrances psychologiques que peut subir la femme qui s'y décide29.
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• Considérations éthiques ou religieuses relatives à l'acte d'avortement Dans la plupart des sociétés humaines l'IVG est sujet à de violentes polémiques.
Il était traditionnellement interdit, pour différents motifs : maintien de rites familiaux : dans de nombreuses sociétés, les enfants s'occupent de l'esprit de leurs ancêtres après leur mort ; (notamment : tradition chinoise où l'avortement n'a jamais été illégal ni interdit mais était une décision familiale et/ou sociale à laquelle la femme ne participait pas mais qu'elle subissait uniquement), raisons démographiques : les gouvernements pensant que l'autorisation de l'avortement fait baisser le nombre de naissance, motifs religieux : la plupart des religions interdisent l'avortement car elles le considèrent comme une atteinte à la vie humaine (notamment les religions monothéistes, mais aussi les religions orientales) ; inégalité entre les sexes : l'homme ayant, ou aurait !, la primauté dans la décision d'avoir (ou non) un enfant, la femme se voyait refuser le droit de prendre la décision d'avorter. La découverte en 2006, par des chercheurs des Université de Yale et d’Oxford, que les premiers neurones apparaissent dès le 31e jour suivant la fertilisation[] a apporté un certain renfort aux opposants à l'IVG qui cherchent dans la science des éléments pour conforter leur position.
Les modifications sociales - affaiblissement de l'influence religieuse et de la sacralisation du processus procréatif, importance décroissante du nombre par rapport à la richesse pour les États, progrès médicaux, rapports sexuels chez les jeunes relativement plus précoces dans les pays occidentaux et plus tardifs dans les autres[], mauvaise information sur les moyens de contraception, individualisme, affaiblissement du poids des traditions et égalité des droits entre l'homme et la femme - ont progressivement atténué l'interdit, puis permis une légalisation plus large (extension des cas concernés, allongement de la période légale…).
Sur le plan éthique, l'avortement soulève une question délicate sur la nature de l'embryon. Une incompréhension se manifeste en particulier entre ceux qui estiment qu'un embryon humain ne devient un être réellement humain et conscient que lors du début d'une activité cérébrale, et ceux qui pensent que l'humanité ne dépend pas de l'évolution de la personne mais est intrinsèque à sa nature humaine, dès la conception. D'un côté, l'avortement met fin à la vie de "quelque chose" de vivant, pouvant potentiellement donner un être humain, doté d'une identité génétique propre, et susceptible à terme d'acquérir l'ensemble des attributs humains. Un avortement n'a donc pas la même nature, par exemple, qu'une amputation. D'un autre côté, l'avortement porte sur un être précaire et inachevé, qui n'a aucune autonomie biologique réelle. Suivant les cultures, suivant les positions de chacun, on parle ou non de tuer une "personne" humaine en devenir.
En termes d'éthique, étant acceptée une interdiction de principe "tu ne tueras pas", ne faut-il faire aucune différence quand l'organisme concerné présente des différences d'autonomie d'une telle nature? Mais dans l'affirmative, où placer la limite, et pourquoi? La difficulté de cette question vient de ce que la nature de l'embryon change à la fois physiologiquement, mais en même temps continûment entre la conception et la naissance. Si tout le monde convient qu'à l'instant précédant l'accouchement on a affaire à un être humain à part entière, tandis qu'à l'instant avant la conception il n'y a que deux cellules appartenant aux parents, il existe dans cette période de neuf mois deux possibilités, soit l'humanité débute à l'instant de la conception, soit se présente un choix illimité de moments où fixer le début de la vie.
La difficulté du législateur est de trancher parmi toutes les positions possibles pour fixer un délai légal d'IVG, délai qui fait nécessairement des mécontents de part et d'autres. Les uns et les autres pouvant se réclamer de valeurs peu négociables (la vie humaine d'un côté, la liberté de l'autre). Cela explique que l'avortement soit depuis quelques décennies un sujet de controverse inépuisable.
En outre, la solution éthique ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le drame que peut représenter le choix dans un sens ou dans l'autre, compte tenu des pressions sociales intenses qui s'entrecroisent sur la question.
D'un point de vue légal, la solution conduit à définir une limite précise au statut d'un embryon, autorisant l'avortement en-deçà, et en le condamnant éventuellement au-delà. La plupart des pays du monde ayant des législations différentes et variables avec le temps, on peut en conclure que cette limite n'a pas été trouvée, la science ne pouvant pas, ou difficilement, apporter une réponse.
• Avortement et religions
Les religions ou philosophies posant l'hypothèse des réincarnations sont assez neutres sur le sujet, tandis que celles qui considèrent que la vie est unique (et donc spécialement sacrée), comme le catholicisme, expriment davantage de réserves, voire une condamnation. Cependant, parmi ces dernières, la plupart n'ont pas une position unanime sur le problème de l'avortement - ou du moins ne l'expriment pas avec autant de force.
Bouddhisme Le bouddhisme considère que l'existence, bhava, commence à l'instant de la conception. Il interdit donc généralement l'avortement puisqu'il supprime une vie. Il reconnaît cependant qu'il existe des situations qui le justifient. La définition exacte de ces situations est généralement reconnue comme un problème social qui sort du cadre de la philosophie bouddhiste.
Catholicisme S'appuyant notamment sur Tertullien qui affirme au IIème siècle: Il est déjà un homme celui qui doit le devenir (Homo est qui futurus est, Apologeticum, 9, 6-8), dès le concile d'Elvire vers l'an 300, l'Église catholique punit l’interruption de grossesse d'excommunication, quel que soit le stade de développement du fœtus. Toutefois, la question de savoir à quel moment le fœtus doit être considéré comme entièrement humain (ce qui rend l'avortement condamnable au même titre qu'un meurtre) a été longuement débattue.
Au Concile de Vienne en 1312, « l’Eglise Catholique a exclu tout dualisme entre le corps et l’âme dans la nature humaine, niant ainsi la préexistence de l’âme avant le corps ; il faut les deux pour constituer un être humain, l’âme animant le corps. Toutefois le Concile n’a pas précisé à quel stade du développement humain avait lieu cette union de l’âme et du corps ».[] La thèse de l'animation médiate (c'est à dire différée), qui avait la faveur de Saint Thomas d'Aquin, parait être la plus répandue chez les pères conciliaires mais elle n'est pas rendue « de fide », c'est à dire engageant la foi. Le Concile de Trente (1563), ne prend lui non plus pas partie quand à la date de l'animation du fœtus. Cependant, l'avortement n'est pas condamné en tant que meurtre sur un être humain, mais à cause du respect dû à l'embryon dès sa conception, que sa nature entièrement humaine soit réalisée ou non.
En 1679, Innocent XI confirme que la condamnation de l'avortement est indépendante des controverses théologiques sur la date d'« animation » de l'âme.[] Ensuite, les différents papes reviendront à de nombreuses reprises sur ce sujet sensible. La bulle effraenantum de Sixte V en 1588 fait de tout avortement un crime méritant excommunication. Elle fut annulée par son successeur Grégoire XIV trois ans plus tard en raison des abus provoqués par une application trop stricte de la sentence.
C'est à partir de la fin du XIXe siècle que la papauté favorise la thèse de « l'animation immédiate » définissant que l'être humain existe dès la conception, par la lettre Apostolicae Sedis de Pie IX en 1869. Pour autant, si la condamnation de l'avortement est renforcée par cette thèse, celle-ci n'est pas « de fide ».[] Casti connubii de Pie XI en 1930, Humanae Vitae de Paul VI en 1968, et enfin Evangelium vitae de Jean-Paul II en 1995 vont répéter cette condamnation absolue de l'avortement provoqué.
Aujourd'hui, dans l'Église catholique30,[] « qui procure un avortement encourt l'excommunication latae sententiae », c'est-à-dire d'une exclusion automatique du simple fait que l'acte ait été commis, sans que l'autorité cléricale ait à se prononcer.[ ]On peut noter que cette forme d'excommunication, provoquée par l'acte même (ce n'est pas une juridiction ecclésiastique qui décide d'excommunier) est rarissime pour les laïcs (la plupart des cas recensés dans le droit canon concerne les clercs), ce qui montre bien la force de l'interdit pour l'Église catholique.
Bien que le magistère semble avoir tranché définitivement la question,[] une thèse subsiste chez certains théologiens « libéraux » dans le cas où la grossesse entraîne un risque de mort pour la mère : ils considèrent qu'une « légitime défense » peut être alors moralement acceptable.[ ]Leurs contradicteurs rappellent quant à eux l'incertitude du pronostic médical.
L'Eglise entend porter un jugement sévère sur l'acte lui-même et non pas condamner la personne, ce que montre sa recommandation sur l'accueil pastoral qui doit être réservé aux femmes ayant avorté : elle souligne que cet acte, qu'elle considère très grave, est traumatisant pour la personne qui l'a vécu, qui doit donc du fait même être accompagnée avec une sollicitude toute particulière.[] D'autre part, l'Église affirme que l'avortement résulte souvent d'une pression sociale31,[] []contre laquelle il convient de lutter par des actions sociales adaptées (éducation à la responsabilité sexuelle, centre d'accueil pour mères en détresse).
En revanche, l'Église condamne sévèrement les membres du corps médical procédant à l'avortement (et ce, même dans le cas de prescription de médicament abortif — par exemple la « pilule du lendemain ») en les excommuniant. Ceci s'applique également aux hommes politiques qui défendent l'avortement.
Islam L'islam prohibe l'avortement mais cet interdit est plus ou moins sévère suivant les circonstances et l'état de développement du fœtus. L'interdiction est absolue après 120 jours de grossesse (insufflation de l'âme réelle). Hormis pour l'école malékite, l'avortement peut être admis avant les 120 jours en cas de grande nécessité reconnue (malformation du fœtus, danger vital pour la femme enceinte, viol, femme handicapée ne pouvant assurer l'éducation de l'enfant).
Judaïsme L'avortement n'est pas explicitement mentionné dans les commandements de la Torah. Cependant, certaines de ses dispositions concernent la vie fœtale, directement ou non. La disposition la plus sévère est liée à l'interdiction de tuer. Cette interdiction est directe dans le cas où la halakha considère que le fœtus est un être vivant, mais les sources talmudiques ne sont pas univoques ni même claires à ce sujet (par exemple, Rachi semble indiquer qu'un fœtus n'est pas nécessairement un être humain). Pour ce qui est des autres dispositions, le respect généralement dû à la vie humaine (manifeste dans l'interdiction de blesser ou de détruire la semence humaine) conduit également à argumenter contre l'avortement. De ce fait, cet acte est généralement considéré comme "contraire à la loi", et réprouvé en conséquence. Cependant, le Talmud ne considère qu'un fœtus ne soit formé qu'après quarante et un jours, un avortement avant ce délai est donc considéré moins sévèrement.
La loi juive autorise l'avortement si le fœtus constitue une menace directe pour l'intégrité de la femme enceinte. Les limites de cette menace sont cependant très discutées. La Mishna (Oh 7,6) dit explicitement que l'on doit sacrifier le fœtus pour sauver la mère, parce que la vie de la mère a priorité sur celle de l'enfant qui n'est pas né. Par suite, la plupart des autorités rabbiniques autorisent l'avortement en cas de menace vitale pour la femme, mais d'autres étendent cet avis au cas du risque d'aggravation d'une maladie physique ou psychique de la mère. Pour certains rabbins cette menace peut même être étendue au cas d'adultère, voire aux grossesses extraconjugales du fait de l'atteinte grave à l'honneur qu'elles entraînent.
Dans leur immense majorité (on peut citer l'exception du rabbin Eliezer Waldenberg), les autorités juives ne reconnaissent pas les infirmités du fœtus comme une indication de l'interruption de la grossesse. Rav Moshe Feinstein interdisaient ainsi les diagnostics prénatals qui entraînent les parents à demander une action abortive.
Église orthodoxe Les Églises orthodoxes des sept conciles se réfèrent au canon 91 du concile Quinisexte de 692 : « Les femmes qui procurent les remèdes abortifs et celles qui absorbent les poisons à faire tuer l'enfant qu'elles portent, nous les soumettons à la peine canonique du meurtrier ».
En général elles reconnaissent que certains cas extrêmes, comme un danger de mort pour la femme enceinte, peuvent justifier un acte abortif. C'est alors à la femme de prendre cette décision. La position des Églises orthodoxes rejoint, sur le plan de la morale, celle du catholicisme.
Protestantisme Les Églises protestantes historiques (presbytérienne, épiscopalienne, méthodiste…) adoptent des positions variées. L'avortement est une question éthique, et les protestants considèrent le plus souvent qu'en matière de morale, c'est à chacun de prendre ses responsabilités face à Dieu. Ils acceptent généralement l'avortement en cas de grave danger pour la femme enceinte, et ne condamnent pas formellement les autres cas. Ainsi par exemple, la Fédération des Églises protestantes de la Suisse a soutenu la révision du code pénal donnant aux femmes le droit de décider librement sur l'interruption d'une grossesse dans les 12 premières semaines. Les Églises évangéliques interdisent fermement l'avortement.
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