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PRESENTATION DE L’OUVRAGE L’Historique des Forces Navales Française libres est sans doute l’ouvrage de référence écrit sur la question, par deux marins aujourd’hui à la retraite, le vice amiral d’escadre (VAE) Emile Chaline et le capitaine de vaisseau (CV) Pierre Santarelli. L’ouvrage est divisé en IV tomes, dont le premier, sans doute le plus complet s’attache à retracer l’histoire de la flotte française libre depuis ses origines et sa gestation en juin 1940 jusqu’à sa fusion avec les forces maritimes d’Afrique du Nord, le 3 août 1943. L’écriture de cette synthèse n’est pas le fait d’une commande, mais de la propre initiative de leurs auteurs. Il convient néanmoins de préciser qu’elle est issue d’un circuit d’élaboration intégralement militaire : les auteurs, les sources du SHM et le fait que l’ouvrage ait été d’abord soutenu et ensuite édité par le Service Historique de la Marine. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage a été conçu avec la rigueur scientifique de l’histoire en tant que discipline : les auteurs s’appuient en premier lieu sur des archives aujourd’hui librement consultables, ainsi que sur des travaux existants dont la valeur historique a été garantie par ces mêmes archives. C’est aussi un ouvrage à caractère synthétique, qui s’efforce de rassembler des études ponctuelles et cloisonnées tout en défrichant des terrains d’études vierges que sont par exemple la naissance, l’organisation et le fonctionnement quotidien des FNFL. Ainsi, nous sommes en présence d’une somme unique qui a été rédigée sur le sujet, alliant l’exhaustivité à la rigueur scientifique. De plus, les auteurs ont une vraie légitimité qui s’ajoute à celle de leur démarche d’historiens, c’est qu’ils ont été à la fois acteurs et témoins de la période qu’ils décrivent. Cela pourrait impliquer un manque de recul handicapant, mais il n’en est rien : Emile Chaline et Pierre Santarelli font montre d’un travail scientifique, aussi dépassionné que possible. Certes, il arrive parfois que les auteurs ne cachent pas leur sympathie, émettent des jugements à posteriori (surtout à propos de la rivalité entre le général De Gaulle et l’amiral Muselier), sans que jamais cela ne prenne le pas sur l’honnêteté historique. On peut noter que la troisième édition du livre est augmentée de nombreuses photographies, cartes, documents divers (extraits de correspondances, rapports officiels, schémas techniques) La prépondérance de L’Historique des Forces Navales Française libres dans la bibliographie somme toute limitée du sujet implique un résumé assez complet de l’ouvrage. Nous nous attacherons donc à respecter le plan et l’enchaînement global des idées qu’ont choisi les auteurs. Le chapitre 1, « Naissance des FNFL » s’attache à retracer une brève mais nécessaire mise en contexte. CHAPITRE I : NAISSANCE DES FNFL I] Rappel historique. La débâcle, la demande d’armistice et l’appel La victoire fulgurante de la Wehrmacht a plongé le pays comme la classe politique dans la stupeur. Paul Reynaud et le gouvernement de Bordeaux, le 15 juin 1940 ne songent qu’à prendre le chemin d’Alger. Une proposition d’union totale, de mise en commun des ressources et des administrations est avancée par la chancellerie britannique. Ce projet est cautionné par le Général De Gaulle, mais l’esprit d’abandon a déjà gagné les gouvernants français : le maréchal Pétain craint de faire de la France un « dominion britannique » et argue du fait que « s’unir à la Grande-Bretagne, c’est épouser un cadavre ». La proposition est donc rejetée en conseil des ministres le 16. Le 17 juin, le maréchal Pétain appelle par la radio à cesser le combat, et adresse en parallèle une demande d’armistice au IIIème reich. Ce dernier ne répond que quatre jours plus tard, occasionnant un flottement particulièrement délicat à gérer, militairement et diplomatiquement parlant. De son côté, le Général lance son appel le 18 depuis les studios de la BBC à Londres mis spécialement à sa disposition : il insiste particulièrement sur l’importance de l’empire colonial français et de la maîtrise des mers pour continuer la lutte. Ce sont ces deux points que nous allons développer dans les parties suivantes : le comportement de l’empire (en particulier l’AFN) et de la flotte face à ces deux appels contradictoires. II] Le comportement de l’Afrique du Nord entre l’appel et le premier juillet 1940 Le général Noguès, commandant en chef des forces françaises d’Afrique du nord est l’un des premiers à s’élever contre le défaitisme ambiant : pour lui, il est toujours possible pour l’AFN de continuer le combat. Il expose son projet au maréchal Weygand, en lui expliquant qu’il est prêt à prendre la responsabilité de cette lutte, en dehors du cadre légal du gouvernement. A cause du flottement induit par l’attente de la réponse de la chancellerie allemande à la demande d’armistice française, le maréchal Weygand répond le 19 juin en lui laissant carte blanche. C’est ainsi que le général Noguès se met à préparer activement la défense de l’Afrique, adressant beaucoup de demandes de renforts en hommes et matériel qui sont rarement satisfaites. Il dresse un rapport assez optimiste sur la défense du territoire, et ce qu’elle implique en terme de renforts, de tactique, de ravitaillement et de stratégie globale : destiné au gouvernement de Bordeaux, on ne sait pas si il lui est parvenu. Entre temps, l’armistice proposé par la France est accepté par l’Allemagne. Weygand et le gouvernement font pression sur le général pour qu’il cesse le combat en justifiant le bien fondé de l’armistice. C’est ainsi que la mort dans l’âme, il se conforme aux ordres de sa hiérarchie. La lutte ne reprendra en Afrique du Nord que le 8 novembre 1942. Cette situation cornélienne qui oblige à trancher entre volonté de se battre et obéissance aux ordres du gouvernement « légal » n’épargne pas non plus la marine. III] Comportement de la flotte entre l’appel et le premier juillet 1940 La flotte française de juin 1940 est une flotte hors d’atteinte : tous les navires en état de naviguer sont évacués vers l’Angleterre ou l’Afrique. Les autres sont sabordés. Cette flotte est aussi invaincue : sur les 299 navires de guerres armés, 15 ont déjà été coulés en action, 6 sabordés et 40 en rade de Toulon. Les 238 bâtiments restants sont hors de portée de l’ennemi, en Angleterre (10% environ) ou dans l’empire. A cet état de fait plutôt avantageux s’ajoute l’apparente contradiction entre les ordres de l’amirauté et l’appel du 17 juin. La flotte a pour consigne de poursuivre le combat et de ne laisser aucun de ses éléments entre les mains de l’ennemi. L’amiral Darlan est encore dans l’expectative, ne sachant comment la demande d’armistice sera traitée par les allemands. Informé de la demande d’armistice, le vice-amiral Godfroy, commandant de la « force X » basée à Alexandrie lance un plaidoyer farouche en faveur de la résistance de la marine. Mais le 22 juin, l’amiral Darlan télégraphie aux différentes amirautés pour leur exposer plus clairement l’état des tractations, le bien fondé d’une demande d’armistice compte tenu des conditions jugées clémentes : l’Amiral de Carpentier, commandant de la division navale du Levant (DNL), le vice-amiral d’escadre (VAE) Decaux en Indochine et l’amiral Esteva de l’amirauté sud réagissent violemment à cet exposé et réaffirment leur volonté de continuer la lutte aux côtés du Royaume-Uni. En réponse, l’amiral Darlan laisse entendre que la Grande Bretagne chercherait à mettre la main sur la flotte française et condamne la vaine initiative personnelle du général de Gaulle. Pour lui, la flotte restera française ou périra. Par la suite, Darlan cherche par une série de télégrammes envoyés aux amirautés à convaincre de la validité de son point de vue : le deuxième annonce la rupture avec la Grande Bretagne, et donc la possibilité d’attaque en provenance d’elle, le troisième martèle que toute résistance est inutile et rappelle l’importance de la discipline. Le quatrième, quant à lui maintient que les conditions de l’armistice sont honorables et qu’il convient de les exécuter. Enfin, le 5ème voit finalement les amiraux se ranger derrière Darlan. Les auteurs font ainsi peser tout le poids de la reddition de la marine sur l’amiral Darlan : ils estiment que s’il avait choisi la lutte au lieu de la résignation, toute la flotte l’aurait suivi, entraînant un ralliement de l’empire. Les vœux du général de Gaulle auraient été exaucés. La décision de Darlan est donc lourde de conséquence, capitale pour la suite. Nous avons vu que de nombreux navires se sont réfugiés en Angleterre (leur état, leur manque d’approvisionnement ou les circonstances les ont empêchés de rallier directement l’Afrique). On y trouve :
Ces navires sont armés à effectifs de guerre, ce qui représente environ 10.000 hommes. Dès le 21 juin, l’amirauté française leur donne l’ordre formel de se replier en AFN. Mais les britanniques s’opposent à ce retour. Dans cette confusion ambiante, le moral des équipages est au plus bas : ils sont complètement désorientés. Certains (réservistes pour la plupart) ne pensent qu’à rejoindre au plus vite leurs familles, d’autres ne comprennent pas pourquoi la lutte ne continue pas aux côtés des anglais. Dans le même temps, des communications officielles qui rappellent le devoir d’obéissance à la hiérarchie sont placardées sur les portes d’équipage. Cette manœuvre semble porter ses fruits car on observe à ce moment là que peu de marins songent à désobéir : dans le chaos général, la discipline est la seule chose à laquelle ils se raccrochent. Les 10.000 hommes et les 350 officiers sont confrontés à trois choix que leur proposent les autorités britanniques :
En parallèle, la situation s’assombrit aussi pour les 135 bâtiments de commerce présents dans les ports du Royaume-Uni (400.000 tonnes de jauge brut) : l’embargo est décrété, les équipages hétéroclites sont beaucoup moins soudés que ceux des navires de guerre. De plus, il n’existe pas d’archives les concernant, ce qui ajoute à la confusion. IV] Les ralliements à la France libre L’ambiance générale est rongée par un climat de renoncement : le sentiment de solitude gagne, d’autant que l’appel de De gaulle aux autorités d’outre mer est un échec. Il est à noter que huit jours après son célèbre appel, seulement quelques centaines d’hommes se sont rangés derrière lui : il faut souligner que les démarches ne sont pas facilitées par les britanniques. Néanmoins, le général cherche toujours à constituer une force de combat. Le 28 juin, dans un autre appel radiophonique, il officialise sa reconnaissance par les Britanniques de « chef des français libres ». Dans le même temps, les autorités du royaume ont hâte de se débarrasser de la masse encombrante des soldats français, humiliés et entassés dans les camps. Ainsi, la traversée de 20.000 hommes de Liverpool à Casablanca est rapidement organisée (ils y débarquent le 8 juillet). Les auteurs se posent la question de savoir si les britanniques n’ont pas eu tord de priver De Gaulle de ce potentiel de recrutement : ils pensent que non, car cette masse d’hommes est décrite par des rapports d’officiers au cours de la traversée comme « sans ressort et apathique ». En ce qui concerne les ralliements sur les bâtiments de la flotte, l’énorme majorité se laisse convaincre par la propagande de Vichy : Marine Toulon, Amiral 3ème escadre, Amiral Afrique, Amiral Sud sont autant d’escadres qui décident de se ranger derrière Darlan. A côté de cette tendance générale, on remarque quelques cas particuliers à contre courant : - le sous-marin Rubis est en mission de mouillage de mines dans le fjord de Trondheim, en conformité avec les ordres de l’amirauté lorsque l’armistice est signé. Lorsque le Rubis rallie son port d’attache, Dundee, son équipage apprend la situation et décide de rallier la France libre. - Le LV Drogou, commandant du Narval pense que les messages de l’amirauté ont été écrits par les allemands. Il rallie La Valette, et après un vote libre de l’équipage en faveur du ralliement à la France libre, les réfractaires sont débarqués. - On observe le même schéma du vote libre sur le Président Houduce, un patrouilleur qui décide de rejoindre le port de Gibraltar. Au niveau du haut commandement, le seul réellement déterminé à poursuivre la lutte est l’amiral Muselier. Mis à la retraite par Darlan pour de faux prétextes, il se retire à Paris comme ingénieur. Avec l’avancée des allemands, il gagne Marseille, d’où il s’embarque pour Gibraltar. Là il rencontre un noyau de marins français motivés pour continuer le combat, ce qui le renforce dans ses convictions. Il rencontre le général De Gaulle à Londres le 30 juin et il est de suite nommé commandant des forces navales restées libres. Un communiqué officiel scelle l’acte de naissance des FNFL le premier juillet 1940. A ce stade, il n’y a bien sûr pas encore de forces navales à proprement parler, les unités ayant choisi de poursuivre le combat n’ayant pas encore rejoint officiellement De Gaulle. CHAPITRE II : LES PREMIERS PAS – CONVERSTIONS FRANCO-BRITANNIQUES – ACCORDS ET EVOLUTIONS I] Les premiers pas Les auteurs s’attachent d’abord à présenter le personnage de l’amiral Muselier (cf. annexe D.1) : ils le décrivent comme un homme charismatique, sans concession. Plutôt aventurier dans l’âme, c’est aussi un républicain convaincu et surtout un grand meneur d’hommes. A cette présentation dithyrambique s’ajoute le témoignage du commandant de la corvette Alysse, M. Pépin-Lehalleur qui dresse un portrait élogieux et plein d’admiration du chef. Il fait aussi part de la « cassure » dans le moral des marins à la suite de la querelle entre l’amiral Muselier et le général De Gaulle qui aboutit au départ de l’amiral du commandement des FNFL en décembre 1942. Selon le commandant de l’Alysse il a été regretté de tous. Mais les premiers pas de la création des FNFL consiste avant tout à les faire exister en tant que telles, et donc de les différencier des forces navales de Vichy. Pour l’amiral Muselier il est important de donner un aspect de croisade à leur cause. Son père étant lorrain, il officialise dans la nuit du 2 au 3 juillet l’insigne FNFL : un carré bleu dans lequel se détache une croix de lorraine rouge, en opposition à la svastika (cf. annexe E.1). Quelque mois plus tard, une version définitive du logo est proposée par le commissaire Hommey : une croix rouge sur un losange blanc, le tout dans un drapeau tricolore rappelant celui de la révolution (cf. annexe E.2). Les auteurs insistent sur le fait que le général De Gaulle accueille d’abord avec tiédeur cet insigne ; la croix devenant vite le symbole de la France libre, il finit par l’arborer sur sa poitrine (cf. annexe E.3). En revenant au plan strictement militaire, il paraissait évident que la rupture entre la France de Vichy et le Royaume-Uni amènerait une rivalité grandissante au sujet de l’ancienne flotte de la République. Le royaume britannique ne peut pas se permettre de laisser la flotte française se retourner contre la puissante Royal Navy. Ainsi est née l’opération secrète nommée Catapult : elle consiste pour la Grande-Bretagne à prendre le contrôle ou à défaut immobiliser, voire couler tous les éléments de la flotte française accessible à l’action de la Royal Navy. Car une utilisation potentielle par l’ennemi en méditerranée ou dans l’atlantique Nord bouleverserait le rapport des forces. Les bateaux présents en Grande-Bretagne sont capturés et leurs équipages débarqués dans la nuit du 2 au 3 juillet 1940. A Alexandrie, un accord pacifique conclu avec l’amiral Godfroy immobilise la « force X ». A Mers el-kébir, la « force H » de l’amiral Gensoul est coulée par la flotte britannique sans pouvoir combattre (l’amiral Gensoul tentait de gagner du temps sur l’ultimatum qui lui avait été fait, car une escadre française arrivait de Toulon en renfort. Le message intercepté par les britannique, les bateaux furent coulés au port). Cet épisode malheureux empoisonne momentanément les relations franco-anglaises et complique sérieusement la tâche du général De Gaulle. Ce dernier tente de calmer les esprits en tenant un discours ferme mais conciliant : cela n’enlève rien à la stupeur qui règne chez les marins français à Londres. A ces difficultés diplomatiques s’ajoutent l’attitude de la Mission Navale Française à Londres : l’amiral Muselier cherche à établir le contact avec son chef, l’amiral Odend’hal mais ce dernier l’ignore. Il faut rappeler que Muselier est victime d’une très efficace campagne de calomnie menée par Vichy, qui selon les auteurs va même jusqu’à toucher De Gaulle. En fait il est notoire que la MNFL fait tout pour empêcher les FNFL de recruter. De même on observe une double concurrence faite aux FNFL : de la part de la Royal Navy, et au sein même de la France libre. La Royal Navy vampirise les recrutements en faisant aux marins des offres alléchantes, surtout après l’opération Catapult, et l’armée de terre du général de Gaulle court-circuite la marine en contrôlant ces mêmes recrutements depuis l’Etat-Major. On peut donc ainsi comprendre que les premiers engagements FNFL sont difficiles : Catapult, l’attitude de la Royal Navy et de la MNFL, et enfin la rivalité au sein de la France libre sont autant d’obstacles pour les Forces Navales Françaises Libres. |