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La construction locale de l'offre d'une prestation comme production de l'action sociale : le cas du Fonds d’Urgence Sociale Gilles Frigoli Conçue initialement comme une réponse politique nationale à des mouvements de chômeurs largement médiatisés, la mise en place du FUS a rapidement pris la forme d’une opération de sélection des publics prioritaires de l’action sociale, en vue de l’octroi d’une aide financière dont les règles d’attribution furent largement laissées à l’appréciation des autorités départementales. Celles-ci furent alors amenées à se doter de critères afin d’assurer le ciblage des publics du FUS. En proie à cet égard à une relative incertitude et sous le poids des contraintes liées à la constitution d’un partenariat local, les instances chargées du pilotage du dispositif dans le département où nous avons enquêté1 furent conduites à faire reposer en partie cette sélection sur l’usager lui-même, sur sa capacité à se reconnaître comme cible et à motiver sa demande, ainsi que sur sa détermination à faire valoir la pertinence de cette auto-désignation. Partant de ce constat, on propose de montrer comment, à partir de ce choix logistique, le dispositif a trouvé un public. Plus précisément, on s’attache à comprendre comment se rencontrent offre et demande de prestation lorsque, comme ce fut le cas ici, la rationalité de l’usager est mise à contribution pour réduire l’incertitude sur la définition de la cible visée. Un questionnement sur les logiques de sélection des publics prioritaires de l’action sociale Le FUS peut être appréhendé comme une expérience massive et ponctuelle de ciblage de populations qui, alors qu’elles font l’objet d’une attention publique sans cesse renouvelée, ne se laissent que difficilement enfermer dans une définition normative. Incontestablement, le triptyque “pauvreté-précarité-exclusion”, mobilisé sur la scène politico-médiatique pour évoquer le sort des victimes de la “nouvelle question sociale”, fonctionne socialement. Mais tout se passe comme si l’efficacité sociale de ces notions était à la mesure de leur imprécision2. Or, c’est justement en laissant largement ouvert le choix du mode de constitution des catégories de populations visées par le FUS que l’administration centrale invita les services déconcentrés à opérer une sélection parmi cet ensemble aux contours imprécis que constitue le groupe des “personnes en difficulté”. Et, au moins dans un premier temps, les autorités locales ne purent s’appuyer que sur une série d’énoncés politiques volontaristes, puisant en partie au registre de l'émotion en réaction à des mouvements de revendication et supposant leur intelligibilité immédiate. Ainsi, les Préfectures et les DDASS furent-elles exhortées à apporter une aide financière aux personnes et aux ménages touchés par la détresse sociale, à mettre un terme aux situations d'urgence sociale, et, par là, à donner un contenu à ces notions qui furent sans doute convoquées pour l'efficacité sociale que garantit leur expressivité. Mais il restait, à travers l'organisation locale des conditions de mise en oeuvre de cette discrimination positive, à en tirer des principes de sélection opératoires. Dans le département sur lequel a porté notre enquête, les instances de pilotage du dispositif optèrent pour une définition non restrictive du public concerné par le FUS. Et, pour des raisons qu’on évoquera, elles ne purent s’appuyer sur le concours officiel des travailleurs sociaux pour en affiner le contenu. Les personnes connaissant des difficultés furent invitées par voie de presse à retirer un dossier de demande en mairie et à y exposer les raisons qui leur semblaient de nature à justifier l’attribution d’une aide financière, le choix des éléments de preuve à l’appui de cette demande étant laissé dans une large mesure à leur apréciation. C'est donc à l'usager lui-même que revint en partie la charge de définir la cible du dispositif, en motivant par écrit le bien-fondé de cette définition auprés d'une commission d'attribution centralisée fondant ses décisions sur l'établissement d'une "jurisprudence" ad hoc. C'est dire qu’à l’occasion de la construction locale de l'offre de cette prestation, c'est le choix de la légitimité accordée à la parole de l'usager qui prévalut sur celui de la rationalisation des procédures de sélection. Et c’est cette légitimité qui fut officiellement appelée à combler l'espace d’interprétation qui sépare un discours politique national pariant sur l'évidence de significations socialement partagées, de citoyens-usagers qui furent en l’occurence appelés à se reconnaître dans la formulation de la réponse publique correspondante. Les questions que soulève ce mode de sélection des personnes qu’il faut aider en priorité sont nombreuses. Pour certains, pointe ici le spectre de l’assistance, version charité, et son cortège de représentations négatives : absence d’égalité de traitement, “prime à la débrouillardise”, subjectivité des critères d’attribution, etc. Même si ce débat ne doit pas être écarté, c’est sur un autre plan, plus empirique, qu’on voudrait conduire l’analyse, en s’interrogeant sur le destin de ce principe d’action initial au cours des semaines puis des mois qui suivirent l’installation du FUS dans le département. Qu’est-il advenu de la légitimité accordée à l’usager lorsque les premiers dossiers de demande sont arrivés en Préfecture et qu’il a fallu les trier ? Lorsque des intervenants sociaux ont eu connaissance de la mise en place de cette aide accordée par le gouvernement et ne nécessitant ni instruction par un travailleur social, ni pièces justificatives spécifiées ? En répondant à ces questions, on espère apporter une contribution à une réflexion plus générale. Celle-ci porte sur le mode de désignation des publics prioritaires de l’aide et de l’action sociales. Trois modes opératoires peuvent être distingués qui s’appuient sur des légitimités différentes : la référence, comme ce fut le cas pour le FUS dans le département étudié, à un usager doté de capacités d’autonomie qui justifient qu’on s’en remette dans une large mesure à ce dernier pour avancer, de manière performative, une définition de la population concernée ; l’élaboration a priori de règles et de critères de sélection permettant une catégorisation « étanche » puis un traitement automatique des situations ; le recours à la technicité professionnelle d’intervenants sociaux administrativement mandatés pour adapter, face au demandeur potentiel et en vertu de la compétence qui leur est prêtée, des principes généraux à des situations particulières. On tentera de montrer que ce que met en jeu la première de ces trois voies, c’est moins le risque d’opérer une sélection injuste ou non pertinente dans ses choix, que celui de priver les acteurs, du côté de l’offre comme de la demande, de la possibilité de se réunir autour du sens de la démarche d’aide. Les enjeux de la construction de l'offre de prestation à l'épreuve du local Avant de voir comment s’est effectivement déployée l’offre de prestation en fonction des principes adoptés localement qu’on vient d’évoquer, il faut rappeler que des contraintes fortes pesaient sur les choix des autorités locales. Celles-ci ne disposèrent que de peu de temps pour organiser la mise en place du FUS et, de plus, il leur fallut compter avec les attentes, parfois les réticences, de certains de leurs partenaires institutionnels. Il convient donc de replacer l’analyse dans le contexte des négociations qui ont conditionné la construction institutionnelle de l’accès au FUS. Un pragmatisme obligé dans la gestion des contraintes liées au partenariat Dés réception de la circulaire d'application relative au FUS, c'est essentiellement à la DDASS que revint la charge de concevoir la mise à disposition de la population de cette prestation nouvelle puis de formaliser une définition des publics concernés par le dispositif. Le premier volet engageait deux types de démarche : la recherche d'institutions partenaires susceptibles de contribuer à la mise en place du dispositif ainsi que l'élaboration d'un schéma départemental fixant les modalités de la rencontre entre offre et demande de prestation. La marge de maneuvre de l'administration sociale était limitée, d'un côté par le fait qu'elle ne dispose pas d'un réseau de professionnels de proximité capable de couvrir l'ensemble du territoire, de l'autre par la réticence du Conseil Général qui se montrait peu enclin à s'engager sur une mobilisation immédiate et systématique de ses travailleurs sociaux. Devant la réserve affichée à ce sujet par les autres organismes dotés de points d'accueil des publics, la décision fut prise de solliciter le concours de l'ensemble des mairies du département, constituées en guichets de distribution des formulaires de demande. Cette dernière devrait alors être effectuée sans instruction préalable par un tiers, donc être assurée par le demandeur lui-même, avant d'être examinée par une commission centralisée (MUS) constituée de membres d'organismes gestionnaires de fonds sociaux. Bien que largement contraint par l'absence de ressources professionnelles disponibles pour l'action et la nécessité de disposer d'une logistique immédiatement opérationnelle, ce choix trouvera sa justification officielle dans l'appel à la vocation citoyenne des mairies, le relatif anonymat qu'en tant que lieu d'accueil celles-ci garantissent à la démarche et la simplicité de la procédure requise, à condition que l'information soit diffusée de manière suffisamment large. A cette fin, la création du dispositif sera annoncée par voie de presse et le message relayé par affichage du formulaire au sein des lieux d'accueils dont disposent les institutions composant la commission. On notera cependant que le choix de ce principe d'action servait également implicitement l'indétermination qui caractérisait le ciblage de la population au tout début du dispositif en permettant, dans l'attente d'une hypothétique clarification, de ne privilégier ni d'écarter aucune catégorie de publics a priori. En effet, pour plusieurs raisons, l'élaboration d'une définition opératoire des publics visés s'apparentait plus à un exercice de production sous contrainte d'une cible et d'objectifs à atteindre qu'à la stricte application déconcentrée de directives techniques3. Dans ce contexte d'indétermination relative, le ciblage à usage interne, destiné aux membres de la commission, prendra la forme d'une “doctrine empirique” appelée à s'affiner progressivement. Sur les deux supports officiels de diffusion de l'information, à savoir la presse locale et le formulaire de demande, la définition de la cible à destination de la population combinera, elle, plusieurs références, sans hiérarchisation apparente mais axées sur la figure du chômeur. Ainsi seront désignés comme cible les “chômeurs en attente de versement d’indemnités ou autres prestations, (...) titulaires de l’ASS, (...) de longue durée non indemnisés”. Cette définition, bien que relativement restrictive au regard des choix effectués dans d’autres départements, s'accompagnera d'une latitude importante laissée à l'usager quant au mode d'instruction de sa demande, le choix des pièces susceptibles de justifier la légitimité de celle-ci étant largement laissé à son appréciation de même que le contenu d'une rubrique destinée à l'exposé détaillé de sa situation. On pourrait entrer plus dans le détail des logiques qui sous-tendent les positionnements adoptés par les partenaires institutionnels locaux mais aussi des registres de justification que ces derniers mobilisent, a posteriori, pour en rendre compte. On ne s'attardera pas cependant sur les caractéristiques d'une négociation dont les termes, bien que toujours inscrits dans une histoire locale, sont largement connus : au croisement de « l'organisationnel transversal local » et de l'‘« administratif vertical » (Santelmann, 1995), la rencontre de stratégies institutionnelles autour d'un projet qui met en jeu l'équilibre, plus ou moins stabilisé, que les protagonistes s'efforcent de maintenir au sein d'une configuration d'acteurs que la décentralisation a rendus plus indépendants tout en les incitant à se rapprocher. Ce qu'on voudrait souligner ici, ce sont en premier lieu les contraintes fortes qui pesaient sur cet exercice de formalisation d'une discrimination positive largement ouverte quant aux caractéristiques des sujets visés et à sa finalité. Mais on retiendra également le caractère pragmatique d'une série de décisions qui laissent aux critères suffisamment de souplesse pour permettre, en interne, la constitution progressive d'une « jurisprudence », tout en se donnant quelques limites apparentes afin de favoriser à l'externe une préselection des candidats — par les publics eux-mêmes — et par là contenir les risques de débordement que pourrait occasionner la diffusion d'une définition semblant ne s'être dotée d'aucun critère de restriction. Les enjeux de la simplification des procédures Contraint de gérer le décalage entre l'étendue de l'espace d'initiative qui lui était accordé par l'administration centrale et l'étroitesse relative de la marge de maneuvre dont il disposait face à ses partenaires, l'Etat local sera bien parvenu, dans des délais trés courts, à élaborer un dispositif opérationnel. On conviendra cependant que le contenu prescriptif donné localement à cette politique publique se révèle ex post marqué par une relative indéfinition initiale. De même qu'au regard des contraintes qui pesaient sur l'opérationnalisation du dispositif, sans doute est-il plus approprié d'évoquer l'idée d'une normativité “contingente” ou “résiduelle” que de rapporter les choix effectués à l'affirmation de principes d'action pleinement assumés4. Cependant, une chose est de s'interroger sur les conditions dans lesquelles furent prises ces décisions, une autre est d'en mesurer les effets et d'en éclairer les enjeux. Dans ce sens, deux lectures opposées peuvent être faites d'un dispositif doté d'une définition initiale “extensible” de son public, limité officiellement à deux interlocuteurs — une commission centralisée et un usager périphérique — et laissant dans une large mesure au candidat à la prestation le choix du type d'argumentation déployé pour justifier sa demande . Selon une vision qu'on pourrait qualifier de “libérale”, on mettra en avant les vertus d'un dispositif qui tend à réduire la complexité administrative, source d'inefficacité, et évite de ce fait à des usagers déjà fragilisés l'épreuve du parcours d'obstacle que leur impose trop souvent une rigueur bureaucratique marquée par un attachement excessif au respect de procédures opaques, doublée d'un cloisonnement institutionnel dont le demandeur fait seul les frais5. On verra dans le fait de ne pas avoir institué de nouveau guichet social, le moyen d'éviter la “stigmatisation” de personnes que la position d'attente passive enferme dans un statut dévalorisant. On soulignera la pertinence d'un ciblage qui, en se dispensant d'une catégorisation rigide parce qu'étanche, permet de s'adapter à la diversité des cas individuels et, en partant des situations de fait plutôt que de catégories déjà constituées, permet de ne favoriser ni d'exclure personne a priori. Enfin, on fera remarquer qu'en laissant une marge de maneuvre aux usagers pour exprimer leur attente et argumenter leur demande au plus prés de leur vécu quotidien, tout en responsabilisant ces derniers, on se donne les moyens de tendre vers une plus grande efficacité mais aussi une plus grande équité dans la répartition d'une aide donnant à chacun ce dont il a effectivement et précisément besoin. En clair, on s'accordera sur la supériorité du principe qui régit l'aide sociale, selon lequel c'est à l'usager de prouver qu'il a bien besoin de ce qu'il demande (Joint-Lambert, Bolot-Glitter, Daniel, 1998). A l'opposé, on trouve une logique à vocation égalitaire qui s'appuie sur la rationalité des procédures de sélection pour assurer l'égalité de tous devant l'accés aux prestations en garantissant l’automaticité de la réponse publique à ceux qui entrent de manière strictement définie dans la catégorie concernée. Selon cette logique, on verra dans la procédure retenue localement la marque du « droit précaire » qui caractérise les aides facultatives (Autès, 1999), du « droit subjectif » qui marque l'aide sociale (Alfandari, 1987) et on pointera les limites d'un dispositif qui reporte sur le public le poids de l'indétermination de sa cible en se proposant moins d'atteindre une population définie comme légitime que d'effectuer empiriquement un tri parmi les personnes qui se manifestent. On soulignera que, sous couvert d'un discours visant à responsabiliser un usager doté de « compétences sociales » et qu'il faut cesser d'infantiliser, on renoue avec les pratiques d'assistance les plus archaïques. On signalera que l'opacité de ce type de procédure est bien plus redoutable que celle qui caractérise le fonctionnement bureaucratique car elle masque des pratiques qui doivent plus au jugement de valeur qu'au diagnostic objectif et distancié. On notera enfin qu'en l'absence de critères strictement définis, l'évaluation des situations ne peut que davantage porter sur les modalités d'expression de la demande que sur la réalité des situations vécues et que l'efficacité ainsi que l'équité recherchées sont de ce fait largement illusoires, sinon suspectes lorsque ce sont les savoir-faire narratifs de l'usager, ou pire, son mérite, qui sont implicitement érigés en critères de selection. C'est volontairement que nous opposons ici deux logiques qui sont souvent appréhendées par les gestionnaires de la protection sociale comme complémentaires. Equité dans la répartition des aides et égalité de traitement apparaissent généralement comme deux principes qu’il faut concilier tout en assurant une plus grande efficacité de la réponse publique. Les mutations de la société salariale, que traduisent la massification et la diversification des demandes d’aide financière, imposent alors de trouver un « juste équilibre » entre les deux principes, tant au niveau des grandes régulations de l’Etat-Providence qu’au niveau des organismes de protection sociale qui délivrent des prestations6. Ajoutons que, opposer terme à terme comme on le fait ici les principes de préconstruction et de construction pragmatique des catégories-cible de la protection sociale ne rend que partiellement compte de la réalité. A ce titre, sans doute serait-il plus juste d’évoquer l’idée d’un continuum au sein duquel prennent place l’ensemble des prestations financières7. Telle que nous l’avons présentée, l’opposition frontale entre les deux logiques peut donc apparaître abusivement simplificatrice. Cette présentation a cependant le mérite de rappeler que, le choix de tel ou tel mode de définition des cibles du social ne se réduit pas à une série d’exigences fonctionnelles en matière de gestion de l’attribution de prestations. Que l’aide proposée se présente ou non comme un droit exigible par le demandeur, lorsque se pose la question de la participation de l’usager à cette construction de la réponse publique, c’est bien le choix, implicite ou revendiqué, d’une conception de ce dernier en tant qu’acteur qui se trouve mis en jeu : usager irrationnel, objet de la procédure, totalement « agi » mais protégé par cette dernière versus usager acteur de la catégorisation, qui, en motivant sa demande et, dans le cas du FUS local, en étant invité à argumenter la réalité des besoins qu’il exprime, est invité à argumenter son appartenance à la catégorie concernée. Or, faut-il rappeler qu’il n’est pas indifférent, sur le plan politico-moral, de s’adresser à un usager autonome, responsable, et de le convier ainsi à faire entendre sa voix au sein d’un processus qui engage le sort qui lui sera finalement réservé ? Bien que les prises de position qui s'affirment sans nuance plus favorables à l’un ou l’autre de ces principes de sélection soient rares, les différentes versions du "subtil dosage" qui est souvent prôné masquent donc des oppositions fortes, qui mériteraient d’ailleurs à notre sens d’être plus clairement débattues. La référence à des valeurs, si ce n’est à une idéologie, n’est jamais totalement absente dés lors que se pose la question de la rationalité que l'on prête aux usagers de l'action sociale ainsi que son corollaire : la responsabilité dont on attend qu'ils fassent preuve dans le redressement de leur situation et, directement liée, celle qui peut leur être attribuée dans l'apparition de leurs problèmes. Ces quelques remarques nous semblent nécessaires, d’abord pour insister sur le fait que les données d'enquête présentées ici n'apporteront pas un éclairage décisif à une question — celle de la légitimité qui doit être accordée au discours de l’usager — que n'épuisent pas les constats empiriques, fussent-ils apparamment concordants dans ce qu'ils mettent en evidence, et qui, plus qu'une question de recherche, demeure, et doit demeurer une question politique. Surtout, on voudrait souligner que la prise de distance que nous nous imposons à l’égard des enjeux politiques de l’action n’en n’élimine pas la portée, même si, bien sûr, nous n’avons pas ici à engager l’analyse sur ce terrain. C’est donc modestement, mais en ayant à l’esprit que les choix que nous discutons ne sont pas neutres, qu’on interrogera une expérience de production de l’action sociale dans laquelle l’usager fut invité à se définir comme cible légitime et à argumenter cette définition de soi. En montrant comment, à partir de ce principe, se sont effectivement ajustées offre et demande de prestation, on souhaiterait à présent rendre compte d’un des effets indirects de la construction locale d’une prestation s’adressant à un usager parfaitement autonome et responsable : on veut parler de l'émergence d'un dispositif informel au sein duquel se fit officieusement et en partie la rencontre entre offre et demande de prestation, au prix d'une diversification des modalités d'expression des besoins individuels et de la réponse publique à laquelle les autorités locales n'eurent d'autre choix que de tenter de s'ajuster. L'offre effective de prestation à l'épreuve d'un dispositif informel Comme on l'a vu, aucune intervention extérieure ne devait officiellement s'intercaler entre un demandeur à qui il revenait d'instruire son dossier et une commission chargée de statuer sur les demandes écrites lui parvenant. L'effectivité de la procédure retenue supposait de ce fait la "transparence" ou l'"invisibilité" d'intervenants sociaux, au sens large, qui n'avaient formellement aucun rôle à jouer au sein du dispositif. Or, l'information puis le formulaire de demande ne tardèrent pas à se diffuser officieusement en empruntant les canaux qui, au sein de configurations d'acteurs locales, relient de manière informelle les services et les personnes qui accueillent les publics en difficulté. Cette diffusion donnera lieu à des modes d'implication dans le FUS d'autant plus diversifiés qu'aucune instruction officielle ne viendra en circonscrire les modalités et ainsi réduire l'incertitude qui caractérisait la définition des publics concernés et les conditions nécessaires à l'obtention de l'aide proposée. De la mise en circulation à l'instrumentalisation de la prestation A l'origine des divers usages de cette prestation nouvelle par des acteurs locaux de l'aide aux publics en difficulté, on trouve des logiques institutionnelles promptes à se déployer dans l'espace laissé vacant par la relative ambiguité des énoncés politiques nationaux et la faible normativité des choix logistiques effectués localement. On trouve aussi des logiques d'acteur ayant matière à s'exercer dans le cadre de relations, ponctuelles ou suivies, entre intervenants sociaux et usagers potentiels du dispositif8. |