Pensées pour moi-mêME





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LIVRE X

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I. - Seras-tu donc un jour, ô mon âme, bonne, simple, une, nue et plus apparente que le corps qui t’entoure ? Seras-tu donc un jour à même de goûter la disposition qui te porte à aimer et à chérir ? Seras-tu donc un jour satisfaite, sans besoin, sans désir, sans avoir à attendre ton plaisir de ce qui est animé ou inanimé ; sans avoir, pour le faire durer davantage, à attendre ton plaisir du temps, d’un lieu, d’une contrée, d’un air plus favorable, et d’un meilleur accord entre les hommes ? Mais, te contenteras-tu de ta condition présente, te réjouiras-tu de tout ce qui présentement t’arrive, te persuaderas-tu que tout est bien pour toi, que tout te vient des Dieux, et tout ce qu’il leur plaît de t’envoyer, et tout ce qu’ils auront à t’assigner pour le salut de l’être parfait, bon, juste, beau, qui engendre tout, retient tout, contient et comprend tout ce qui se dissout pour donner naissance à d’autres choses semblables ? Seras-tu donc un jour telle que tu puisses vivre dans la société des Dieux et des hommes sans te plaindre d’eux ni sans leur donner sujet de t’accuser ?

II. - Observe ce que réclame ta nature, en tant que tu es gouverné par la seule nature. Puis passe à l’acte requis, risque-le, à moins que ta nature, en tant qu’être animé n’en doive être altérée. Il faut ensuite te demander ce que ta nature, en tant qu’être animé, exige de toi, et totalement t’y conformer, à moins que ta nature, en tant qu’être raisonnable, n’en doive être altérée. Or, qui dit

raisonnable dit par là même sociable. Applique ces règles et ne t’inquiète plus de rien.

III. - Tout ce qui arrive, ou bien arrive de telle sorte que tu peux naturellement le supporter, ou bien que tu ne peux pas naturellement le supporter. Si donc il t’arrive ce que tu peux naturellement supporter, ne maugrée pas ; mais, autant que tu en es naturellement capable, supporte-le. Mais s’il t’arrive ce que tu ne peux pas naturellement supporter, ne maugrée pas, car cela passera en se dissolvant. Souviens-toi cependant que tu peux naturellement supporter tout ce que ton opinion est à même de rendre supportable et tolérable, si tu te représentes qu’il est de ton intérêt ou de ton devoir d’en décider ainsi.

IV. - S’il se trompe, instruis-le avec bienveillance et montre-lui sa méprise. Mais, si tu ne le peux pas, n’en accuse que toi, ou pas même toi.

V. - Quoi que soit ce qui t’arrive, cela t’était préparé de toute éternité, et l’enchaînement des causes avait filé ensemble pour toujours et ta substance et cet accident.

VI. - Qu’il y ait des atomes, qu’il y ait une nature, il faut d’abord admettre que je suis partie du Tout que régit la nature ; puis, que je suis en quelque sorte apparenté aux parties qui me sont semblables. Si je me souviens, en effet, de ces constatations, en tant que je suis partie, je ne m’indisposerai contre rien de ce que le Tout m’attribue, car la partie ne saurait être lésée par rien de ce qui est profitable au Tout, et il n’y a rien dans le Tout qui ne contribue au bien de l’ensemble. Toutes les natures ont cela de commun ; mais la nature du monde comporte aussi le privilège de n’être contrainte, par aucune cause extérieure, à engendrer ce qui pourrait lui être dommageable. En me souvenant que je suis partie d’un tel Tout, je serai content de tout ce qui arrive. D’autre part, en tant que je suis comme apparenté aux parties qui me sont semblables, je ne ferai rien de nuisible à la communauté, mais je m’inquiéterai plutôt de mes semblables, je dirigerai toute mon activité vers le bien commun et la détournerai de ce qui lui est contraire. Ces instructions étant ainsi parfaites, il s’en suivra, de toute nécessité, que ma vie aura un cours heureux, tout comme tu estimerais d’un cours heureux la vie d’un citoyen qui la passerait en actions utiles à ses concitoyens, et qui chérirait tout ce que la cité lui répartirait.

VII. - Toutes les parties du Tout, toutes celles, veux-je dire, qui se trouvent comprises dans le monde, nécessairement périront. Mais qu’on entende ce périront dans le sens de se rendront différentes. Si j’affirme que c’est là pour elles un mal et une nécessité, ce Tout ne saurait être alors bien ordonné, puisque ses parties tendraient à s’altérer et se trouveraient préparées à périr par des moyens différents. La nature, en effet, aurait-elle entrepris de gâter elle-même ses propres parties, de les rendre susceptibles de tomber dans le mal et de les y faire inévitablement tomber ; ou bien, est-ce à son insu qu’il en va de la sorte ? L’un et l’autre sont invraisemblables.

Mais si quelqu’un, laissant de côté la nature, donnait pour explication que les choses ont été ainsi constituées, il serait ridicule d’affirmer que les parties du Tout sont faites pour se transformer et de s’en étonner en même temps comme d’un accident contraire à la nature, ou bien de s’en fâcher, surtout quand une dissolution libère les mêmes éléments dont fut formé chaque être. Ou bien, en effet, c’est une dispersion des éléments dont il fut constitué, ou bien c’est un retour de ce qui est solide à la terre, de ce qui est souffle à l’air, de telle sorte que ces éléments sont repris, eux aussi, dans la raison du Tout, soit que le Tout soit périodiquement consumé par le feu, soit qu’il se renouvelle par de perpétuelles transformations. Quant aux éléments de nature aérienne ou solide, ne t’imagine pas que ce soient ceux de la prime naissance ; ils découlent tous, en effet, des aliments pris et de l’air qui fut respiré hier et avant-hier. C’est donc ce qu’un être a gagné, qui se transforme, et non ce que sa mère enfanta. Suppose même que ces éléments acquis te rattachent avec force à ce que tu es proprement, il n’y a rien là, ce me semble, qui contredise à ce que je viens de dire.

VIII. - Lorsque tu te seras nommé homme de bien, réservé, véridique, prudent, résigné, magnanime, fais attention à ne pas avoir à te nommer autrement ; et, si tu viens à perdre ces noms, reviens vite vers eux. Souviens-toi que prudent signifiait pour toi l’attention méthodique et soigneuse que tu devais porter à chaque chose ; résigné, l’acquiescement volontaire à tout ce que peut te donner en partage la commune nature ; magnanime, la prééminence de la partie raisonnable sur les émotions douces ou rudes de la chair, sur la gloriole, la mort et toutes choses semblables. Si donc tu t’attaches toi-même à conserver ces noms, sans désirer que les autres te les décernent, tu seras un homme nouveau et tu entreras dans une vie nouvelle, car rester le même que tu as été jusqu’ici, persister à être, dans une semblable vie, déchiré et sali, c’est le fait d’un être trop grossier, trop attaché à la vie et tout pareil à ces belluaires à demi dévorés, qui, couverts de blessures et de sang mêlé de boue, demandent pourtant à être conservés pour le lendemain, afin d’être exposés, dans le même état, aux mêmes griffes et aux mêmes morsures.

Embarque-toi donc sur ces quelques noms ; et, si tu peux demeurer sur eux, restes-y comme si tu étais transporté vers certaines Iles des Bienheureux. Mais si tu sens que tu échoues et que tu n’es plus le maître, gagne courageusement quelque coin où tu puisses reprendre l’avantage ; ou bien, sors définitivement de la vie, sans colère, mais simplement, librement, modestement. Tu auras du moins, une fois en ta vie, fait une bonne chose en sortir ainsi.

Toutefois, pour t’aider à te souvenir de ces noms, il te sera d’un grand secours de te souvenir des Dieux, et de te rappeler que ce qu’ils veulent, ce n’est pas d’être flattés, mais que tous les êtres raisonnables travaillent à leur ressembler. Ils veulent enfin que ce soit le figuier qui remplisse la fonction du figuier, le chien celle du chien, l’abeille celle de l’abeille et l’homme, celle de l’homme.

IX. - Un mime, une guerre, l’effroi, la torpeur, l’asservissement effaceront de jour en jour en toi ces préceptes sacrés, que tes études sur la nature te font concevoir et que tu laisses de côté. Il faut en tout voir et agir de manière à venir à bout de ce qui nous embarrasse, à mettre en même temps la théorie en pratique, et à conserver, de la connaissance de chaque chose, une confiance secrète, mais non dissimulée. Quand, en effet, jouiras-tu de la simplicité, de la gravité ? Quand donc auras-tu la connaissance de chaque chose, de ce qu’elle est dans son essence, de la place que dans le monde elle occupe, du temps que la nature la destine à durer, de quels éléments elle est composée, des hommes auxquels elle peut appartenir, et de ceux qui peuvent la donner ou l’ôter ?

X. - Une araignée est fière d’avoir pris une mouche ; cet homme, un levraut ; cet autre, une sardine au filet ; cet autre, des marcassins ; cet autre, des ours ; cet autre, des Sarmates 102. Tous ces êtres-là ne sont-ils pas des brigands, si tu approfondis leurs principes d’actions ?

XI. - Comment toutes choses se transforment-elles les unes dans les autres ? Pour l’observer, fais-toi une méthode ; applique-toi constamment et exerce-toi dans ce sens, car rien ne peut faire naître aussi bien la grandeur d’âme. L’homme s’est dépouillé de son corps ; et, considérant que bientôt il lui faudra tout quitter en s’éloignant d’entre les hommes, Il s’en remet tout entier à la justice, lorsqu’il faut qu’il agisse, et, dans les autres cas, à la nature universelle. Ce qu’on pourra dire, ou penser de lui, ou exécuter contre lui, ne lui vient même pas à l’esprit. Deux choses lui suffisent : accomplir selon la justice l’action qu’il doit présentement accomplir, et chérir ce qui lui est donné présentement en partage. Libéré de toute autre préoccupation et de tout autre souci, il ne veut rien autre que marcher jusqu’au bout à la faveur de la loi dans le droit chemin, et suivre Dieu qui marche toujours dans le droit chemin.

XII. - Quel besoin de faire des conjectures, lorsqu’il t’est possible de voir ce qu’il faut faire, et, si tu le distingues, de marcher vers ton but, paisiblement et sans regarder en arrière ; si tu ne le distingues pas, de t’arrêter et de recourir aux plus sages conseils ? Mais, si d’autres difficultés s’opposent à ce vers quoi tu tends, avance selon les ressources qui s’offrent, en t’attachant avec réflexion à ce qui te paraît être la justice. Atteindre à ce but est le plus grand bien, puisque le manquer est le seul échec. Mais qu’il est tranquille et décidé à la fois, radieux et en même temps consistant, l’homme qui suit la raison en tout !

XIII. - Demande-toi, dès que tu sors du sommeil « T’importera-t-il d’être loué par un tiers pour ce que tu accomplis de juste ou de bien ? » Cela ne m’importera pas. As-tu oublié comment ces gens, qui font les importants en louant et en blâmant les autres, se conduisent sur leur lit, comment ils sont à table, ce qu’ils font, ce qu’ils fuient, ce qu’ils recherchent, ce qu’ils volent, ce qu’ils ravissent, non point avec les pieds et les mains, mais avec l’aide de la plus honorable partie d’eux-mêmes, de celle d’où naissent, quand on le veut : la bonne foi, la pudeur, la sincérité, la loi, le bon Génie ?

XIV. - A la nature qui donne et reprend tout, l’homme instruit et modeste dit : « Donne ce que tu veux ; reprends ce que tu veux. » Et il ne le dit point par défi, mais uniquement par obéissance et condescendance pour elle.

XV. - Court est le temps qui t’est laissé. Vis comme sur une montagne. Car il n’importe en rien de vivre ici ou là, si partout tu te conduis dans le monde comme dans une cité. Que les hommes voient et observent un homme qui vit avec la nature en véritable conformité. S’ils ne le souffrent pas, qu’ils te tuent ! Cela vaut mieux que de vivre comme eux.

XVI. - Il ne s’agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l’homme de bien, mais de l’être.

XVII. - Représente-toi sans cesse, en sa totalité, le temps et la substance, et que chaque corps, pris en particulier, est à la substance comme un grain de figue, et au temps, comme un tour de vrille.

XVIII. - Songer en t’arrêtant à chacun des objets qui tombent sous tes sens, qu’il se dissout déjà, qu’il se transforme et qu’il est comme atteint par la putréfaction et par la dispersion ; ou bien, envisager que tout est né pour mourir.

XIX. - Vois ce qu’ils sont lorsqu’ils mangent, dorment, s’accouplent, vont à la selle, etc. Vois-les ensuite lorsqu’ils se donnent de grands airs, font les fiers, se fâchent et vous accablent de leur supériorité. Peu avant, de combien de maîtres étaient-ils les esclaves, et par quelles sujétions ! Peu après, ils se retrouveront réduits au même état !

XX. - Est utile à chacun ce qu’apporte à chacun la nature universelle, et lui est utile dès le moment où elle le lui apporte.

XXI. - La terre aime la pluie, et il aime aussi, le vénérable Ether 103… Et le monde aussi aime faire ce qui doit advenir. Je dis donc au monde : « J’aime ce que tu aimes. » Ne dit-on pas de même d’une chose : qu’elle aime à survenir ?

XXII. - Ou tu vis ici, et déjà tu en as l’habitude ; ou tu vas ailleurs, et tu l’as voulu ; ou tu meurs, et tu as terminé ta fonction. Hors de là, il n’y a plus rien. Aie donc bon courage.

XXIII. - Tiens toujours pour évident que la campagne est là-bas pareille à ce lieu-ci, et vois comment tout ce qui est ici est identique à ce qui se trouve ailleurs, dans la campagne, dans la montagne, au bord de la mer, ou en quelque lieu que ce soit. Tu aboutiras à ce mot de Platon : « Entouré d’un enclos, sur la montagne, et trayant son bilant troupeau 104 »

XXIV. - Qu’est pour moi mon principe directeur ? Qu’en fais-je pour l’instant, et à quelle fin l’emploie-je pour l’instant ? N’est-il pas privé d’intelligence ? N’est-il pas détaché et arraché de la communauté ; n’est-il pas adhérent et mêlé à la chair, de manière à en suivre les agitations ?

XXV. - Qui fuit son maître est déserteur. Or, comme notre maître est la loi, celui qui s’écarte de la loi est également déserteur. Il l’est en même temps celui qui, soit en s’affligeant, en s’irritant ou en s’effrayant, ne veut pas qu’une chose soit arrivée, arrive ou doive arriver, conformément à l’ordre des choses établi par l’organisateur universel, qui est la loi attribuant à chacun tout ce qui lui survient. En conséquence, celui qui s’effraie, s’afflige ou bien s’irrite, est déserteur.

XXVI. - Lorsqu’il a projeté un germe dans une matrice, le mâle se retire. Puis une autre cause intervient, se met à l’œuvre et parachève l’enfant ; il ressemble à ce dont il provient. A son tour, l’enfant reçoit de la nourriture par le gosier ; et puis, une autre cause intervient et produit la sensation, l’impulsion, en un mot la vie, la force et combien d’autres semblables facultés. Ces phénomènes, qui s’accomplissent en un tel secret, contemple-les, et rends-toi compte de leur puissance comme nous nous rendons compte de celle qui fait tomber les corps ou bien les porte en haut, non par les yeux, mais avec une non moindre évidence.

XXVII. - Songer sans cesse comment tous les événements qui présentement se produisent se sont produits identiques autrefois, et songer aussi qu’ils se reproduiront. Tous ces drames et scènes du même genre, que tu as connus par ta propre expérience ou par des récits plus anciens, place-les devant tes yeux, par exemple toute la cour d’Hadrien, toute la cour d’Antonin, toute la cour de Philippe, d’Alexandre, de Crésus. Tous ces spectacles étaient les mêmes, mais seulement avec d’autres acteurs.

XXVIII. - Représente-toi tout homme qui se chagrine ou s’indigne de quoi qu’il arrive, comme un porcelet qui regimbe et qui hurle quand on le sacrifie. Pense de même de celui qui, sur un petit lit, se lamente en secret et seul sur nos malheurs. Songe aussi qu’à l’être raisonnable seul il a été donné de pouvoir se plier aux événements de plein gré, tandis que s’y plier tout court est pour tous une nécessité.

XXIX. - A chacune des actions que tu fais, réfléchis et demande-toi si la mort est terrible, parce qu’elle te prive d’agir en ce cas particulier.

XXX. - Lorsque tu es offensé par une faute d’autrui, fais retour aussitôt sur toi-même et vois si tu n’as pas à ton actif quelque faute semblable, en regardant comme un bien, par exemple, l’argent, le plaisir, la gloriole et autres choses semblables. En t’appliquant à cela, tu auras tôt fait d’oublier ton ressentiment, dès que cette pensée te viendra : « Il y est contraint. Que peut-il faire ? » Ou bien, si tu le peux, délivre-le de la contrainte.

XXXI. - En voyant Satyron, représente-toi un Socratique, ou Eutychès ou Hymen ; en voyant Euphrate, représente-toi Eutychion ou Silvanus ; en voyant Alciphron, représente-toi Tropaeophoros ; en voyant Xénophon, représente-toi Criton ou Sévérus 105. Puis, fixant les yeux sur ta personne, représente-toi un des Césars ; et, à propos de tout individu, fais d’une manière analogue. Ensuite que te vienne à l’esprit cette pensée : « Où sont-ils donc ? - Nulle part ou n’importe où. »

De cette façon, en effet, tu verras sans cesse que les choses humaines ne sont que fumée et néant, surtout si tu te rappelles en même temps que ce qui s’est une fois transformé ne reparaîtra plus jamais dans l’infini du temps. Pourquoi donc t’évertuer ? Pourquoi ne te suffit-il pas de passer décemment ta courte existence ? De quelle matière et de quel sujet tu te prives ! Tout cela, en effet, qu’est-ce autre chose que des sujets d’exercice pour une raison qui apprécie exactement et conformément à la science de la nature ce qui se passe dans la vie ? Persiste donc jusqu’à ce que tu te sois approprié ces pensées, comme un robuste estomac s’approprie tout, comme un feu ardent fait flamme et lumière de tout ce que tu y jettes.

XXXII. - Qu’il ne soit permis à personne de dire de toi avec vérité que tu n’es pas simple ou que tu n’es pas bon. Mais fais mentir quiconque aurait de toi une pareille opinion. Cela dépend absolument de toi. Qui donc t’empêche, en effet, d’être bon et simple ? Tu n’as qu’à décider de ne plus vivre, si tu ne dois pas être un tel homme, car la raison n’exige pas que plus longtemps tu vives, si tu n’es pas un tel homme.

XXXIII. - Qu’est-il possible, en cette matière, de faire ou de dire qui soit conforme à la plus saine raison ? Quoi que ce soit, en effet, il est possible de le faire ou de le dire, et ne prétexte pas que tu en es empêché.

Tu ne cesseras pas de gémir avant d’avoir ressenti que, ce que le plaisir est aux voluptueux, tel doit être pour toi l’accomplissement, en toute matière de choix et de rencontre, de tout ce qui est conforme à ta constitution d’homme. Il faut, en effet, regarder comme une jouissance toute activité que tu peux déployer selon ta propre nature, et tu le peux en toute occasion. Il n’est pas donné au rouleau de se laisser aller partout au mouvement qui lui est propre, ni à l’eau, ni au feu, ni à toutes les autres choses que régissent une nature ou une vie sans raison. Nombreux sont les obstacles qui les arrêtent. Mais l’esprit et la raison peuvent passer au travers de tout ce qui leur résiste, au gré de leur nature et de leur volonté. Mets-toi devant les yeux cette facilité, qui permet à la raison de passer à travers tout obstacle, tout comme au feu de monter, à la pierre de descendre, au rouleau de glisser sur les pentes ; et ne recherche rien de plus. Tous les autres obstacles, en effet, ou bien ne sont que pour le corps, ce cadavre, ou bien - à moins que ce ne soit par le fait d’une opinion donnée et d’une concession de la raison même - sont incapables de blesser et de faire aucun mal, sinon l’homme qui les subirait s’en trouverait aussitôt plus mal. Chez tous les êtres différemment constitués, en effet, quelque mal qui leur arrive, celui qui l’éprouve s’en trouve plus mal. Ici, au contraire, s’il faut l’affirmer, l’homme devient d’autant plus fort et d’autant plus digne de louanges, qu’il sait mieux tirer des obstacles le parti le meilleur.

Souviens-toi, en un mot, que le citoyen-né ne saurait être lésé par rien de ce qui ne lèse point la cité, et que la cité ne saurait être lésée par rien de ce qui ne lèse point la loi. Or, de tous ces prétendus malheurs, aucun ne lèse la loi. En conséquence, ce qui ne lèse point la loi ne saurait léser la cité, ni le citoyen.

XXXIV. - A celui qui a été mordu par les vrais principes, il suffit d’un mot, même du plus court et du plus rebattu, pour lui rappeler d’être sans chagrin et sans crainte. Par exemple :

« Il y a des feuilles que le vent répand à terre…

Ainsi des races des hommes 106… »

Feuilles aussi tes propres enfants. Feuilles aussi ces hommes qui t’acclament avec sincérité et te bénissent, ou qui, au contraire, te maudissent, secrètement te blâment et se moquent de toi. Feuilles pareillement ceux qui recueilleront ta renommée posthume. Toutes ces feuilles, en effet,

« naissent en la saison printanière. »

Puis le vent les abat, et la forêt en fait pousser d’autres à leur place. Ce que toutes choses ont de commun est de ne durer que peu de temps. Mais toi, tu fuis et tu recherches tout, comme si tout devait être éternel. Encore un peu et tu auras fermé les yeux ; et celui qui t’aura porté en terre, un autre déjà le pleurera.

XXXV. - Il faut qu’un œil soit en état de voir tout ce qui est visible, et ne dise pas : « Je veux du vert », car c’est le fait d’un homme aux yeux malades. De même, une ouïe, un odorat sain doivent être prêts à tout ce qui peut être entendu ou olfacté. Un estomac sain doit aussi se comporter de même à l’égard de tout ce qui est nourriture, comme la meule vis-à-vis de toutes les montures qui lui sont destinées. Une intelligence saine doit aussi être prête à tout ce qui peut arriver. Mais celle qui dit : « Puissent mes enfants avoir la vie sauve ! » Ou bien : « Puissé-je, quoi que je fasse, par tous être loué ! » est un œil qui réclame du vert, ou des dents qui réclament du tendre.

XXXVI. - Nul n’a reçu un sort suffisamment heureux pour n’être point, à sa mort, entouré de gens qui saluent avec joie le mal qui lui arrive. Était-il consciencieux et sage ? Au dernier moment, Il se trouvera quelqu’un pour dire à part soi : « Nous allons enfin respirer sans ce maître d’école ! Il ne fut pas sans doute bien gênant pour aucun de nous ; mais je sentais qu’en secret il nous désapprouvait. » Voilà ce qu’on dira du consciencieux. Mais, pour nous autres, combien d’autres motifs font désirer à plusieurs de se voir débarrassés de nous ! Tu devras y réfléchir en mourant, et tu t’en iras d’autant plus aisément que tu penseras : « Je quitte cette vie au cours de laquelle mes associés eux-mêmes, pour qui j’ai tant lutté, tant formulé de vœux, tant conçu de soucis, sont les premiers à désirer me soustraire, dans l’espérance qu’ils en retireront quelque éventuel avantage ! » Pourquoi donc tiendrait-on à prolonger son séjour ici-bas ?

Ne t’en va pas cependant en ayant pour cela des sentiments de moindre bienveillance pour eux. Mais, conservant ton caractère ordinaire, sois amical, bienveillant, amène, sans d’ailleurs laisser croire qu’on t’arrache. Mais, de la même façon que l’âme, dans une belle mort, s’échappe facilement du corps, il faut ainsi te retirer d’eux. C’est à eux, en effet, que la nature te lia et t’assembla. - Mais aujourd’hui elle t’en sépare. – Je m’en sépare donc comme on se quitte entre intimes, sans résister mais aussi sans contrainte, car c’est aussi là un de ces actes conformes à la nature.

XXXVII. - Prends pour habitude, à toute action, si possible, que tu vois faire à quelqu’un, de te demander à toi-même : « A quel but cet homme rapporte-t-il cette action ? » Mais, commence par toi-même, et examine-toi le premier.

XXXVIII. - Souviens-toi que le fil qui te meut comme une marionnette est cette force cachée au dedans de toi, cette force qui fait qu’on s’exprime, qu’on vit et qui, s’il faut le dire, fait qu’on est homme. Ne te la représente jamais comme confondue avec le réceptacle qui l’enveloppe, ni avec ces organes qui sont collés autour. Ils sont comme des outils, avec cette seule différence qu’ils naissent naturellement avec nous, vu que ces parties de notre être ne lui servent pas plus, sans la cause qui les met en mouvement et les ramène au repos, que la navette à la tisseuse, le roseau à l’écrivain, et le fouet au cocher.

  

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