Le langage de l’éducation inclusive «[…] la façon dont on comprend le monde, qu’on y agit et qu’on y réagit, dépend de la façon dont on le catégorise. […] La catégorisation est une chose que nous faisons, en parlant, de façon à accomplir des actions sociales.» (Edwards, 1991, 515-517)
La pragmatique est un domaine de la linguistique qui envisage le langage sous l’angle de son utilisation dans un contexte donné. De ce point de vue, la signification d’un mot renvoie à son utilisation pratique. Le philosophe Ludwig Wittgenstein (1953) a tout spécialement insisté sur cet aspect en considérant le langage comme un outil avec lequel on fait des opérations dans un but déterminé. Austin (1991) a lui aussi affirmé le caractère performatif du langage en précisant que sous certaines acceptions «dire quelque chose; c’est faire quelque chose» (p. 40). Il y aurait ainsi un lien étroit entre le langage et le contexte de son utilisation, en ce sens que « le dire est toujours partie prenante d’un faire » (Guillot, 2004; p. 271). C’est précisément en ce sens de la pragmatique du langage que Plaisance (1999) affirme que « les mots font les choses » en éducation spéciale comme ailleurs. La terminologie qui circule dans ce domaine comporte ses conséquences pratiques et s’avère donc bel et bien un faire. Gergen (2005) précise qu’« il n’est pas de mots qui aient un sens sans avoir de conséquences » (p. 53). Qu’un enfant soit considéré handicapé, en situation de handicap ou comme présentant des besoins éducatifs particuliers, ces termes réfèrent toujours à la même personne et, sur ce plan, on pourrait donc les considérer comme des synonymes. Il en va différemment sous l’angle de la pragmatique du langage. Ces trois dénotations renvoient en effet à des significations très différentes, lesquelles appellent des actions tout aussi différentes.
Woodill et Davidson (1989) précisent que tout modèle professionnel génère ses concepts et oriente la pensée et l’action dans une direction définie. Dans leur analyse des pratiques langagières du champ de l’éducation spéciale, ils se réfèrent à la notion de jeux de langage (Wittgenstein, 1953), lesquels se développent dans des contextes ou des formes de vie donnés. Considéré ainsi, le langage de l’éducation spéciale acquiert sa signification des jeux de langage qui prévalent précisément dans la forme de vie de l’éducation spéciale. Il ne faut pas perdre de vue que « loin d’être une donnée ‘naturelle’, le problème considéré est échafaudé par des acteurs, collectifs ou individuels » (Plaisance, 2000; p. 16) et qu’il est fonction des jeux de langage qui contribuent à en générer la signification. Or, bien que des intérêts différents soient exprimés selon les différents acteurs en présence, certains discours profitent du poids social qui leur est conféré. L’éducation inclusive encourageant de par ses orientations certaines pratiques langagières, Arnesen, Mietola et Lahelma (2007) présentent ainsi la difficulté que pose la présence toujours prédominante en éducation inclusive d’un discours centré sur le déficit:
« Certains groupes d’experts affiliés à des écoles, comme des psychologues et des travailleurs sociaux, ont développé une classification des étudiants qui fait maintenant partie d’un vocabulaire ‘tenu-pour-acquis’, sous l’influence de termes tels esprit, motivation, anxiété, intelligence, attitudes, […], difficultés d’apprentissage, besoins spéciaux, […], confiance en soi, etc. Ces termes situent clairement les problèmes dans l’individu, renforçant ainsi la tendance à les interpréter en termes de manques à différents niveaux. » (p. 104)
Alors qu’elle reconnaît les progrès réalisés en éducation inclusive, Slee (2001) fait aussi le constat selon lequel «un attachement épistémologique profond est toujours présent à voir les besoins éducatifs spéciaux comme le produit d’une pathologie individuelle chez l’enfant» (p. 117). Des conceptions tenues pour acquises demeurant enkystées dans les pratiques langagières, la terminologie de l’éducation spéciale mérite donc d’être mise à l’étude et à en questionner la pertinence pour l’éducation inclusive. La présente recherche s’inscrit dans la lancée de la réflexion engagée par Plaisance (2000) et Woodill et Davidson (1989). Elle a pour objectif d’investiguer le langage des étudiants en formation à l’enseignement eu égard aux élèves handicapés ou en difficulté. La mise à jour de la terminologie qui prévaut chez les étudiants à l’endroit de ces élèves permettra d’apporter des précisions quant aux objectifs désirables à intégrer à leur programme d’études et, ce faisant, d’encourager des pratiques davantage au diapason d’une école inclusive.
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