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1 Qu’est-ce que

le travail

de proximité ?



Définir le travail de proximité




Définir le travail de proximité est une tâche plus complexe qu’il ne semble au premier abord. Les activités de proximité dans le domaine des drogues ayant souvent été dirigées vers les populations d’usagers de drogues ‘difficiles à atteindre’ ou ‘cachées’, qui ne sont pas touchées par les services de soins existants pour toxicomanes, on peut en déduire :

  • qu’il existe des populations cachées d’usagers de drogues qui n’ont pas accès aux services pour toxicomanes ;

  • que contacter ces populations difficiles à atteindre pourrait résoudre certains problèmes.

Ces populations ne demandent pas directement le contact, bien que l’expérience montre que les usagers de drogues souhaitent le contact s’il est fait de manière compatible avec leurs modes de vie (Rhodes et al ., 1991a). Ce qui caractéristique de façon spécifique le travail de proximité est que les professionnels, les pairs ou les bénévoles prennent contact avec les usagers de drogues principalement dans leur milieu naturel – dans la rue, chez eux ou dans tout autre endroit où ils se trouvent.

Ce point est également au centre de la définition du travail de proximité, proposée par Hartnoll et al. (1990) :

Une activité dirigée vers les communautés locales, qui vise à entrer en contact avec des personnes ou des groupes issus de populations particulièrement ciblées qui ne sont pas efficacement contactés ou atteints par les services existants ou par les circuits traditionnels d’éducation pour la santé.

Cette définition révèle les origines du travail de proximité. Contacter activement les usagers ‘là-bas’ a été l’une des réponses qui a permis de prendre conscience des limites et des contraintes des services existants, plus conventionnels, destinés aux usagers de drogues. Ce n’est cependant pas toujours une tâche facile. En plus de beaucoup d’autres critiques, les activités de proximité ont été ressenties comme une menace à l’égard des services de soins existants pour les usagers de drogues. (Jacob, 1997).

La définition de Hartnoll et al. montre aussi clairement, par omission, que le travail de proximité ne se réfère à aucune méthode de travail spécifique, ni à aucun type spécifique d’organisme ou d’intervenant. Il peut répondre à des objectifs variés, et des formes d’activités très différentes se reconnaissent sous cette appellation. Cette diversité est aussi la caractéristique du travail de proximité et cela explique pourquoi il est si difficile de l’identifier ou de le définir.

Le travail de proximité prend des formes diverses (Stimson et al., 1994 ; Rhodes, 1994b), dont le travail de rue et le travail en institutions, souvent cités car ils sont les plus pratiqués, bien que la répartition de ces différentes formes de travail varie d’un projet à l’autre. Le travail de rue, souvent dirigé vers des personnes ou des groupes, se fait en dehors du cadre d’un local, avec une équipe qui travaille là où sont les usagers, par exemple dans les rues, les cafés, les gares et les squats. On peut également identifier des formes de travail de proximité proposant des services au domicile des usagers, lorsque les intervenants travaillent directement chez les personnes, tout comme on peut en trouver des formes dans le développement local, lorsque le travail des intervenants s’effectue directement à ce niveau.

Le travail en institutions est dirigé davantage vers des organismes que vers des personnes, les équipes de proximité travaillant dans des associations et des institutions locales comme les prisons, les lieux d’hébergement, les clubs de jeunes et les écoles. En plus du contact avec les usagers individuels de ces lieux, leur objectif est de diffuser une information sur les problèmes de drogues et sur les services mis à leur disposition et auxquels ils peuvent s’adresser.

Le travail de rue semble être la forme la plus courante en Europe, même s’il est encore peu pratiqué dans certains pays. Dans la plupart des pays, le travail en institutions et au domicile des usagers est rare (voir Tableau 1, ci-dessous).

On peut cependant se demander si la définition de Hartnoll et al., qui donne une explication générale du travail de proximité, est adaptée aux formes plus récentes de ce travail dirigées vers les drogues de synthèse et dans les ‘raves’. Mais en ce qui concerne les drogues ‘classiques’, cette définition recouvre largement le travail de proximité.
Tableau 1 : les méthodes du travail de proximité en Europe
PAYS
MÉTHODES PRATIQUÉES PAR LE TRAVAIL DE PROXIMITÉ

travail de rue

a domicile
en institutions

Allemagne

parfois

rarement

régulièrement

Autriche

fréquemment




parfois

Belgique Flamande

régulièrement

non pratiqué

rarement

Francophone

parfois

rarement

rarement

Danemark

fréquemment

fréquemment

rarement

Espagne

régulièrement

non pratiqué

rarement

Finlande




non pratiqué

rarement

France

fréquemment/parfois

non pratiqué

fréquemment/rarement

Grande-Bretagne

fréquemment

fréquemment

fréquemment

Grèce

rarement

non pratiqué

rarement

Irlande

fréquemment

rarement

parfois

Italie

régulièrement







Luxembourg

pas d’information disponible

Norvège

fréquemment

rarement

régulièrement

Pays-Bas

fréquemment

parfois

régulièrement

Portugal

rarement

non pratiqué

parfois

Suède

pas d’information disponible

La dimension europeenne



Trouver des équivalences linguistiques - après avoir obtenu un consensus sur un certain nombre de mots-clés – est actuellement l’une des questions centrales qui se pose aux chercheurs sur les drogues, dans toute l’Europe (ISDD, 1997). Les différences linguistiques ne sont pas simplement une façon d’utiliser des mots différents pour le même concept, mais elles sont également le reflet de variations sociales et culturelles au niveau régional, national et international. Dans le glossaire qui se trouve à la fin de cet ouvrage sont présentés quelques équivalents linguistiques de la terminologie professionnelle et technique appartenant au travail de proximité, ainsi que les concepts clés du langage habituel des usagers de drogues.

Les définitions du travail de proximité proviennent principalement de sources anglaises ou nord-américaines, et par conséquent anglophones, alors que des termes différents sont utilisés dans les autres langues. C’est le cas non seulement pour le terme d’‘outreach work’4, mais aussi plus largement pour son contexte conceptuel qui va du vocabulaire théorique au langage commun. Même ce qu’on veut dire par le mot ‘drogue’ peut varier d’un pays à l’autre. Le terme français de boutique, par exemple, pour décrire un service de proximité qui offre un accueil à bas-seuil, a une résonance très différente dans une oreille anglo-saxonne. Il est intéressant de noter que le mot Fixer, largement employé en Allemagne pour désigner les usagers injecteurs, n’est pas du tout utilisé en Grande-Bretagne, sauf pour parler de la personne qui arrange les deals.

Ni le terme anglais d’‘outreach’, ni les équivalents des autres langues ne sont couramment utilisés en Europe (voir Glossaire), bien qu’ils figurent souvent dans la littérature savante internationale. Et les mentions sporadiques de l’expression ‘outreach work’, qu’on peut trouver dans des documents politiques en dehors de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, ne sont pas toujours conformes à la lette de ce concept5.

Le ‘bas-seuil’ est un concept fortement lié au travail de proximité et qui se réfère aux services qui ont tenté d’enlever les ‘seuils’ traditionnels – comme les procédures d’admission, les interviews de diagnostic ou les listes d’attente – pour permettre un accès plus facile à leur public. Dans ce contexte, on n’appelle plus les ‘clients’ des ‘patients’, et parfois même pas des ‘clients’, mais des ‘usagers’ ou des ‘visiteurs’. Beaucoup d’intervenants travaillent à partir d’une institution à bas-seuil, un centre d’accueil par exemple, qui est leur base. Pourtant, malgré ce lien fort, le travail de proximité et le travail à bas-seuil restent des concepts différents : les usagers de drogues devant venir jusqu’aux services à bas seuil, alors que les intervenants de proximité vont vers les usagers de drogues.

Le contexte historique




Bien qu’on trouve quelques expériences de travail de proximité dans beaucoup de pays d’Europe (Grund et al., 1992), on en est encore, dans le domaine des drogues, aux premières étapes d’un vrai travail de proximité, organisé comme stratégie de travail systématique. Ce type de travail a pourtant débuté longtemps avant qu’on l’applique aux usagers de drogues.

C’est aux Etats-Unis que des organisations comme l’Armée du Salut ou des services sociaux de la fin du 19ème siècle ont commencé un travail de proximité auprès de certains groupes (Hazekamp, 1976). Ces organismes veulent soulager les épreuves des pauvres qui sont souvent des populations immigrées.

Après la seconde guerre mondiale, le travail de proximité se développe en direction des jeunes. Aux Etats-Unis, on a commencé à s’intéresser aux jeunes avec la montée d’une inquiétude à propos des jeunes ‘déviants’, en particulier les bandes dont les modes de vie sont considérés comme un problème social majeur. Le travail social et les sciences sociales appliquées se sont vus alors assigner le rôle central de corriger ces modes de vie ‘déviants’. Bien que le contexte socio-économique des bandes de jeunes était connu, on ne pensait pas alors à s’attaquer à changer ces facteurs, mais l’objectif des interventions consistait à corriger le comportement individuel (Hazekamp, 1976). Ainsi aux Etats-Unis, ce genre de travail de proximité s’est développé dans le cadre d’une forte tradition de travail social et de sciences sociales appliquées – déjà bien développée là-bas avant la seconde guerre mondiale, contrairement à la plupart des pays européens.

En Europe, c’est d’abord en Grande-Bretagne qu’après-guerre des services de proximité commencent à s’intéresser aux jeunes. Comme d’autres pays d’Europe, la Grande-Bretagne entreprenait une phase de reconstruction et, dans les années 50, la première ‘génération de la guerre’ entrait en grand nombre dans l’adolescence avec une culture perçue comme très différente de celle des générations précédentes. Une ‘culture des jeunes’ spécifique surgit, avec un mode de vie particulier, surtout chez les jeunes de la classe ouvrière, et commence à inquiéter le monde politique anglais. Le fossé qui sépare les services traditionnels pour la jeunesse et les jeunes eux-mêmes est ressenti comme une source potentielle d’instabilité sociale car les nouveaux modes de vie remettent en question les normes et valeurs traditionnelles. Les activités de proximité ont été introduites pour entrer en contact avec les jeunes ‘indépendants’ ou livrés à eux-mêmes (Spencer, 1950 ; Morse, 1965), pour se faire une idée de leurs difficultés sociales et les aider à rejoindre les services traditionnels pour les jeunes.

En France, les activités de proximité ont aussi commencé peu après la guerre, dans le cadre de la prévention spécialisée, pour venir en aide aux mineurs. Ce sont à l’origine des initiatives privées, le travail étant reconnu et financé par l’Etat à partir de 1963 (voir aussi Chapitre 7). Un décret officiel a confirmé cette reconnaissance et défini les tâches et le mode d’organisation et de financement du travail de proximité. L’objectif était de rencontrer les jeunes dans leur environnement propre, sans avoir recours à des mesures judiciaires ou administratives. Les interventions devaient respecter l’anonymat des personnes et obtenir leur consentement (Monier, 1982).

Des préoccupations semblables sont apparues dans d’autres pays, y compris l’ancienne Allemagne de l’Ouest (Schelsky, 1958) et les Pays-Bas, mais à cette époque, elles n’ont abouti à aucune réorganisation des services pour la jeunesse, ni à des interventions spécifiques de proximité (Hazekamp, 1976). Le développement ultérieur d’activités de proximité auprès des jeunes dans l’Europe de l’ouest, en Belgique, en Allemagne (Jugendarbeit), aux Pays-Bas et en Norvège (Svensson, 1994) ne s’est pas produit avant l’époque ‘hippie’ du milieu des années 60.

Alors que les troubles sociaux des années 50 et du début des années 60 avaient été attribués aux jeunes des classes populaires, la nouvelle remise en question était endossée par d’autres classes sociales, et les jeunes étudiants, voire même des intellectuels, jouent un rôle primordial dans la nouvelle culture de la jeunesse hippie qui participe à des expériences de drogues comme le cannabis et le LSD. Des éducateurs vont dans la rue pour entrer en contact avec les jeunes en général et les plus révoltés. Bien que la consommation de drogue n’était pas un phénomène nouveau en soi, c’est alors devenu plus qu’un problème, touchant différentes classes sociales, et à une échelle sans précédent (Korf, 1995). Ces événements ont provoqué diverses initiatives de proximité auprès des jeunes. De la fin des années 60 au milieu des années 70, ces initiatives se sont progressivement tournées vers les jeunes usagers de drogues.

Dans les années 60 en Angleterre, on a d’abord entrepris des activités de proximité pour prêcher l’abstinence de drogues. Ce sont des hommes politiques ou bien des professionnels de la jeunesse et des éducateurs qui sont à l’origine de la plupart de ces expériences. Dans d’autres pays, le travail de proximité s’est développé à partir d’associations de bénévoles, où les contraintes bureaucratiques étaient moins fortes. La flexibilité, l’accessibilité et l’adaptation étaient les caractéristiques-clés des innovations de ces organisations non-gouvernementales (ONG). En Belgique, la loi de 1975 sur le contrôle de l’abus de drogue et la mise en place de services spécialisés ont renforcé le rôle du secteur associatif où ces tâches ont été adoptées comme l’une des activités essentielles.

Aux Pays-Bas le modèle était différent. Il est intéressant de noter que les éléments catalyseurs n’ont pas été les hommes politiques ou le milieu des éducateurs ; ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont organisé des formes alternatives d’aide. Le travail de terrain auprès des usagers de drogues a été l’une de ces initiatives. A la même époque, les éducateurs et les hommes politiques ont pris conscience des difficultés rencontrées par les jeunes de la classe ouvrière et de la pauvreté des services sociaux et des activités de loisirs mis à leur disposition.

Le développement rapide de la consommation d’héroïne dans beaucoup de pays européens, à partir des années 70, a apporté des difficultés supplémentaires, dont l’émergence de ce qu’on appelle le ‘problème’ de la drogue. A l’époque, l’avis de la majorité était de criminaliser les usagers et de leur proposer des services de soins basés sur l’abstinence et sur un modèle médical de traitement de l’addiction. Les activités de proximité auprès des usagers de drogues étaient encore rares, sauf aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, la conscience croissante que peu d’usagers de drogues étaient pris en charge par les services de soins a amené la création de projets de proximité destinés à capter les usagers pour les diriger vers les services (Gilman, 1992). A Amsterdam, des approches de substitution se sont développées en même temps que des services de soins et de traitement. Les praticiens de la substitution critiquaient les services conventionnels sur leur seuil élevé d’accueil et leur choix ‘irréaliste’ d’abstinence totale pour tous. Plus que tout, on estimait que les services traditionnels étaient organisés d’en haut et pas très faciles d’accès, ne joignant qu’un faible pourcentage des consommateurs6. En attendant, plusieurs aspects de la santé publique, dont la consommation de drogues, avaient acquis une place plus importante dans l’agenda politique. L’ensemble de ces évolutions a inspiré plus ou moins directement des tentatives de travail de proximité qui avaient tendance à mettre en œuvre des méthodes moins conventionnelles et sans conditions.

Dans les années 80, l’épidémie du sida et la notion de réduction des risques qui l’a suivie ont accéléré le développement des activités de proximité dans beaucoup de pays européens, bien qu’à des degrés divers et avec des motivations différentes. Le sida s’est révélé être un puissant moteur de changement dans l’approche des usagers de drogues, amenant à mettre davantage l’accent sur les questions de santé publique, sur les méthodes pour changer les comportements des usagers et sur la nécessité de toucher des groupes plus larges d’usagers et d’atteindre les populations cachées. Les objectifs du travail de proximité se sont étendus et incluent désormais les pratiques d’injection à risques (particulièrement par l’échange de seringues) et les pratiques sexuelles à risques7. Certains pays, les Pays-Bas en particulier et la Grande-Bretagne dans une moindre mesure, ont démarré un travail de proximité avec des infrastructures déjà établies, alors que d’autres pays ont eu à faire cette mise en place.

Si les activités de proximité se sont répandues rapidement à travers l’Europe, elles restent inégalement réparties et subissent souvent des contraintes importantes, comme c’est le cas en France par exemple (Jacob, 1997) où les politiques de santé continuent à venir d’en haut.

Les activités de proximité subissent en général l’influence des services existants pour les jeunes et celle des politiques de drogue en cours. Dans les pays qui ont une approche pragmatique des drogues, comme le Danemark et les Pays-Bas (Moerkerk & Aggleton, 1990), les activités de proximité ont démarré plus facilement que dans les pays où dominait une approche plus biomédicale, comme en Belgique, France, Grèce, Italie et Espagne (voir aussi au Chapitre 7). Les pays décrits par Moerkerk & Aggleton comme ayant une approche plus politique, comme l’Allemagne, l’Irlande et la Grande-Bretagne, sont entre les deux.

Stimson et al. (1994) ont affirmé que le travail de proximité a atteint un sommet dans l’innovation à la fin des années 80 et au début des années 90, dans la plupart des pays de l’Europe de l’ouest. C’est alors seulement qu’une culture de l’assistance par la proximité se développe peu à peu dans le domaine des drogues. Les groupes d’autosupport et de proximité ont aussi commencé à entreprendre des activités de réduction des risques dans le domaine de la consommation des drogues de synthèse, bien que ce ne soit pas encore à large échelle.

Dans des contextes informels, le travail de proximité recouvre plus que les drogues seules et s’étend plus largement à ce qui concerne les jeunes (Gregory (ed.), 1995). Quelques initiatives mobiles notables se sont développées, comme le travail de rue auprès des jeunes usagers de drogues sans emploi et délinquants. Un travail de rue et un travail communautaire ont été menés auprès de leaders informels de groupes, dans l’environnement et les lieux de vie des usagers (Eisenbach-Stangl, 1994 ; Specht, 1991 ; Villalbi, 1997).

Les services de proximité doivent relever aujourd’hui un nouveau défi en coopérant avec les autres services de prévention et de soins et avec les différentes autorités publiques, et particulièrement les instances judiciaires, celles du travail social et de la santé, car le contexte dans lequel se développe le travail de proximité diffère tout à fait de celui des années 80. De plus, les activités de proximité sont en train de se professionnaliser, comme on peut le déceler dans la nature de la relation qui s’établit entre l’intervenant et l’usager de drogues. Dans certains pays, cette relation semble s’établir sur la base d’une sorte de ‘contrat’ : d’un côté, en mettant davantage l’accent sur le développement local, les activités de proximité tendent à s’intégrer davantage là où elles travaillent, y compris en coopérant avec le voisinage ; d’un autre côté, on donne aussi plus d’importance à la loi et à l’ordre, au contrôle des nuisances (par exemple en Belgique, en France et aux Pays-Bas) et on s’oriente davantage vers l’abstinence, ce qui peut parfois masquer les objectifs de départ de beaucoup d’activités de proximité. En Belgique, par exemple, le secteur associatif a des difficultés croissantes à faire respecter les droits des usagers, à cause des contrôles de plus en plus étroits sur leurs activités.

L’intérêt scientifique du travail de proximité



Les rapports entre la pratique et la recherche sont complexes et difficiles à discerner. Dans une certaine mesure, les services de proximité ont eu une approche empirique empruntée çà et là et qui a amené divers modèles de travail de rue. Les approches du travail de proximité sont issues du terrain, même si certains éléments théoriques peuvent provenir de l’enseignement et de la recherche. L’essentiel s’est constitué à partir d’une compréhension empirique de ce qui peut réussir ou non dans un cadre local. On pourrait en déduire que les modèles théoriques ont pris naissance dans la pratique actuelle. Il peut cependant s’agir de développements sociaux parallèles, relativement autonomes. Même s’il ne faut pas surestimer l’influence de la recherche scientifique sur le travail de proximité qui est un concept tout à fait pragmatique, cela ne s’est pas fait sans raisons philosophiques bien définies. Les travaux scientifiques ont néanmoins contribué à ce que le travail de proximité soit ce qu’on en connaît aujourd’hui, et la recherche sur les pratiques de proximité se développe encore. C’est particulièrement le cas de ce qu’on appelle les projets de recherche-action où coexistent dans des projets pilotes des activités de proximité et de la recherche empirique.

Le travail de proximité a reçu l’influence de plusieurs disciplines différentes et a été étudié dans le domaine du travail social et du travail auprès des jeunes, à la fois au niveau micro (psychologique) et macro (sociologique et anthropologique). En tant qu’objet d’intérêt scientifique, le travail de proximité remonte au début des années 50. Il n’est pas surprenant que cet intérêt ait débuté aux Etats-Unis où ont été publiés les premiers travaux de recherche sur les jeunes et le travail de proximité. Des disciplines comme la sociologie et l’anthropologie étaient déjà mieux installées aux Etats-Unis avant la seconde guerre mondiale que dans la plupart des pays d’Europe. Des sociologues en particulier, avec le modèle fonctionnaliste dominant, ont commencé à s’intéresser aux comportements des jeunes déviants dans l’intention de concevoir des projets destinés à ‘corriger’ ce comportement (Hazekamp, 1976). A partir des années 60, l’intérêt de la recherche s’est élargi, en partie sous l’influence des critiques du fonctionnalisme. Le nombre de disciplines concernées par le travail de proximité s’est multiplié, les modèles et les méthodes utilisés se sont diversifiés et de nouveaux groupes cibles ont été définis. La mobilité croissante des idées entre les Etats-Unis et l’Europe, et réciproquement, a permis qu’elles se diffusent largement.

A partir des années 60, les sciences sociales se sont aussi développées en Europe. Des modèles et des notions variés ont été proposés comme alternatives à ceux des fonctionnalistes ; ils ont été appliqués non seulement aux problèmes de la jeunesse mais aussi à des groupes comme les malades mentaux (avec le mouvement de l’antipsychiatrie). Ces idées sont arrivées au moment où les subcultures et les contre-cultures des jeunes apparaissaient, bousculant les frontières des classes sociales8. On a commencé à explorer la ‘déviance’ sociale selon des angles différents, et on a porté un regard nouveau sur l’exclusion des groupes qui avaient peu ou pas d’accès à la santé et aux services sociaux. L’anthropologie culturelle a montré la nécessité de comprendre les particularités des subcultures pour expliquer les modèles des comportements de groupe. La perspective anthropologique était centrale, par exemple pour l’étude des premiers services de proximité auprès des jeunes en Scandinavie dans les années 60 et 70 (Svensson, 1994). En même temps, la recherche de psychologie sociale sur l’interaction des pairs et sur les pairs comme modèles de rôle a aussi influencé le travail de proximité (Milburn, 1996). Les études épidémiologiques et ethnographiques centrées spécifiquement sur les usagers de drogues sont cependant restées plutôt insuffisantes, principalement cliniques dans leur nature et centrées sur les populations en traitement jusqu’au début de l’épidémie du sida.

Le sida a permis que les usagers de drogues, et le travail de proximité qui les concerne, deviennent objets de recherche sociale. A côté des disciplines citées ci-dessus, la santé publique et l’éducation à la santé ont été mises sur la scène centrale9. Ainsi les idées de changer les comportements et de faire de la prévention commencent à influencer le travail de proximité et réciproquement. Ces idées ont été nourries de nouvelles explications sur d’autres types de comportements de prises de risques pour la santé, comme le tabac, l’alcool ou les grossesses des adolescentes (Skinner, 1992). La prévention du sida a aussi été influencée par les théories sociologiques développées par l’Ecole de Chicago (Wiebel, 1988) et par la prise de conscience du rôle de l’éducation sexuelle sur la santé. On a pu observer un changement important dans la théorie du travail social, pour sortir du travail traditionnel orienté sur l’individu considéré comme un ‘cas’, vers un travail communautaire et une mobilisation des groupes de clients et des minorités.

Le problème de la drogue en Europe a d’abord été associé à l’héroïne (et plus récemment à la polyconsommation de drogues) parce que l’héroïne est, bien plus que les autres drogues, associée au VIH et au sida, à la mortalité et aux problèmes sociaux et de santé publique. Des stratégies de prévention se sont développées dans tous les Etats-membres de l’Union Européenne, bien qu’à des degrés divers et à des moments différents. La demande d’approches alternatives à la consommation de drogues illicites s’est renforcée avec la prise de conscience que les anciennes approches, qui s’appuient sur des traitements par l’abstinence (modèle de l’addiction comme maladie) et sur le contrôle (par l’application de la loi et la criminalisation des usagers), étaient absolument inadaptés, alors que les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de ces approches continuaient à se développer. Ces approches alternatives sont en général regroupées sous le concept de réduction des risques (voir Chapitre 2). L’approche de la réduction des risques prend source dans les concepts de santé publique et d’éducation à la santé, mais touche aussi à tous les aspects de la consommation illicite de drogues. Le modèle de la réduction des risques a puisé dans la sociologie de la déviance (Young, 1976) et dans la pratique du travail social auprès des jeunes, développé d’abord à New York, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne dans les années 60. La réduction des risques comme philosophie de base se trouve aujourd’hui au cœur de beaucoup d’activités de proximité.

Pour étudier les recherches scientifiques qui ont influencé le travail de proximité, la distinction de Longshore peut être très utile (Riper et al., 1995). Au début de l’épidémie du sida, on s’est fortement tourné vers la pratique de l’échange des seringues chez les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI). Des recherches sur des échantillons ont été menées, surtout dans des lieux de soins cliniques, des centres de désintoxication et des services judiciaires car ces sites permettent un accès facile à la population des UDVI. Longshore (1992) leur a donné le nom de ‘recherches de la première génération’. Avec l’évolution de l’épidémie et le développement de la connaissance et de l’expérience, on a observé une évolution dans les sujets abordés et les méthodes de recherche utilisées, résumés par Longshore comme ‘ les recherches de la seconde génération’. On s’est intéressé davantage à l’idée que les comportements d’injection (et les comportements sexuels) – et leur évolution – sont influencés par les modes de vie individuels, sociaux et par le groupe dans lequel ces comportements ont lieu.

Des notions semblables se retrouvent dans les théories sur l’éducation par les pairs (bien que ces dernières sont probablement moins développées que celles qui concernent le travail de proximité). Les recherches sur le soutien des pairs et les stratégies de survie des usagers de drogues (Power et al., 1992) ont montré que l’intérêt porté aux conditions de vie et à la survie dans les subcultures facilite l’accès aux réseaux d’usagers de drogues pour les influencer, plutôt que des approches qui utilisent surtout des méthodes d’éducation des jeunes à la santé. Il semblerait cependant que les usagers de drogues soient davantage ouverts à l’influence sélective des pairs en ce qui concerne certaines pratiques que pour d’autres10.

La complexité et la diversité de la population définie comme UDVI, la variété des lieux où vivent ces usagers de drogues et les conséquences de ces facteurs sur les stratégies de prévention ont ainsi été mises au premier plan des recherches sur le travail de proximité. L’accent est mis désormais sur les ‘populations cachées’, définies comme des usagers de drogues qui ne sont pas en contact avec les services spécialisés. Pouvoir mieux atteindre ces populations cachées semble un moyen puissant de diffusion des messages de prévention (Franken et Meulders, 1994). Cependant, le nombre d’UDVI en contact avec des institutions socio-sanitaires varie fortement selon les Etats-membres.

Cela a aussi des conséquences sur le travail de proximité. Les services à bas seuil permettent de rejoindre davantage les ‘populations cachées’ et de les diriger éventuellement vers les services spécialisés. Dans ce contexte, le travail de proximité peut même être moins important (bien que toujours nécessaire) si un grand nombre d’usagers des populations cachées sont en contact avec des services à bas seuil. Mais là où il y a peu ou pas de services de ce genre, l’accès ou le contact avec les populations cachées est au contraire plus difficile et le travail de proximité devient d’autant plus urgent.

L’intérêt porté aux populations cachées a aussi inspiré un certain nombre de méthodes de recherche (comme les échantillons ciblés ou les échantillons par ‘boule de neige’, l’association de méthodes quantitatives et ethnographiques).

Il faut noter que le passage des recherches de la première génération à celles de la seconde ne s’est pas fait aussi vite, ni au même moment, ni de la même façon dans tous les Etats-membres. Dans des pays comme les Pays-Bas et la Grande-Bretagne par exemple, où le travail de proximité a été introduit dès le début de l’épidémie du sida, ou même avant, il n’est pas surprenant d’observer que l’évolution s’est produite plus tôt que dans les pays où le travail de proximité s’est développé plus tard, comme en Irlande ou au Portugal. La culture scientifique de chaque pays joue aussi un rôle important. Il y a par exemple une forte tradition empirique aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, alors que la France a une plus forte tendance à la théorie.

Aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe, des interventions directes de proximité se sont justifiées, ou même déguisées en projets pilotes de recherche pour appliquer des mesures qui ont été mises en priorité ailleurs comme urgence pour la prévention du sida. Il y a eu une interaction dynamique entre les projets pilote de recherche utilisant des méthodes ethnographiques et le travail de proximité mené par des professionnels et des travailleurs issus du terrain. Le monde du travail social et celui de la recherche, par exemple, se sont montrés indispensables pour développer des passerelles entre les services spécialisés et les minorités marginalisées qui nécessitent une médiation et des interventions de proximité (Broadhead et Margolis, 1993).

Dans certains cas, la recherche a servi à justifier des interventions qu’on n’aurait pas acceptées à ce moment-là en tant que politiques publiques de l’Etat (Boullenger et al., 1992 ; Jacques et Goosdeel, 1990). Kinable (1994) a décrit comment, dans une étude belge sur la rue, un travail considérable avait dû être fait pour convaincre les usagers de drogues qu’il n’y avait pas, derrière l’étude, de stratégie clandestine de surveillance policière par exemple. En France, des projets de recherche-action dans ce domaine, selon les principes généraux du travail de rue auprès des jeunes, ont même été perturbés par des interventions policières. Il n’est donc pas étonnant que l’accent ait été fortement porté sur l’anonymat dans les textes français sur le travail de proximité (par ex., Barraud, 1994).

Pour conclure, les thèmes et les applications du travail de proximité et du travail de rue sont issus d’un certain nombre de traditions – l’empirisme anglo-saxon, les approches néerlandaises de santé publique, l’ethnographie française et la sociologie nord-américaine – ainsi que d’études anthropologiques. En France, un lien dynamique entre l’ethnologie et la sociologie a commencé à se développer de façon relativement limitée (Ehrenberg (ed.), 1992). L’ethnologie a évolué de l’étude des sociétés traditionnelles dans des lieux exotiques à l’étude des sociétés industrielles et postindustrielles. Les textes de la littérature interactionniste et ethnométhodologique et ceux des interprétations anglaises de la sociologie de la déviance ont ensuite enrichi ces débats (Foote, 1943 ; Becker, 1963 ; Glaser et Strauss, 1967 ; Young, 1976). Les recherches des universités de Barcelone et Madrid sur les histoires de vie et sur l’ethnographie ont influencé la pensée méditerranéenne sur l’interaction communautaire. Cela se ressent en particulier dans les interventions de proximité de Barcelone, Madrid et Séville. Au début des années 90, des centres d’intérêts semblables sont apparus aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne.

Les travaux de proximité plus récents sur les drogues de synthèse et les ‘raves’ ont également intégré les expériences de la contre-culture des années 60 et 70, la théorie situationniste de Guy Debord et la pensée post-moderne plus récente (Debord, 1983 ; EMCDDA, 1997)11. Cependant, aucun modèle théorique ou conceptuel unique ne peut être déterminé comme étant à la source de la pratique de proximité sur les ‘nouvelles’ drogues, et il y a de plus des recoupements importants entre les modèles.

Conclusion



La pratique du travail de proximité a évolué d’une façon considérable dans le temps, pour ce qui est des objectifs définis, des groupes cibles et des acteurs investis. En conclusion :

  • des ressemblances et des différences existent entre les Etats-membres de l’Union Européenne ;

  • le travail de proximité a une tradition plus ancienne aux Etats-Unis qu’en Europe ;

  • les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ont, en moins de trente ans, établi une tradition de proximité spécifiquement adaptée aux usagers de drogues ;

  • un même modèle se retrouve dans la recherche scientifique, avec un glissement progressif pour se centrer, des pauvres en général, sur les jeunes les plus démunis, les jeunes de la génération hippie, puis les usagers de drogues au début de l’épidémie du sida ;

  • l’intérêt porté aux usagers de ce qu’on appelle les ‘nouvelles’ drogues dans les raves et les soirées a élargi la portée et les méthodes du travail de proximité – ce modèle présente cependant de nombreuses différences selon les pays, par exemple en ce qui concerne les lieux et la vitesse avec laquelle le travail de proximité a démarré ;

  • à la fois en Europe et aux Etats-Unis, les interventions de proximité ont été influencées ou initiées par des projets de recherche-action.


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