Eléments de correction
Séance 2, les sources externes Devoir retenu : C.E. 7 juin 2006, GISTI (doc. 1 plaquette)
Eléments d’introduction
Accroche :
L’effet direct du droit de l’Union Européenne a été consacré dès 1963 par la CJCE (Van Gend en Loos 5.02.1963 : le droit primaire est d’effet direct si les droits et obligations qu’il engendre pour les particuliers sont claires, précises, inconditionnelles et n’appellent pas de mesure complémentaires), quant au principe de primauté l’arrêt CJCE Costa c/Enel 15.07.1964. Puis en France arrêt Cour de Cass. Jacques Vabres 1975 faisant suite à la décision du Conseil Constitutionnel décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 et CE Ass. 20.10.1989 Nicolo. Aujourd’hui depuis la décision du 31 mai 2016, le CE reconnaît désormais au juge du référé liberté la pleine capacité d’écarter une loi incompatible avec un traité international.
accroche générale sur le contrôle de conventionnalité et/ou la place des sources internationales au sein du droit administratif : Article 55 de la Constitution de 1958 dispose que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (…) ». Le traité est au-dessus des lois.
Faits : En ce qui concerne l’accès aux soins, les étrangers en situation irrégulière en France bénéficient de l’aide médicale de l’Etat (AME), système mis en place depuis 1999.
Par une Loi de Finances Rectificative (LFR) pour 2003 (art. 97), le législateur introduit une restriction au bénéfice de l’AME en subordonnant l’octroi de cette aide médicale à une condition de séjour ininterrompu d’au moins 3 mois en France, sauf si l’absence de soin entraîne la mise en jeu du pronostic vital de la personne ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé. Première parenthèse : cette LFR et notamment les dispositions relatives à l’AME ont été validées par le CC dans une décision du 29 décembre 2003, n°2003-488 DC, Loi de Finances rectificative pour 2003 : point 18, 19 et 20 de la décision. Deux décrets du 28 juillet 2005 mettent en œuvre les dispositions de l’article 97 de la LFR notamment en énumérant les pièces de nature à justifier la présence ininterrompue en France du demandeur depuis 3 mois. Plusieurs associations introduisent un recours pour excès de pouvoir (REP) à l’encontre de ces deux décrets, et demandent donc au Conseil d’Etat (CE) leur annulation. Le CE est ici compétent en premier et dernier ressort au regard de la nature des actes attaqués.
Les associations requérantes contestent notamment les dispositions législatives pour l’application desquelles ont été pris ces deux décrets. Les moyens invoqués tiennent de la méconnaissance de ces dispositions à plusieurs Traités internationaux. Deuxième parenthèse : une demande de référé suspension dirigé à l’encontre des décrets a été rejetée par le CE par ordonnance du 21 octobre 2005. Les moyens tirés de la méconnaissance de plusieurs traités internationaux n’ont pas été examinés par le CE en raison de la jurisprudence Carminati du 30.12.2002 qui interdit au juge des référés d’examiner un moyen tiré de la non-conformité au Droit International. Fin de cette position pour le Droit UE CE, 16.06.2010 Dme Diakité et pour le DI CE, 31.05.2016 : Dame Gonzalez (insémination post-mortem évoqué en TD). Problème de droit : Dans quelles mesures les dispositions des traités internationaux soulevées par les requérantes PIDESC, CSE, déclaration de Philadelphie, CEDH et convention des droits de l’enfant sont-elles directement invocables à l’encontre des dispositions des décrets mises en cause devant le juge administratif ? Solution : Les dispositions du PIDESC et de la CSE ne sont pas dotées d’effet direct ; le moyen est inopérant. Le moyen tiré de la méconnaissance de la déclaration de Philadelphie est également inopérant : ce texte n’ayant pas été ratifié par la France, condition nécessaire à l’invocabilité d’une norme, il n’est pas un traité au sens des dispositions de l’article 55 de la Constitution (C°) et n’est donc pas invocable par les associations. Il en résulte que le CE ne peut opérer un contrôle de conventionnalité au regard de ces normes internationales.
Il en va autrement concernant la CEDH et la convention relative aux droits de l’enfant, ces deux conventions étant dotées de l’effet direct, donc directement invocables par l’administré à l’appui de son recours. Le CE va donc contrôler la compatibilité des dispositions attaquées au regard de ces deux conventions. Les dispositions relatives aux étrangers mineurs étant inconventionnelles au regard de la convention relative aux droits de l’enfant, les décrets vont être partiellement annulés.
Un contrôle de conventionnalité logiquement limité par l’invocabilité des Traités
L’absence d’effet direct rappelée des dispositions du PIDESC et de la CSE
« que ces stipulations, qui ne produisent pas d'effets directs à l'égard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation des décrets attaqués ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que les droits énoncés par la charte sociale européenne révisée ne seraient pas garantis dans le respect du principe de non-discrimination prévu par l'article E de la partie V de la charte est également inopérant ; »
Le CE rejette les moyens tirés de la méconnaissance du PIDESC et de la CSE car leurs dispositions ne sont pas d’effet direct. è En effet, une des conditions d’invocabilité d’une norme internationale devant le JA = effet direct de ses dispositions. Effet direct résulte de l’intention des parties contractantes de créer directement des droits pour les particuliers + la règle en cause doit être suffisamment précise dans son objet et dans sa forme, et suffisamment complète. è En ce qui concerne le PIDESC : le CE ne fait qu’une application d’une jurisprudence bien ancrée selon laquelle un requérant ne peut invoquer directement les stipulations du PIDESC à l’appui de son recours : CE, Ass., 5 mars 1999, Rouquette. Cela tient au fait que dans cette norme conventionnelle, les droits sont formulés dans des termes trop généraux. è En ce qui concerne la CSE : idem, le CE ne fait que reprendre une jurisprudence déjà établie : CE, 20 avril 1984, Ministre délégué chargé du budget c/ Melle Valton et autres, confirmé par CE, 15 mai 1995, Raut pour les articles 11 et 12 de la Charte. è Pour ce considérant, jurisprudence très classique du CE. La Cour de Cassation n’adopte pas la même position que le CE s’agissant du PIDESC, car dans un arrêt du 16 décembre 2008, elle admet l’effet direct de cette convention : « Vu l'article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, ensemble l'article 75, alinéa 3, du code du commerce local applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; Attendu que le premier de ces textes, directement applicable en droit interne, qui garantit le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, s'oppose à ce qu'un salarié tenu au respect d'une obligation de non concurrence soit privé de toute contrepartie financière au motif qu'il a été licencié pour faute grave ; »
L’obstacle dirimant tiré de la nature de la Déclaration de Philadelphie
« la déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 concernant les buts et objectifs de l'Organisation internationale du travail n'est pas au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés, ont, aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, une autorité supérieure à celle de la loi interne ».
è Le CE rejette le moyen tiré de l’incompatibilité de la Loi de finances (base légale des décrets) au regard de la déclaration de Philadelphie car cette norme n’est pas, au sens des dispositions de l’article 55 de la C°, aux nombres des textes ayant une autorité supérieure à celle des Lois internes.
è En effet, condition d’invocabilité directe devant le JA (article 55 de la C°) : le texte doit avoir été régulièrement ratifié et publié. Pour rappel, le CE accepte de contrôler la régularité d’une ratification depuis un arrêt du 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activité de Bloztheim. (Juste un rappel car il ne le fait pas en l’espèce). èEn l’espèce, le CE se fonde sur l’absence de ratification et de publication de ce texte pour déclarer le moyen inopérant (non utilement invocable dans ce litige). Du fait de cette absence de ratification et de publication, la déclaration ne revêt pas le caractère de textes diplomatiques ayant une autorité supérieure à celle des Lois, n’est pas un Traité au sens des dispositions de l’article 55 de la C°. N’étant de ce fait pas intégrée dans l’ordre juridique interne, elle n’est pas invocable.
è C’est la 1ère fois que le CE a à juger de cette question concernant la déclaration de Philadelphie.
è A priori, il semble logique qu’une simple « déclaration » non ratifiée ne soit pas intégrée à l’ordre juridique interne et ne soit donc pas invocable devant le JA. Sur ce point, le raisonnement du CE paraît cohérent et conforme à la lettre de l’article 55 de la C° (pour un autre exemple : la déclaration universelle des droits de l’Homme n’est pas invocable car n’a pas été ratifiée : CE, Ass., 21 décembre 1990, Conf. Nat. Des Assoc. Familiales catholiques).
Cela dit, critique d’une partie la doctrine sur ce point qui considère que la déclaration de Philadelphie, qui est intégrée à la charte de l’OIT, a la même valeur juridique que la Constitution de l’OIT et devrait de ce fait revêtir le caractère d’effet direct (effet direct de l’OIT : CE, 23 avril 1997, Gisti). èConséquence de l’absence de ratification et d’effet direct : ces dispositions ne peuvent être invoquées par les requérants à l’appui de conclusions tendant à l’annulation des décrets attaqués : les moyens sont inopérants (ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas fondés). Le juge ne peut donc pas contrôler la compatibilité des décrets au regard de ces deux normes internationales.
Un contrôle classique de conventionnalité de la loi au regard des dispositions dotées d’effet direct
L’effet direct évident de la CEDH et de la Convention relative aux droits des enfants
« que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non-discrimination dans le droit au respect des biens qui résulte des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention doit être écarté ; »
è Le CE n’évoque pas l’effet direct de la CEDH car ne fait aucun doute. En effet, la CEDH est une convention relative aux droits fondamentaux des individus, à la protection des droits de l’Homme. Conséquence : pas de condition de réciprocité, et est d’applicabilité directe/effet direct. L’article 1 de la convention est clair sur l’intention des parties contractantes : « Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés » définis dans la convention. Le JA comme le JJ ont dès le départ admis l’effet direct de la CEDH en toutes ses dispositions. è Conséquence de l’effet direct : le juge national est le juge de droit commun de la CEDH. Tout justiciable peut directement invoquer la CEDH + protocoles à l’appui de sa requête. Le CE en l’espèce va donc, sans passer par l’appréciation de l’effet direct des dispositions de la CEDH, opérer un contrôle de conventionnalité au regard de cette convention. è Le CE n’évoque pas non plus la question de l’effet direct des dispositions de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant. Concernant l’effet direct de cette convention, le CE est nuancé et procède à un examen sélectif par article : CE, 29 juillet 1994, Préfet de la Seine Maritime.
La question de l’invocabilité de cette convention est intéressante et met en avant le fait que l’appréciation de l’effet direct d’une disposition relève in fine de l’interprétation du juge. Alors que le CE reconnaissait depuis 1994 un effet direct à certaines dispositions de la convention, la Cour de Cassation a, jusqu’en 2005, dénié tout effet direct à l’ensemble de la convention. Elle s’est ralliée au CE et a donc changé son appréciation à l’occasion d’un arrêt du 18 mai 2005. è En ce qui concerne l’article 3-1, effet direct reconnu depuis un arrêt CE, 22 septembre 1997, Melle Cinar. Ce qui explique pourquoi le CE ne revient pas sur cette question dans notre arrêt. è Ces deux conventions étant d’effet direct, le CE va opérer un contrôle de conventionnalité (notamment de la Loi de Finances pour 2003, contrôle admis depuis l’arrêt Nicolo 1989).
L’exercice subséquent d’un contrôle de compatibilité des dispositions de la LFR
« l'article 97 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003 est incompatible avec les stipulations précitées ; qu'il suit de là que les décrets attaqués sont illégaux en tant qu'ils mettent en œuvre cette disposition législative à l'égard des mineurs étrangers ». En ce qui concerne le contrôle de conventionnalité au regard de la CEDH : étaient invoqués les articles 14 et 3 de la CEDH + article 1 du premier protocole additionnel : è Pas de discrimination car différence de situation entre les étrangers en situation régulière et irrégulière, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la Loi. è Pas de traitement inhumain ou dégradant (article 3) car la Loi a prévu la prise en charge des soins urgents. è Contrôle très classique. En ce qui concerne la convention relative aux droits de l’enfant : è Le CE annule les décrets en tant qu’ils mettent en œuvre une disposition législative (LFR 2003) elle-même contraire à l’article 3-1. è Fondement : l’article 3-1, qui s’applique à tous les enfants mineurs de moins de 18 ans (art 1er de la convention), qui fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale pour les Etats signataires, interdit que les enfants mineurs connaissent des restrictions dans l’accès aux soins nécessaires à leur santé. Or, l’article 97 de la LFR, qui subordonne l’accès à l’aide médicale à une condition de résidence ininterrompue (3 mois mini), ne prévoit pas de dispositions particulières s’agissant des mineurs qui peuvent donc connaître des restrictions dans l’accès aux soins. è La LFR est donc en partie contraire à cette convention en ce qui concerne les mineurs étrangers. Les décrets du 28 juillet 2005, ayant pour base légale cette loi, sont donc annulés en tant qu’ils mettent en œuvre à l’égard des mineurs étrangers la condition de durée de résidence pour l’octroi de l’AME. Ouverture éventuelle : Des auteurs telle que Laurence Gay ont pu avancer qu’avec cet arrêt, le JA consacre un véritable droit aux soins du mineur étranger, en s’appuyant sur l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article 3-1. Il tire de dispositions assez générales et imprécises une véritable obligation à la charge des Etats signataires. Le CC n’avait émis aucune réserve concernant la situation des mineurs : le CE est-il aujourd’hui meilleur protecteur des droits de l’Homme ? |