Unité et diversité des «grands principes» du service public (1)





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AJDA

AJDA 1997 p.38

Unité et diversité des « grands principes » du service public(1)
Didier Truchet, Professeur à l'université Paris II (Panthéon-Assas)

 


L'essentiel

Inusables et insécables, les « lois de Rolland » ? Cet auteur présentait comme des « caractères communs à tous les services publics » la régularité et la continuité de leur fonctionnement, la possibilité pour l'autorité publique compétente de modifier à tout moment leurs règles d'organisation et de fonctionnement et l'égalité des particuliers devant eux et notamment devant leurs charges et leurs profits(2). Ces caractères communs, Rolland ne les avait pas inventés : il les tirait de la jurisprudence antérieure. Mais la synthèse était si claire que son nom est resté attaché à un triptyque devenu classique pour exprimer les principes de fonctionnement s'imposant à tous les services publics : continuité, égalité, adaptation continue.

Ce triptyque correspondait à une vision forte et cohérente des services publics, que l'on peut (au moins) faire remonter à Duguit et toujours très présente en France. Alors même que le service public devenait indéfinissable, les trois principes garantissaient son efficacité au service de l'intérêt général et donnaient son unité à une nébuleuse de services publics de plus en plus divers.

Le service public se réfugiait ainsi dans son régime. Dès 1950, M. Chenot écrivait que « le service public n'est plus une institution, c'est un régime, c'est l'application du droit public à certains actes
(3) ». Le législateur et la jurisprudence y ont contribué par un effort constant qui appliquait à tous les services publics des règles communes d'inégale importance : de sorte que s'est élaboré un véritable « statut » du service public, englobant et dépassant les « grands principes », transcendant les différences organiques et fonctionnelles qui traversent la catégorie(4).

Qu'en est-il aujourd'hui ? Apparemment, rien n'a changé : les « lois de Rolland » semblent défier le temps ; rien n'indique que le législateur ou le juge auraient entrepris de démanteler le statut du service public. Se pourrait-il cependant que les principes traversent intacts la tourmente qui affecte la « conception française du service public
(5) », même si le rapport Denoix de Saint Marc la ramène, avec un optimisme peut-être trop serein, à une tempête dans un verre d'eau(6) ?



L'analyse conduit à une réponse nuancée, mais plutôt négative : les trois principes ne sont plus autant que naguère ce bloc homogène et compact que l'on continue à décrire. L'évolution qui les affecte est d'ailleurs antérieure à la confrontation du droit du service public avec le droit de la concurrence d'une part, le droit communautaire d'autre part. Mais elle était passée relativement inaperçue, cette confrontation jouant aujourd'hui le rôle de révélateur et d'accélérateur.

La première faille remonte à loin. Avant même d'énumérer ses « lois », Rolland, dans l'ouvrage précité, mettait en tête des « caractères communs à tous les services publics » les « prérogatives n'appartenant pas aux particuliers » dont disposaient les gouvernants qui dirigeaient les services publics. En effet, les prérogatives de puissance publique paraissaient constituer un autre élément du statut du service public, équilibrant en quelque sorte les contraintes et contribuant à l'efficacité du service. Malheureusement, la jurisprudence a affirmé, depuis au moins vingt ans, l'existence de missions de service public qui ne confèrent à leur gestionnaire aucune prérogative de puissance publique
(7) ; plus malheureusement encore, la doctrine ne s'en est pas offusquée. Il est donc inutile de revenir sur une question qui paraît réglée ; il ne l'est pas de souligner que cette première atteinte au statut du service public ne pouvait que l'affaiblir...

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation assez incertaine : les principes existent toujours et sont encore présentés de manière « unitaire ». Mais, par touches successives, le tableau se brouille de plus en plus : leur place dans la hiérarchie des normes n'est pas identique ; leur effectivité varie de telle manière qu'ils ne sont plus vraiment caractéristiques du service public ; ils deviennent des éléments d'un régime différencié des services publics.



L'unité des principes, souvenir d'une époque qui s'achève


Les trois principes irriguent toujours le régime des services publics. Et de manière générale, ils sont toujours présentés comme formant un bloc par la jurisprudence et la doctrine. Il y a de fortes justifications à cette vision unitaire.

Un souvenir très présent


Aucune loi, aucun juge n'ont jamais soustrait les services publics - ou l'un d'entre eux - au respect des principes. Tous les services publics y sont, en théorie, soumis, qu'ils soient gérés par une personne publique ou par une personne privée, qu'ils aient un caractère administratif ou industriel et commercial. Pris isolément ou considérés ensemble, les principes existent toujours.

Il serait bien inutile de reprendre ici la jurisprudence récente du Conseil d'Etat pour étayer cette affirmation : elle est constante. C'est d'ailleurs par les trois principes qu'il ouvre le paragraphe intitulé « Elucider et enrichir les principes du service public » de son rapport Service public, services publics : déclin ou renouveau (
EDCE n° 46, 1994 ; V. p. 69 et ss). On ne trouve dans sa jurisprudence pas la moindre indication explicite permettant de conclure à une érosion des principes ou à leur dissociation.

Dans le même sens, il est utile de relever l'évocation par le Conseil constitutionnel des « principes constitutionnels régissant le service public » (décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996,
JO 27 juillet, p. 11408).

La doctrine est à l'unisson. De manière très générale, elle reste fidèle à la conception traditionnelle, considérée comme correspondant toujours au droit positif. Certes, la présentation peut varier d'un auteur à l'autre
(8), l'adaptation continue d'être appelée « mutabilité », « évolution » ou « fonctionnement efficace »... et M. Mescheriakoff de dénoncer « l'ambiguïté des principes fondamentaux » (préc. n° 63). Mais l'existence et l'unité des principes ne sont jamais niées.

Les orientations de la réforme administrative montrent que le pouvoir politique partage une vision, sinon identique (car l'adaptation continue s'efface progressivement, par prudence politique sans doute), du moins voisine : la charte des services publics du 18 mars 1992 (aimablement appelée par le Conseil d'Etat, dans son rapport précité, « sous-produit de la politique de renouveau des services publics ») qualifie la continuité et l'égalité de « principes fondamentaux » et l'adaptation continue - associée à un principe de participation - de « principe d'action » ; la circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics souhaite conforter « les principes traditionnels et essentiels du service public : neutralité, égalité continuité » (
JO 28 juillet 1995 p. 11217) : cette fois-ci, l'adaptation disparaît au profit d'une inattendue neutralité, mais il ne faut sans doute pas en tirer trop de conséquence.

Même la Commission des Communautés européennes fait un pas (lui aussi hautement politique) vers la conception française. Dans sa communication sur « Les services d'intérêt général en Europe » (
JOCE 96/C 281/03, 26 septembre 1996), elle écrit notamment (§ 28) : « Les critères du service universel portent sur des principes : égalité, universalité, continuité, adaptation, ainsi que sur des lignes de conduite saines : transparence de gestion, de tarification et de financement, contrôle par des instances distinctes des opérateurs ». La distinction entre les « principes » et les « lignes de conduite » est intéressante en ce qu'elle souligne l'importance particulière des premiers.

Cette première série d'observations révèle donc une remarquable stabilité des principes. Elle repose en effet sur de solides justifications.



De solides justifications


Si les principes tiennent bon, c'est que les raisons qui les fondent correspondent toujours à l'attente de nos concitoyens. A leur attente, plus qu'à la réalité : il y a une part d'incantation dans l'affirmation, d'une part, de l'existence de principes que l'on sait assortis de multiples exceptions, d'autre part, de leur unité alors qu'on les sait divers. Mais dans cette incantation, il y a un idéal politique qu'il convient de respecter : celui d'une vision unitaire du service public, opposée à la diversification des services publics, et destinée, dans une certaine mesure, à faire contrepoids à cette dernière. Elle paraît garantir le bon fonctionnement d'activités indispensables au pays et au progrès social.

Il s'agit de souligner que le service public trouve sa légitimité dans l'intérêt général : satisfaire ce dernier requiert le respect de certaines exigences fondamentales
(9).

Ainsi de la continuité, qui, selon le mot fameux de Tardieu dans ses conclusions sur l'arrêt
Winkell (7 août 1909), « est de l'essence du service public ». Chacun sait qu'elle fonde un nombre élevé de règles importantes de notre droit administratif. On a tout dit des inconvénients d'un « Etat à éclipses ». Un service public qui interrompt ses prestations en dehors du règlement qui le régit cesse de répondre à l'intérêt général qui le fonde et altère par là même la justification de son existence. On observe d'ailleurs un déplacement de l'objet de la continuité : naguère principalement envisagée dans sa dimension temporelle, elle l'est désormais aussi dans sa dimension spatiale. La crise économique aidant, les préocupations d'aménagement du territoire vont dans ce sens : c'est l'une des significations de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Cette dernière présente d'ailleurs la continuité spatiale en termes d'égalité, autre règle fondamentale à laquelle les Français sont particulièrement attachés. Le principe exprime une profonde revendication de solidarité : chacun doit pouvoir profiter des prestations fournies par le service public parce qu'il n'y a pas, en droit, de citoyens « mineurs » ni de citoyens privilégiés. C'est bien pourquoi les services publics sont, dans le discours politique, si souvent appelés à lutter contre l'« exclusion ».

Moins appréciée, car trop souvent invoquée pour justifier une réduction des services publics, l'adaptation continue n'en répond pas moins à une exigence de bon sens : quand l'intérêt général évolue (c'est-à-dire quand les besoins de la population changent), le service public doit s'adapter pour rester fidèle à sa mission.

Mais les trois principes ne reposent pas seulement sur ces considérations d'équité et de raison. Ils reflètent aussi une conviction collective très profondément enracinée en France, alors même que les faits l'ont amplement démentie : les services publics devraient échapper au marché ; le respect de principes aussi peu « économiques » que ceux-là en seraient le meilleur témoignage et la meilleure garantie : les principes exprimeraient ainsi la « non-économicité » des services publics et leur soustraction au souci de la rentabilité. Le doyen Georges Vedel écrivait récemment que les « lois » du service public se déduisaient des prémisses qui suivent : « La construction française du service public est en droit simple et rigoureuse : certaines prestations sont indispensables à la nation ou à ses collectivités composantes. Elles ne peuvent donc être abandonnées, même dans un Etat libéral, aux incertitudes de l'initiative privée et du marché
(10). »

C'est évidemment ici que le ver s'introduit dans le fruit. Car on sait bien que service public et marché ne s'excluent en réalité pas et que la concurrence (c'est-à-dire « la loi du marché » tempérée par la règle de droit) s'impose à un nombre croissant de services publics. Et cela a de lourdes conséquences sur les principes, d'autant plus lourdes que l'évolution du droit avait déjà lézardé le bel édifice que l'on vient de décrire. L'unité des principes est en effet affaiblie, et cela depuis longtemps.



Un ensemble au statut et aux contours incertains


Le bloc des trois principes n'est plus juridiquement homogène : l'unité des principes a ici disparu. En outre, autour des trois « grands », gravitent d'autres règles dont la liste, difficile à dresser, en altère la pureté originelle.

L'autorité juridique variable des « lois de Rolland »


Dans les trente années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale (qui ont été l'âge d'or des principes), l'analyse juridique des trois principes était simple. Ils étaient des principes généraux du droit au sens que la jurisprudence du Conseil d'Etat donne à ce terme. C'est dire que, comme l'a établi René Chapus, ils occupaient dans la hiérarchie des normes une place « infra-législative » et « supra-réglementaire » : le législateur n'était pas tenu de les respecter, l'administration si, sauf permission de la loi. Telle est toujours la conception qu'en a le Conseil d'Etat.

Mais le Conseil constitutionnel y a ajouté sa propre jurisprudence, qui met à mal l'unité des principes
(11).

Nulle surprise à constater que l'égalité devant les services publics ait été élevée par lui au rang de principe constitutionnel. Il ne l'a pas proclamée comme un principe « autonome » mais l'a appliquée à plusieurs services publics (justice, fisc, éducation nationale, protection sociale...), comme une composante du principe d'égalité tiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
(12). Néanmoins il ne fait guère de doute que le principe ait, pour le Conseil, vocation à concerner tous les services publics.

Pour la continuité, la chose était moins facile car elle ne pouvait être rattachée à aucun texte explicite. La décision n° 79-DC du 25 juillet 1979
(13) lui reconnaît pourtant « le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ». Cette affirmation, nécessaire pour équilibrer le droit de grève au sein des normes constitutionnelles, est d'autant plus remarquable que la continuité reste à ce jour le seul principe que le Conseil ait déclaré constitutionnel sans s'appuyer sur un texte.

Leur statut constitutionnel impose ces deux principes au législateur, sans lui interdire de leur apporter des exceptions, mais dans les limites fixées par et sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

L'adaptation continue, en revanche, n'a pas connu semblable honneur. Jamais, le Conseil ne lui a reconnu valeur constitutionnelle
(14) (sauf à interpréter l'allusion aux « principes constitutionnels régissant le service public » faite par la décision n° 96-380 DC précitée comme l'englobant, ce qui serait sans doute aller trop loin) ; jamais non plus, il ne la lui a expressément refusée. L'avenir reste donc ouvert. Mais, en l'état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, les trois principes ne se situent plus en bloc au même niveau de la hiérarchie des normes.

Le phénomène de différenciation est accentué par la législation, lorsqu'elle rappelle ponctuellement tel ou tel principe. « L'Etat assure l'égal accès de chaque citoyen aux services publics. A cet effet, il détermine l'implantation des administrations publiques, les conditions d'accès à distance aux services publics, la localisation des investissements publics qui relèvent de sa compétence, les obligations des établissements, organismes publics et entreprises nationales placés sous sa tutelle et chargés d'un service public » (art. 1
er, al. 6, de la loi précitée du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développemments du territoire) ; « Ces établissements [ceux qui assurent le service public hospitalier] garantissent l'égal accès de tous aux soins qu'ils dispensent. Ils sont ouverts à toutes les personnes dont l'état requiert leurs services. Ils doivent être en mesure de les accueillir de jour et de nuit... » (art. L. 711-4, al. 2, du Code de la santé publique, issu de la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière) ; « Le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité » (art. L. 35 du Code des postes et télécommunications, issu de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications).

Ces trois exemples récents sont un peu troublants. Certes, on peut voir dans ce rappel des principes par le législateur un signe de leur vitalité et leur confirmation au niveau législatif de la hiérarchie des normes. Mais était-ce nécessaire, ou même utile, pour des règles déjà dotées - pour deux d'entre elles, au moins - d'une autorité constitutionnelle et déjà considérées comme des principes généraux du droit par le Conseil d'Etat ? Juridiquement non ! En éprouvant le besoin de les redire, le législateur ne révélait-il pas des doutes sur leur application « spontanée » ? Car il ne s'agissait pas pour lui de combiner les principes entre eux ou de leur apporter les exceptions que requéraient les services publics concernés, ni, comme le font les cahiers des charges, d'en préciser la mise en oeuvre, mais bien de les re-proclamer pour ces services. N'en résulte-t-il pas (plus psychologiquement que juridiquement) une hésitation quant au respect des principes par ceux des services publics (de loin les plus nombreux) pour lesquels la loi ne les a pas réaffirmés ? Une telle conclusion serait aventureuse, mais la question confirme qu'ici comme ailleurs, « le mieux est l'ennemi du bien ».



La liste incertaine des principes


Comme on l'a vu plus haut, l'adaptation continue est parfois oubliée dans la liste des principes. Il n'en faut pas moins considérer qu'elle y figure nécessairement, ne serait-ce que par simple raison pratique.

Mais, au-delà des trois « classiques », et des lois qui visent tous les services publics, même gérés par des personnes privées
(15), d'autres principes, communs à tous les services publics, ne sont-ils pas en train d'apparaître ?

Il convient d'abord d'évoquer... les principes qui n'existent pas : entendons par là les règles qui peuvent régir certains services, mais certainement pas tous.

Ainsi du droit au service public ou, plus exactement, à sa création et à sa permanence.

Il existe certes des services publics obligatoires.

• Obligatoires en vertu de la Constitution ? Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, évoqué « la nécessité de certains services publics nationaux [qui] découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle
(16) », l'« activité de service public ayant son fondement dans des dispositions de nature constitutionnelle(17) » ou le « service public exigé par la constitution(18) ». Il n'a d'ailleurs eu aucune occasion de donner un exemple positif d'un tel service constitutionnellement obligatoire(19).

• Obligatoires en vertu de la loi : il s'agit des services publics que la loi impose aux collectivités territoriales... et dont elle pourrait les dispenser (sauf exigence constitutionnelle contraire).

Mais, en dehors de ces hypothèses, la règle est inverse : les pouvoirs publics compétents sont libres d'identifier les intérêts généraux auxquels ils souhaitent répondre et d'instituer un service public pour ce faire. Et ils le sont aussi d'y mettre fin, en vertu d'une jurisprudence constante
(20).

Autre principe qui n'existe pas comme tel : la gratuité. Il y a certes des services publics gratuits en vertu de règles constitutionnelles, législatives ou réglementaires : l'enseignement public (« à tous les degrés », dit le Préambule de la Constitution de 1946), les secours aux personnes
(21)... Mais, quoi qu'ait pu en penser Hauriou, la gratuité n'est pas une règle générale de fonctionnement des services publics : elle dépend de choix de gestion variables dans le temps et l'espace. La tendance est à la juste rémunération des services rendus (ce qui exclut que le service soit exploité dans un but lucratif). Elle soulève d'ailleurs de vives contestations dont le contentieux témoigne avec une abondance accrue(22), notamment à propos des tarifs des services publics locaux.

Obligatoires ici, facultatifs là ; gratuits ici, onéreux là : c'est ici la diversité qui s'impose, sur des points pourtant très sensibles pour l'opinion publique et la conception qu'elle se fait de la satisfaction de l'intérêt général.

A côté des principes qui n'existent pas, on trouve des principes en devenir... La mode est en effet à la multiplication des principes. Elle confine même aujourd'hui à la frénésie.

Passons sur le principe de neutralité, qui est depuis longtemps l'objet d'hésitations doctrinales : certains voient en lui une variante de l'égalité (ce qui semble la meilleure présentation), d'autres un principe distinct de cette dernière
(23), quitte à lui attribuer un « aspect surtout intellectuel » (A.-S. Mescheriakoff, préc., n° 69). Il est fréquemment associé à un principe de laïcité, comme dans le rapport précité du Conseil d'Etat.

Ce dernier va beaucoup plus loin. Il propose une véritable rafale de principes nouveaux : participation, transparence et reponsabilité, simplicité et accessibilité, voire « sens de l'Etat, sens du service public, déontologies ». Pour faire bonne mesure, la circulaire précitée du 26 juillet 1995 annonce une charte des citoyens et des services publics qui « donnera corps à des principes nouveaux : la qualité, l'accessibilité, la simplicité, la rapidité, la transparence, la médiation, la participation, la responsabilité ». Dans le rapport qu'il a présenté sur « Le service public dans le cadre de l'Union européenne », M. Borotra évoque, pêle-mêle, outre les trois principes habituels, la péréquation tarifaire, la contribution à l'aménagement du territoire, la contribution à la cohésion sociale du pays, l'intérêt à long terme de la nation et même le respect du pluralisme de l'information et de la culture (
JO doc. AN 6 octobre 1995, n° 2260, p. 36 et ss).

Apprécier le sens et la portée de cette mode n'est pas aisé. Elle répond au louable souci de redorer le blason d'un service public dont la conception française paraît malmenée, et même menacée. Elle vise à lui donner une signification plus riche et plus moderne qu'aujourd'hui. Elle tend à répondre aux aspirations de citoyens qui perdent confiance dans leurs services publics au moment où beaucoup en attendent plus que jamais.

Mais elle a aussi quelque chose de factice et de désordonné. Parmi ces principes nouveaux, certains sont en vérité appliqués depuis longtemps : ainsi de la responsabilité, qui n'attend plus que la disparition complète de l'absurde faute lourde pour atteindre la généralité, mais dont les régimes - en pleine évolution - sont trop divers pour prétendre à l'unité que requiert un véritable principe. D'autres (la qualité, la simplicité, la rapidité) traduisent des exigences de bonne gestion qui dépendent bien davantage de mesures administratives et financières que de la proclamation de principes qui leur apporterait peu d'effectivité supplémentaire. Certains (transparence, participation, médiation) ont déjà fait l'objet de dispositions législatives et réglementaires, mais, quoique répondant à des objectifs politiques importants, sont loin d'avoir la généralité que l'on attend de principes. Les derniers (la plupart de ceux dont parle M. Borotra) expriment plus des objectifs politiques que de véritables règles de fonctionnement. Et aucun n'est propre aux services publics (v. plus loin).

Mais cette mode révèle en tout cas que les trois principes classiques sont aujourd'hui considérés comme insuffisants pour définir le droit commun des services publics dans une société démocratique et moderne. Cette insatisfaction les rend moins « lisibles » et relativise leur importance. En menace-t-elle l'existence ? Non : les principes nouveaux s'ajouteraient - et ne se substitueraient pas - aux principes anciens. Affecte-t-elle l'unité des règles de fonctionnement de tout service public ? Dans un premier temps, certainement : comme il ne faut pas s'attendre à ce que l'éventuelle proclamation (à quel niveau de la hiérarchie des normes ?) des « principes » nouveaux atteigne rapidement la généralité, il y aura là un élément de diversité accrue des services publics. Ensuite,... on verra : il n'est pas impossible que quelques-uns d'entre eux deviennent progressivement de véritables principes applicables à tous les services publics, ce qui serait facteur d'une unité régénérée.

Au terme de cette seconde partie, on est porté à conclure que si l'unité juridique et les contours des principes sont altérés par l'évolution récente, les principes ne sont pas vraiment menacés. Cette conclusion provisoire et optimiste va cependant être démentie par l'analyse de leur effectivité.



Une effectivité variable et peu caractéristique


Si l'on s'en tient aux trois grands principes, on ne peut qu'être frappé par le nombre et l'ampleur des exceptions qu'ils connaissent. En outre, ils ne semblent plus dessiner une figure des services publics qui les distinguerait radicalement des autres activités humaines.

Une effectivité variable


L'impression d'unité qui prévalait dans les pages précédentes ne résiste pas à l'examen des conditions d'application des principes dans les différents services publics français. Chacun les met en oeuvre selon des modalités qui lui sont propres, tant en droit qu'en fait.

Les exceptions de droit sont considérables et diverses. Elles sont trop connues et trop nombreuses pour pouvoir être étudiées ici.

Mais chacun sait que la continuité des services publics doit, en premier lieu, s'incliner, au moins partiellement, devant le droit de grève des agents
(24) ; que, en second lieu, elle est organisée par les textes et les cahiers des charges avec une intensité très variable, liée à la nature des intérêts généraux en cause : certains services (qui ne sont pas seulement ceux dans lesquels le droit de grève a été limité ou supprimé) sont tenus à un fonctionnement ininterrompu, quand d'autres s'accommodent d'éclipses plus ou moins larges.

L'égalité est plus nuancée encore. La présentation habituelle (des discriminations sont légales lorsqu'elles reposent sur des différences « objectives » de situation ou sur des raisons d'intérêt général) est évidemment exacte et retrace fidèlement les jurisprudences constitutionnelle et administrative. Mais elle occulte inévitablement qu'une différence de situation se construit en fonction de considérations variées et parfois imprévisibles et qu'une raison d'intérêt général est nécessairement contingente. Elle rend donc mal compte de l'extrême diversité des variations que les services publics pratiquent, en toute légalité, tant pour les conditions d'accès des usagers que - surtout - pour les conditions tarifaires. Pris entre les exigences de l'intérêt général et celles d'une gestion performante, ballottés par les aspirations contradictoires des usagers (avoir tous les mêmes droits, bénéficier de régimes privilégiés, voir reconnaître leur « droit à la différence »), les services publics naviguent à vue, sans recevoir d'indications très claires ni des pouvoirs publics, ni de la jurisprudence
(25) : que l'on songe par exemple à la subtilité, inévitable compte tenu de la diversité des enjeux, de l'avis de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat relatif aux tarifs du TGV Nord-Europe(26) ou à la jurisprudence, tournoyante et très difficile à synthétiser, relative aux services publics locaux, notamment à propos de l'accès des usagers ne résidant pas dans la commune et des tarifs pratiqués à leur égard.

Quant à l'adaptation continue, elle est constamment mise en oeuvre, mais pas toujours dans le sens que souhaitent les usagers. Elle est perçue comme justifiant les réductions ou les suppressions de service, et donc jouant contre le service public, alors qu'elle ne sert pas moins à en accompagner la création ou le progrès : ici aussi prévaut une impression de diversité et il serait bien difficile de dégager une ligne claire de la manière dont s'applique effectivement le principe.

D'autant plus difficile qu'à ces modulations juridiques s'ajoutent une érosion et une diversification des principes considérables dans les faits. L'une des raisons (pas la seule) est que ces principes sont parfois détournés : fondamentalement ils édictent des droits pour les usagers et des obligations pour les gestionnaires, mais il leur arrive d'être utilisés comme créant des droits pour ces derniers et, plus encore, pour leur personnel.

L'égalité devient vaine lorsque le phénomène de l'« exclusion » écarte un nombre important de personnes du cercle des usagers, car elles n'ont même plus la capacité psychologique ou financière d'accéder à un service dont elles auraient pourtant particulièrement besoin. Sans aller aussi loin, des services publics découragent, par leurs conditions de fonctionnement ou de financement, ceux qui voudraient s'adresser à eux : on ne mesure peut-être pas assez combien la dégradation de la protection sociale, des mesures telles que le « ticket modérateur d'ordre public », les difficultés financières des hôpitaux publics risquent d'affecter l'effectivité du service public hospitalier.

Bien entendu, c'est la continuité qui est surtout compromise par les grèves répétées du personnel des services publics, et singulièrement de ceux des transports. « Défense des services publics », dit-il ! Mais de services publics considérés comme fonctionnant... pour leurs agents. Il ne faut pas généraliser ni nier les légitimes motifs de mécontentement de nombre d'entre eux. Mais quand le moindre prétexte sert à déclencher une grève, quand celle-ci fait l'économie des obligations légales, et notamment du préavis de cinq jours et du service minimal, quand les directions semblent s'y résigner avec trop d'aisance, il y a véritablement un abus inadmissible qui vide, aux yeux du public, la continuité de toute substance
(27).

Il en va de même quand le personnel refuse, par un attachement compréhensible mais excessif à ce qu'il nomme ses « droits acquis » (qui correspondent à une réalité sociale, mais pas à une exigence juridique), tout changement, de sorte que l'adaptation continue dépend d'abord de considérations statutaires et non de l'intérêt général.



Des principes peu caractéristiques du service public


Ainsi diminués, les principes sont de moins en moins caractéristiques du service public.

C'est vrai si l'on compare ce dernier avec les autres activités publiques : en quoi la police respecterait-elle moins que lui l'égalité, la continuité, l'adaptation continue ? A bien des égards, elle s'y plie au contraire mieux. On l'observe de manière particulièrement spectaculaire à propos du dernier principe : l'adaptation d'une mesure de police aux circonstances fait partie des éléments que contrôle le juge de l'excès de pouvoir, alors que ce n'est pas le cas (ou que c'est nettement moins le cas) des décisions relatives à l'organisation et au fonctionnement du service public.

C'est surtout vrai si on le compare avec des activités privées, en tout cas pour ce qui est de la continuité et de l'adaptation continue. La pharmacie et les médecins libéraux, soumis à une déontologie qui s'en rapproche, les pratiqueraient-ils moins que les hôpitaux publics ? Les services privés de radiodiffusion et de télévision moins que le secteur public de l'audiovisuel ? Et l'on pourrait en dire autant des compagnies qui exploitent les ascenseurs des immeubles privés, des sociétés de surveillance et de gardiennage, pour ne pas parler, tout bonnement, des commerces d'alimentation.

Il demeure sans doute une différence entre les activités privées et les services publics : les premières observent souvent mieux que les seconds la continuité et l'adaptation continue, et même - sous l'importante réserve que l'on va dire - l'égalité ; mais elles ne le font qu'envers une clientèle solvable qu'elles peuvent sélectionner
(28), ce qui est aux antipodes de l'égalité devant le service public. Les services publics, en effet, doivent respecter, et même promouvoir l'égalité ; les entreprises privées peuvent la pratiquer, mais c'est pour elles un choix de gestion, pas une obligation ni un objectif. En pratique cependant la différence de comportement est parfois si ténue que la distinction devient imperceptible.

On pourrait aussi observer que continuité, adaptation continue et égalité sont mieux assurées par les mouvements associatifs, caritatifs... qui viennent au secours des plus démunis que par nombre de services publics (du moins jusqu'à la création des « SAMU sociaux ») ; ou qu'Internet offre - pour l'instant - l'image d'un réseau qui assure aux utilisateurs une grande égalité, une continuité exemplaire et une adaptation permanente (à un coût qui confine à la gratuité pour nombre de services) sans le support d'un service public
ad hoc.

Comment l'opinion pourrait-elle encore croire à la belle image d'antan, celle d'un service public respectueux des principes car, d'une part, tenu de le faire au nom de la satisfaction de l'intérêt général et, d'autre part, capable de le faire puisque délié de tout souci de performance financière, quand cette image correspond de moins en moins à la réalité ? Quand les entreprises privées semblent faire aussi bien, voire mieux que lui ?

Cette troisième partie s'achève donc sur un constat assez sombre : les principes sont en réalité affaiblis, très diversement respectés ; ils ne forment plus guère ce bloc spécifique que les développements précédents laissaient encore apercevoir. Et ils ne sont probablement pas au bout de leur peine : il est temps de passer du diagnostic à la tentative de pronostic.



Des éléments d'un régime différencié ?


Les principes du service public peuvent rester des objectifs, des idéaux ou des références. Mais il sera de plus en plus artificiel de les considérer comme formant un bloc homogène commun à toutes les missions de service public. Ils deviendront probablement des règles inégalement applicables à certaines d'entre elles, selon les particularités de chacune, les exigences de l'intérêt général qu'elle poursuit et sa situation sur le marché.

Cette évolution est pour une part endogène. Mais elle doit évidemment beaucoup aux pressions communautaires.

Une évolution inéluctable en droit interne


Cette différenciation des principes était déjà envisagée par le rapport Nora
(29). Son contexte était différent de celui d'aujourd'hui et il ne considérait que les entreprises publiques. Il n'en était pas moins prémonitoire lorsqu'il dénoncait une conception trop rigide du service public et souhaitait, en ce qui concerne le respect des exigences du service public, un « renversement des charges de la preuve ».

Comme on l'a vu, il n'est plus guère possible de soutenir que tout service public respecte l'égalité, la continuité et l'adaptation continue : ce n'est plus assez vrai dans la réalité du fonctionnement de beaucoup d'entre eux ; l'écart entre la formulation classique et la pratique devient trop important.

Si l'espace et le temps ne manquaient pas pour tenter pareille entreprise, l'examen des règlements de chaque service, des cahiers des charges et des contrats de plan révélerait probablement combien variables sont les modalités de fonctionnement des services publics français.

Les raisons en sont nombreuses. La première est que le service public s'est lui-même à ce point diversifié, voire délité, qu'il n'est sans doute plus assez solide pour offrir un point d'ancrage à des principes uniques de fonctionnement.

La deuxième contredit la première (car elle révèle une confiance nouvelle dans le service public) mais conduit au même résultat : les objectifs assignés aux services publics sont de plus en plus nombreux et de plus en plus variés. Ils dépassent souvent la seule satisfaction des besoins de leurs usagers pour englober nombre d'autres intérêts généraux : la lutte contre le chômage et l'« exclusion », l'aménagement du territoire, la cohésion sociale ou nationale, le bon emploi des équipements publics... Or historiquement, les principes étaient tournés vers la satisfaction des usagers et ils perdent de leur pertinence lorsqu'ils sont tournés - ou détournés - vers d'autres fins, comme on le mesure par exemple avec les mécanismes de péréquation tarifaire qui rompent l'égalité entre usagers puisque la même prestation leur est facturée à des prix très différents.

La troisième est que ces principes exprimaient une vision non marchande du service public. Or les contraintes financières, la régression des monopoles et la concurrence à laquelle les services publics sont de plus en plus confrontés (soit entre eux, soit avec des entreprises privées) perturbent cette vision.

Ce n'est pas dire qu'il serait devenu inévitable de renoncer aux principes. Mais il convient de s'interroger, dans chaque cas, sur la « dose » d'égalité, de continuité et d'adaptation (et de respect d'autres principes) que requiert le régime de la mission de service public considérée. C'est d'ailleurs ce que suggère, à propos des réseaux, le rapport précité de Renaud Denoix de Saint Marc (p. 70 et ss.), lorsqu'il écrit qu'« une interprétation adéquate du principe de continuité doit être retenue pour chaque service » ou que « le principe d'égalité peut être différemment interprété selon les activités ».



La pression communautaire


La théorie du « bloc » des trois principes est irrecevable en droit communautaire, en tout cas pour faire échapper le service public à la vision pragmatique et à l'approche concurrentielle qu'en a ce droit. Le texte même de l'article 37 du traité CEE, celui des articles 85, 86 et 90, et l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice ne permettent plus de soutenir que tous les services publics seraient nécessairement soumis à ces principes, ou, plus exactement, que leur soumission devrait les soustraire à la concurrence. Or, dès qu'une entreprise privée fournit les mêmes prestations qu'un service public sans être tenue aux mêmes contraintes de fonctionnement, il devient économiquement très difficile à ce dernier de survivre.

C'est l'un des points principaux de friction entre la conception française du service public et la notion communautaire de service d'intérêt économique général
(30).

Il faut donc « faire la part du feu ». Cela ne devrait pas être très difficile car l'Union a fait elle-même des pas importants vers la conception française
(31).

Dans sa décision
Paul Corbeau
(32), la CJCE admet le principe d'un équilibre entre les contraintes qui pèsent sur un service d'intérêt économique général et les droits exclusifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission. Elle a été plus nette encore dans sa décision Commune d'Almelo (33) : après avoir relevé que le producteur d'électricité en cause était tenu de fournir de l'énergie de manière continue sur tout le territoire desservi à des tarifs uniformes et à des « conditions qui ne peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients », elle ajoute que « des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs doivent être admises, dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci ». C'est aux juridictions nationales qu'il revient de mettre en oeuvre ces orientations jurisprudentielles, dont le caractère nouveau a été immédiatement souligné(34).

Elles sont en effet importantes : elles reconnaissent que les contraintes de fonctionnement véritablement nécessaires à l'accomplissement des missions de service public peuvent justifier l'octroi d'avantages aussi contraires à la concurrence qu'un monopole ; elles donnent ainsi à ces contraintes une portée nouvelle en droit communautaire. La Cour établit entre obligations de fonctionnement et prérogatives de puissance publique une liaison que la jurisprudence française a eu l'imprudence de distendre (v. plus haut). Mais elle se garde de raisonner en bloc : c'est à une analyse au cas par cas qu'elle invite la juridiction nationale compétente.

La Commission s'engage elle aussi dans une « approche différenciée », qui distingue un « noyau dur » de services publics, désormais baptisé « service universel » et les services d'intérêt économique général (communication du 26 septembre 1996, préc.). Son propos n'est pas d'une clarté parfaite mais le sens en est celui-ci : les principes ont vocation à s'appliquer au premier de manière privilégiée mais évolutive
(35) et non uniforme ; leur application aux seconds est envisagée avec plus de réserve puisqu'elle dépend d'une règle de proportionnalité entre obligations et missions d'intérêt général, qui permet seule de soustraire, en tant que de besoin, ces services aux règles de la concurrence qu'ils doivent en principe respecter.

Le « rapport Borotra » précité va dans le même sens, qui, après avoir plaidé « pour une restauration de certains principes fondamentaux » (p. 42 et ss.), conseille « une évolution différenciée en fonction de la situation de chaque entreprise » (p. 48 et ss.).

Il semble donc que l'on s'achemine vers une sorte de compromis implicite (qui pourrait être inscrit dans le traité après la prochaine conférence intergouvernementale) : la France renoncerait à la présentation traditionnelle des « lois de Rolland » et admettrait qu'elles ne s'appliquent pas dans les mêmes termes et en permanence à tous les services publics ; l'Union européenne verrait en elles des règles de fonctionnement indispensables à l'efficacité de quelques services publics, dont les exigences - variables selon les cas et réexaminées régulièrement - justifieraient l'octroi des droits exclusifs ou spéciaux réellement nécessaires à la satisfaction de l'intérêt général.

Conclure est difficile car nous nous trouvons au milieu d'une évolution inachevée. Les lignes qui précèdent ont montré des tendances contradictoires. La première confirme l'attachement de notre pays à la conception traditionnelle des « lois de Rolland ». Claire, simple, monolithique, elle repose toujours sur de solides justifications tirées d'aspirations sociales légitimes. Les tentatives actuelles pour enrichir la liste des principes montrent que nous ne renonçons pas à une vision globale des services publics.

Mais cet effort de dépassement des « lois de Rolland » révèle aussi une prise de conscience : la vision traditionnelle n'est plus satisfaisante. Une deuxième tendance est à l'oeuvre qui, d'une part, disloque le bloc qu'elles formaient et, d'autre part, affaiblit la portée de chacune d'elles.

Reconstituer ce bloc serait sans doute vain car il correspond à une conception du service public menacée par l'évolution nationale et peu compatible avec le droit communautaire. Renoncer à la continuité, à l'égalité et à l'adaptation continue serait abandonner toute ambition de service public et constituerait une régression inadmissible.

Il serait donc plus sage de faire le pari de la diversité : maintenir les principes dans la mesure où ils sont véritablement indispensables à la satisfaction de l'intérêt général... et le reconnaître publiquement ; accepter leur érosion ou leur mise à l'écart là où leur affirmation n'est plus qu'incantatoire en l'état actuel des choses.

Il faudra aller plus loin : le service public constitue-t-il encore le mode le plus adapté pour obéir aux « lois de Rolland » dans les domaines où il est toujours nécessaire de les respecter ? Répondre dépasserait le cadre de cette étude. On se bornera à exprimer une conviction : le nécessaire renouveau
(36) du service public suppose que l'on en refonde la légitimité. Cette dernière ne peut plus résider dans la seule invocation de l'intérêt général ; il faut encore démontrer que le service public satisfait cet intérêt général mieux que l'initiative privée, à conditions économiques comparables.


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