II.Le monde bancaire face à la faillite d’Enron La descente aux enfers du premier courtier énergétique mondial Enron, dont la défaillance pourrait être l’une des plus retentissantes de l’histoire récente des Etats-Unis, est une très mauvaise nouvelle pour les créanciers. L’entreprise a en effet accumulé une dette financière de plus de 15 Mrd $. Inquiètes sur la capacité d’Enron à honorer ses engagements, les agences de notation ont accéléré sa chute en qualifiant le statut de sa dette à l’état d’ « obligations pourries ». En se plaçant sous la protection de la loi sur les faillites, le groupe énergétique s’est mis hors d’atteinte de ses créanciers.
A.Les marchés bancaires mondiaux face à « l’enronite » 1.Le marché nord-américain Les banques qui se retrouvent en première ligne dans cette affaire sont avant tout les géants américains J.P Morgan Chase et Citigroup. Ils totalisent, à eux deux, plus de 10 % de la dette totale d’Enron. JP Morgan a ainsi déclaré une exposition de 900 M $, dont 500 M sans garantie. Citigroup affiche, quant à lui, un engagement de 700 à 800 M $ dont la moitié n’est pas sécurisée par des actifs. Dans un premier temps, JP Morgan Chase et Citigroup ont tenté d’organiser la survie financière d’Enron. Pour cela, ils ont dû orchestrer la syndication de 1,5 Mrd $ (somme prêtée à Enron pour poursuivre son activité, payer les salaires, les fournisseurs et assurer un fonctionnement minimal des opérations) auprès d’autres établissements bancaires. En attendant, les deux banques avaient accepté de mettre à disposition une tranche supplémentaire de 250 M $ dès que la société présentera un business plan satisfaisant. Suite au prêt accordé à Enron, JP Morgan s’est trouvée dans le collimateur des autorités fédérales. Elle a vu se multiplier les plaintes portées par les investisseurs ruinés. La FED de New York lui a notamment demandé des précisions sur les comptes de sa filiale off-shore Mahonia, engagée dans des transactions avec le courtier en énergie en faillite. Celles-ci auraient été enregistrées comme des ventes et non comme des prêts (d’après les compagnies d'assurances qui ont refusé de payer à JP Morgan la garantie de 1 Mrd $ prévue en cas de défaillance d’Enron). L’intérêt de Mahonia pour JP Morgan était de pouvoir justifier en toute légalité certaines exemptions fiscales d'un exercice financier sur l'autre. Mais les banques américaines ne sont pas les seules touchées. La banque canadienne CIBC a annoncé 215 M $ d'engagements. Fitch, assureur canadien, estime provisoirement plus de 2 Mrd $ de pertes pour l’assurance mondiale, déjà lourdement affectée par les attentats du 11 septembre.
Parmi les assureurs les plus touchés au monde figurent le néerlandais Aegon (300 M $) et les américains John Hancock (320 M $), Principal Financial (171 M $), Lincoln (95 M $) et MetLife (63 M $). La faillite du géant américain du négoce énergétique Enron, la plus retentissante de l’histoire des Etats-Unis, pourrait-elle illustrer les effets pervers d’un modèle bancaire combinant les activités de crédit et de banques d'affaires ? Sous le feu de la critique figurent les banques américaines JP Morgan et Citigroup, issues toutes deux de mégafusions bancaires entre les banques commerciales Chase et Citibank d’un coté et les banques d’investissement JP Morgan et Salomon Smith Barney de l’autre. Dans l’affaire Enron, force est de constater que ces deux géants bancaires américains sont à la fois les établissements les plus exposés dans la dette du courtier énergétique et les banquiers conseils d’Enron dans la fusion avortée avec Dynegy. L’exposition de JP Morgan Chase et de Citigroup dans l’affaire Enron suscite d’autant plus de questions qu’elle dépasse le cadre de la dette et s’étend sans doute au rôle de contrepartie du courtier en énergie sur le marché des produits dérivés. Certains critiquent la « dérive » de ces grandes banques « prêtes à utiliser leur capacité de financement pour gagner des mandats de conseil en fusions-acquisitions », comme l’explique George Bicher, analyste de la Deutsche Bank. Comment en effet assumer sans ambiguïté la double position de créancier et de conseiller des actionnaires ? Comment être insensible aux multiples exigences et pressions d’un client qui ne voit en face de lui qu’un seul interlocuteur, sa banque ? « Les risques d’un rapprochement entre activités de prêts et banque d’affaires sont évidents », souligne Samuel Theodore, directeur chez Moody’s, qui ajoute : « Toutefois, cela ne remet pas en cause les innombrables avantages que cela comporte ». L’affaire Enron relance le débat sur l’éthique dans les banques d’affaires, à commencer par les conflits d’intérêts chez les analystes financiers. Certains d’entre eux ont été accusés d’avoir recommandé l’achat en Bourse de valeurs Internet (qui se sont ensuite effondrées) alors que les banques qui les emploient étaient conseils des entreprises concernées. Dans un tel contexte, des questions déontologiques se posent s’agissant du modèle anglo-saxon de la banque d’affaires. En effet comment être assuré que l’étanchéité nécessaire entre la recherche, le conseil et les activités de prêts soit maintenue dès lors que des sommes considérables sont en jeu ? Les banques d'affaires, privées de capacité de financement, de placement, de recherche, ont perdu du terrain au cours de ces dernières années. Mais elles pourraient peut-être reprendre du poil de la bête face aux supermarchés financiers. Reste à savoir si les mastodontes du secteur prendront la mesure du danger, et si les régulateurs, Security and Exchange Commission en tête, sauront les contraindre à éviter le mélange des genres.
2.Le marché européen L’impact d’une telle faillite est mondial, les prêts des grands groupes industriels faisant l’objet de syndications 5.
Aux Pays-Bas, ABN-Amro a passé une provision de près de 100 M $ ce trimestre, du fait de la défaillance d'Enron. Son engagement total se situerait autour de 200 M $. De plus, elle est notamment impliquée dans le financement d’un projet d’Enron (une centrale thermique en Inde), dont le montant total s’élève à 3 Mrd $. Toutefois, selon un spécialiste des financements, les engagements dans ce type de projets sont garantis à 100 %, contrairement aux prêts financiers classiques.
ING a déclaré une exposition de 195 M $ non garantie par des actifs.
Les banques britanniques ne sont pas en reste, notamment Royal Bank of Scotland et Barclays, qui se refuse à tout commentaire mais qui serait exposée à hauteur de 570 M $ selon certains observateurs. Le journal britannique « The Observer » faisait état, de 1,3 Mrd $ de pertes pour RBoS. Abbey National affiche, une exposition de 164 M $.
En Allemagne, la Deutsche Bank affirme pour sa part que la perte maximale dont elle pourrait souffrir est très en dessous de 100 M $. Chez la Commerzbank, on évoque un risque inférieur à 50 M $. D’autre part, Dresdner et HypoVereinsbank ont dévoilé une exposition de 100 M $ chacune.
En Espagne, Santander Central Hispano a admis une exposition de 37 M $, alors que Bilbao Vizcaya Argentaria aurait, selon certains, un risque de l’ordre de 50 M $.
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