Le traitement des troubles concomitants : guide pour les conseillers
Introduction
L’étude des problèmes concomitants d’usage de drogues et de santé mentale, ou « troubles concomitants », est désormais un domaine très dynamique, où connaissances et pratiques sont en constante évolution. C’est l’environnement parfait pour les débats animés auxquels se livrent actuellement les chercheurs, les professionnels des domaines de la toxicomanie, de la santé mentale et des troubles concomitants, ainsi que les personnes touchées par les troubles concomitants : les clients et leur famille. Bien que l’étude des troubles concomitants—connus sous plusieurs noms, notamment « double diagnostic » et « troubles jumelés »— soit considérée comme une discipline depuis deux décennies seulement, de nombreux cliniciens ont longtemps tenté de fournir des soins complets aux clients atteints de troubles concomitants.
Pendant 20 ans, les chercheurs et les cliniciens ont essayé de trouver un terrain d’entente entre deux systèmes : celui du traitement de la toxicomanie, et celui du traitement des problèmes de santé mentale. Ces deux systèmes ont chacun leurs traditions et leurs méthodes de traitement, et, d’une façon générale, ils sont financés et fonctionnent séparément. Les premiers traitements de problèmes concomitants qui étaient fondés sur des preuves visaient les personnes ayant un trouble grave de santé mentale. On sait aujourd’hui que le domaine des troubles concomitants englobe tout un éventail de problèmes simultanés d’usage de drogues et de santé mentale.
Le traitement des troubles concomitants : Préface
Un problème de santé mentale ou de toxicomanie est déjà une chose difficile à gérer, mais lorsqu’une personne est atteinte de plus d’un problème, comprendre comment ces problèmes interagissent peut poser un réel défi.
Les intervenants en toxicomanie et en santé mentale savent qu’un grand nombre de clients, sinon la majorité, ont d’autres problèmes en plus de ceux pour lesquels ils cherchent un traitement. Les difficultés concernant les relations personnelles, l’emploi, les finances ou l’hébergement, ou encore les démêlés avec la justice, s’accompagnent souvent d’un problème d’usage de drogues ou de santé mentale. Les intervenants du domaine savent également que lorsqu’une personne a un problème d’usage de drogues ou un problème de santé mentale, elle court un risque accru d’être atteinte en même temps des deux types de problèmes. Diverses études ont démontré qu’environ la moitié des personnes atteintes d’un problème d’usage de drogues ou d’un trouble de santé mentale ont vécu, à un moment donné de leur vie, des problèmes des deux types (Santé Canada, 2002 ; Kessler et coll., 1996 ; Regier et coll., 1990).
Lorsqu’une personne aux prises avec des problèmes concomitants d’usage de drogues et de santé mentale cherche de l’aide, le traitement qu’elle reçoit a trop souvent tendance à viser un seul de ces problèmes. Parfois, aider un client à résoudre un seul de ses problèmes peut déclencher un processus de changement donnant des résultats positifs d’une portée considérable. Mais parfois, cette approche peut ne pas améliorer la situation globale du client, voire même empirer ses deux problèmes. Pour savoir comment offrir une aide réellement efficace à un client, il faut considérer la personne dans son ensemble et comprendre comment ses problèmes se recoupent, se masquent ou s’aggravent mutuellement.
Bien qu’au fil des années, l’interdépendance des problèmes d’usage de drogues et de santé mentale ait souvent été remarquée, l’idée d’intégrer le traitement des « troubles concomitants » est chose récente. Traditionnellement, les personnes cherchant de l’aide pour des troubles concomitants ont presque toujours été obligées d’aller à un endroit particulier pour leur problème de santé mentale, puis à un autre endroit pour leur problème d’usage de drogues, souvent sans qu’il y ait de connexion entre les deux services. C’est seulement au cours des 20 dernières années que les cliniciens et les chercheurs ont commencé à élaborer et à mettre en oeuvre des traitements plus complets pour ces clients.
Maintenant que le besoin d’un traitement intégré des troubles concomitants est mieux reconnu, il reste beaucoup à faire. De nouvelles pratiques cliniques ont été mises au point et un certain nombre d’entre elles sont appuyées par la recherche, mais nous devons approfondir considérablement nos connaissances.
Cet ouvrage puise aussi bien dans la recherche actuelle et le « consensus des experts » que dans les constats de notre travail auprès des clients du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH). Le but de ce partage de connaissances et d’expériences est de permettre aux autres professionnels de tirer avantage de nos gains tout en se joignant à nos efforts en vue d’approfondir nos connaissances dans ce domaine.
Si vos clients sont aux prises avec des problèmes liés à leur usage de drogues et de santé mentale, vous travaillez déjà avec des personnes atteintes de troubles concomitants. Si vous vous êtes engagé à comprendre vos clients et à les voir en tant que personnes entières, vous devez d’abord comprendre la nature et l’évolution de leurs problèmes et les solutions à votre portée.
Il n’est pas suffisant de laisser cette tâche aux spécialistes des troubles concomitants. Tous les professionnels aidants peuvent fournir un soutien : ceux qui travaillent dans les systèmes de toxicomanie et de santé mentale, évidemment, mais aussi ceux des systèmes de justice pénale et correctionnels, des services de soins de santé, des services à l’enfance et aux familles, ainsi que des programmes d’éducation et d’aide aux employés.
L’objectif de cet ouvrage est de permettre à un public plus vaste d’accéder à des renseignements sur les troubles concomitants qui, jusqu’ici, appartenaient aux milieux universitaire et scientifique. Nous espérons ainsi que les conseillers oeuvrant dans une grande diversité de services seront davantage en mesure de travailler avec les personnes atteintes de problèmes concomitants, et que ces personnes recevront les soins complets dont elles ont besoin.
Définir les troubles concomitants
En Ontario, le terme « troubles concomitants » décrit la présence simultanée d’un problème d’usage de drogues et d’un problème de santé mentale (voir l’encadré Définition des termes, plus bas), et regroupe un large éventail de combinaisons de problèmes, par exemple : trouble de l’angoisse et usage abusif d’alcool, schizophrénie et dépendance au cannabis, trouble de la personnalité limite et dépendance à l’héroïne, ou encore trouble bipolaire et problème de jeu. Les problèmes concomitants peuvent se manifester de nombreuses façons (en même temps ou séparément, dans le passé ou au présent), et leurs symptômes ainsi que la gravité de ces derniers peuvent varier avec le temps.
À noter que le terme « troubles concomitants », tel que nous le définissons ici, exclut les maladies mentales non combinées à un problème d’usage de drogues, ainsi que les problèmes d’usage de drogues non combinés à une maladie mentale. Ces combinaisons existent certes mais ne concernent pas le présent ouvrage.
Nous nous pencherons principalement sur les problèmes simultanés de santé mentale et d’usage de drogues, bien que d’autres « dépendances comportementales », comme les problèmes de jeu, puissent également s’associer aux maladies mentales.
Définition des termes
En Ontario, le ministère de la Santé et de Soins de longue durée utilise le terme troubles concomitants pour décrire la présence simultanée de problèmes de toxicomanie et de santé mentale. D’autres termes sont privilégiés par d’autres groupes et milieux ; la liste suivante explique ces termes.
Double diagnostic, troubles jumelés : en dehors de l’Ontario, ces termes sont souvent utilisés pour décrire ce qui en Ontario s’appelle « troubles concomitants ». Une grande partie de la documentation connexe provient des É. U., où ces deux termes sont courants et où on met l’accent sur les maladies mentales graves et les problèmes simultanés d’usage de drogues. En Ontario, « double diagnostic » décrit les problèmes simultanés de retard du développement et de maladie mentale.
Troubles comorbides : la « comorbidité » est un terme médical qui décrit la présence chez une personne de plus d’un problème de santé important.
« Mentally Ill Chemical Abusers » (MICA), Chemically Abusing Mentally Ill (CAMI) – termes anglais : « MICA » décrit les personnes dont le principal problème est une maladie mentale et qui ont également des problèmes liés à leur usage de drogues ; « CAMI » décrit les personnes dont le principal problème est lié à leur usage de drogues et qui ont également un problème de santé mentale. Les deux termes ont leur origine dans les ouvrages américains.
« Substance-Abusing Mentally Ill » (SAMI) : terme anglais qui décrit les personnes ayant des problèmes persistants et graves d’usage de drogues et de santé mentale.
« Double trouble », « double jeopardy » : termes anglais parfois utilisés par les personnes atteintes de problèmes concomitants d’usage de drogues et de santé mentale pour parler de leur lutte.
« Co-occurring disorders » : terme anglais privilégié par la SAMHSA (Substance Abuse and Mental Health Services Association) dans son rapport de 2002 au congrès des É. U.
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