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Plus d’ennemi humain plausibleJusque récemment, l'ennemi principal était l'URSS. Non qu'on craignait beaucoup une guerre ouverte. Mais on voulait la dissuader d'attaquer et se garder de la subversion communiste à l'Ouest. Tout risque de subversion disparut avec la répression des révoltes de Hongrie (1956), de Tchécoslovaquie (1968) et de Pologne (1981) et avec la popularisation des horreurs du goulag. L'on continua à se dissuader (crise des euro-missiles) et à se battre par personnes interposées dans le Tiers-Monde, jusqu'à ce que la politique d'armements de Reagan-Weinberger fasse jeter l'éponge à l'URSS, tout en épuisant les USA. Désormais, l'ennemi n'est plus à l'Est. Qu'il s'appelle Mikhail ou Boris, le dirigeant de Moscou est reçu comme un ami. Il ne subsiste que des inquiétudes sans réponse militaire, par exemple sur le sort des armes et centrales nucléaires de l'Est, ou sur les risques d'émigration vers l'Ouest (et encore, pensent certains, ces Slaves vaudraient mieux que bien des immigrés actuels). Que reste-t-il comme ennemi potentiel? Excluons aussitôt ce qu'on appelait autrefois "les classes dangereuses", aujourd'hui formées en bonne partie d'immigrés et de gens de couleur : noirs, musulmans, hispaniques aux USA, etc...(1). Le traitement du problème relève, au pire, des mesures policières et des tracasseries administratives, rien qui remplisse les fonctions économiques (I) et (2) de la guerre. La fonction idéologique de la guerre, la création d'un ciment, n'est pas non plus remplie tant que les anti-racistes sont nombreux et actifs. Certes l'agressivité des néo-nazis, skins et autres klansmen peut s'exercer en allant "casser du Bougnoule", du Nigger ou du Kaffir mais, même si l'on a rejoint la police dans ce but, ce n'est pas plus propice à l'ordre social que les bagarres autour des matchs de football. Je n'insiste pas sur les ennemis industriels (Allemagne, Japon, Dragons) pour lesquels la réponse relève de la politique industrielle ou des compromis bruxellois. Ni sur les "ennemis culturels" (Disneyland, Mac Donald, téléfilms américains, prépondérance de l'anglais) qui relèvent de la dénonciation verbale. L'Europe éprouve de la méfiance envers bien des Etats Musulmans. Certains ne sont certes pas de tout repos. Les craintes portent sur le terrorisme, sur la fomentation de troubles et de guérillas urbaines parmi la population immigrée, voire sur des tirs de missiles nucléaires (acquis dans l'ex-URSS ou autrement) visant le Sud de l'Europe, ou sur des combats entre Slaves et Musulmans en Asie centrale ou dans les Balkans. Matériellement, la réponse ne dépasse pas la prévention sociale, les précautions policières, la dissuasion minimale et la capacité des Slaves à se défendre (ce qu'ils ont amplement !). La montée de l'islamisme aggrave ces craintes, bien que certains régimes laïcs (Irak, Lybie, Syrie ...) ne soient pas moins agressifs que d'autres. Ainsi l'Occident continuera à jouer des rivalités entre ces divers Etats et à assurer son accès au pétrole ce qui, idéologiquement, empêche de qualifier en bloc le monde musulman "d'Empire du Mal". De nouvelles guerres, civiles ou autres, n'y sont pas exclues. Si elles ne mettent pas en cause des intérêts essentiels de l'Occident (le maintien des monarchies pétrolières ou d'une Egypte alliée, l'existence d'Israël), il se contentera de soutenir le côté le plus faible ou le moins dangereux par des livraisons d'armes et des facilités financières. Sinon, comme pour le Koweit, il faudra "y aller", ce qui implique le maintien de forces d'intervention conséquentes. Plus consistant peut-être que "l'ennemi islamique" pourrait être un jour, s'il forme bloc, l'ennemi asiatique : Japon, Chine, Corées, Dragons, Indonésie, Malaisie, Thaïlande. Des salaires encore bas, une population habile et travailleuse, un lourd poids démographique en font un concurrent redoutable, voire plus. Tant que les restes du communisme opèreront un clivage dans ce bloc, la situation restera contrôlable. Sinon, il faudra courir au secours de nos alliés russes et australiens. Un dernier conflit, que la Conférence de Rio a popularisé, est le conflit Nord-Sud. Il a des aspects ridicules ("En déforestant le poumon de la planète, ces salauds de Brésiliens vont nous priver d'oxygène"), mais d'autres qui le sont moins : la démographie ; que se passera-t-il si chaque ménage de Chine, d'Inde et d'Afrique avait, comme ici, voiture, frigo et lave-linge? Vu son caractère éminemment écologique, ce conflit sera pris en compte dans le paragraphe suivant. La pollution : ennemi plausible ?Sous le nom de "pollution" j'entends ici toutes les atteintes à l'environnement, y compris la déforestation, la désertification, les accidents industriels ou les bétonnages inconsidérés. De marginal, le souci de l'environnement semble être devenu l'un des soucis dominants. Cela suffit-il à faire de la "pollution" l'ennemi de remplacement? Examinons donc si les fonctions de la guerre seraient remplies. 1) La stabilisation de l'économie Au niveau mondial, les dépenses d'armement se montent à environ 800 GE par an (GE = giga-ECU = milliard d'ECU's ; I ECU = 7 FF). (2). Or les dépenses annuelles pour l'environnement sont actuellement estimées à 95 GE dans la CEE et à 155 GE aux USA. Un minimum de 390 GE devrait être dépensé pour mettre les industries de l'Europe de l'Est au niveau occidental de pollution, de sûreté et d'efficacité énergétique ; or ce niveau est encore très imparfait. Au "Sommet de la Terre" (Rio, juin 1992) on a estimé à 100 GE/an l'aide que les pays riches devraient apporter aux pays pauvres pour les mettre sur la voie du développement durable ; la réalisation de "l'Agenda 21" coûterait cinq fois plus cher. On n'est pas loin de l'ordre de grandeur des dépenses militaires. On peut imaginer d'aller plus loin. Le "Rapport Brana" sur les économies d'énergie a montré que, à service égal, l'efficacité énergétique des appareils usuels varie au moins de 1 à 4 ; on pourrait non seulement cesser de produire et de vendre les appareils les moins sobres, mais inciter financièrement les ménages au remplacement anticipé de ceux-ci ; si cela concernait les deux tiers de nos quelques 18 millions de lave-linge, prix moyen 500 ECU's, le marché serait de 6 GE rien qu'en France ; pour les lave-vaisselle, le marché serait de 2,4 GE. Le remplacement de 10 millions de voitures polluantes et peu économes par des voitures catalysées et consommant moins de 4 l/100 kms représenterait un marché de 100 GE. Pour continuer à être concrets, évoquons ce qui relève des commandes directes des pouvoirs publics dans des secteurs, que chacun juge sous-équipés ; stations d'épuration, déchetteries et traitement des déchets variés, appareils de mesure de pollutions diverses, prototypes d'appareils et de systèmes favorables à l'environnement (dans les secteurs de l'énergie, des transports, du recyclage ...) mais non encore rentables dans les conditions du marché. Au delà, il faudra aider les citoyens à faire les bons choix par des systèmes de carottes et de bâtons, incluant les éco-taxes. Mais, une fois passée une période d'investissements massifs dans les techniques propres, sobres et recycleuses, les activités "écologiques" ne vont-elles pas être soumises aux lois du marché et de la concurrence, à la demande de la clientèle, et perdre autant leur pouvoir stabilisateur de l'économie que le programme nucléaire le plus démesuré? C'est peu probable car, d'une part, par leur nature, les grands programmes "écologiques" doivent être soustraits aux lois du marché et aux analyses coût-bénéfices purement comptables (sauf à prendre en compte, via des éco-taxes, des "coûts externes" dont la traduction monétaire est fort arbitraire). D'autre part on pourra découvrir, ou populariser, sans cesse de nouvelles atteintes à l'environnement contre lesquelles il faudra lutter : le développement durable n'est pas un système stable de production et de consommation ; c'est un idéal asymptotique dont on tente de s'approcher. Bref, la validité économique de la "guerre à la pollution" dépendra essentiellement de l'état d'esprit qui sera créé dans le public, de sa disponibilité à payer autant que pour alimenter la guerre froide. Voir ci-dessous cet aspect idéologique. En tous cas, ce qui pourrait être une transition est en train de s'esquisser. A la fois pour répondre à la sévérisation des normes antipollution, pour profiter de la vogue de l'écologie dans le public, pour verdir leur image et pour prendre le relais des productions qui avaient fait leurs choux gras pendant les "Trente Glorieuses" mais qui s'effoufflent pour cause de saturation, industriels et commerçants se sont jetés sur les produits verts et les techniques propres comme la misère sur le pauvre. En France, le mensuel "Décision Environnement" souligne leurs efforts, les encourage, leur indique les créneaux intéressants. L'Allemagne et le Japon ont été les premiers à voir dans l'environnement une "force industrialisante", processus bien mis en évidence par Philippe Roqueplo. Des labels (NF-Environnement en France) commencent à être décernés aux produits qui respectent l'environnement "du berceau à la tombe". La presse multiplie les informations sur les "carrières vertes". Un industriel suisse Stéphan Schmidheiny a fondé, à la veille du Sommet de Rio, une association d'industriels pour le développement soutenable qui groupe 48 firmes multinationales et qui a en partie financé la préparation de ce Sommet. Lors de leurs réunions à Rio et à Sao Paulo, les nombreux industriels présents se sont montré très satisfaits d'avoir découvert ce "créneau porteur". Partout, les forums Economie-Environnement se multiplient. 2) Un moteur pour les sciences et les techniques Il est assez clair que la "guerre à la pollution" provoque déjà toute sortes de recherches. Il n'est que de voir avec quel enthousiasme les spécialistes de l'atmosphère se sont lancés, à coup de milliards, dans l'élucidation de phénomènes comme l'effet de serre, les trous d'ozone et les aérosols issus de la pollution soufrée (ou des volcans). La liste des recherches qui seraient favorables à l'environnement est très longue. Par exemple : - captation d 'énergies peu offensives pour l'environnement ; - processus et moteurs propres et sobres ; - dépollution, assainissement ; - gestion et traitement des déchets, du ménager au nucléaire - nettoyage des sites pollués ; - développement de méthodes agricoles et forestières respectueuses de l'environnement, utilisant éventuellement les biotechnologies. Certes, beaucoup de ces secteurs ne relèvent pas de la "Big Science", mais plutôt de recherches menées avec imagination, finesse et application. Toutefois les amateurs de la "Big Science" pourront s'activer avec, bien entendu, les recherches atmosphériques et océaniques, et aussi avec celles qui concernent l'énergie. En effet, on aura ici à agir sous la double contrainte de l'effet de serre et des risques nucléaires présents et futurs. La captation décentralisée des énergies renouvelables, biométhane en premier lieu dans des pays comme le nôtre, ne paraît pas relever de la "Big Science". Mais celle-ci peut entrer en jeu dans trois filières : - La fusion nucléaire (déjà en piste) ; - La captation centralisée de l'énergie solaire, par exemple par des satellites l'envoyant sous forme de micro-ondes vers des capteurs situés dans des zones désertiques où on l'utiliserait soit pour des processus énergivores (aluminium), soit pour produire de l'hydrogène, un excellent vecteur énergétique (s'il est transporté sans trop de risques sous forme d'hydrures) ; - Une nouvelle génération de réacteurs de fission tels que leur combustible irradié ne contienne que des quantités infimes de plutonium, américium et autres radio-éléments à très longue période, afin de rendre acceptables les risques liés à leurs déchets ou des systèmes permettant de casser ces radio-éléments. La "Big Science" aurait là du pain sur la planche pour des décennies et des centaines de miliards d'ECU's. Sans garantie de faisabilité ni d'innocuité pour l'environnement! La "Déclaration d'Heidelberg", signée à la veille du Sommet de Rio par plus de 400 scientifiques, dont 59 Prix Nobel, exprime leur volonté d'avoir la haute main dans la "guerre à la pollution". Cependant leur rejet des craintes qu'ils considèrent - à tort peut-être, l'avenir le dira - comme irrationnelles ou infondées, ne va pas faciliter la mobilisation idéologique nécessaire au bon fonctionnement de cette "guerre". 3) Un ciment idéologique Sauf quelques indécrottables, la pollution, comme le pêché, tout le monde est "plutôt contre". A la suite du "Time" du 01.01.89 ("La planète, personne de l'année"), les médias donnent une place grandissante aux problèmes écologiques. Certains pays sont allés jusqu'à prendre des militants écologistes comme ministres de l'environnement (William O'Reilly, Brice Lalonde ...). Alors que, dans les Conseils Régionaux élus en mars 1992, les partis classiques ont établi un cordon sanitaire autour du FN, ils ont accueilli les écolos de tout poil comme des gens sympa avec qui on aimerait faire alliance. Cependant les résultats, plutôt mitigés, du Sommet de Rio indiquent qu'on n'est pas encore à la veille d'une grande mobilisation. Il pourrait donc y avoir une première phase fiscalement indolore où les sommes soustraites aux budgets militaires iraient à la "guerre à la pollution". Se poserait alors, parallèlement, le problème de la reconversion des industries militaires, que J.K. Galbraith, en 1967, estimait quasi-impossible à cause de leur degré de spécialisation rigide. Ce n'est plus aussi vrai en 1992. Au lieu de chars et d'avions de combat bourrés d'informatique, on bourrerait d'informatique les voitures et les camions, soit en vue de leur sobriété et de leur dépollution, soit pour les guider ou les prendre en charge dans les encombrements, soit enfin pour surveiller leurs déplacements qui seraient communiqués à un ordinateur central (système de cartes à puces envisagé aux Pays-Bas ; cf. Libé du 26.05.92 ; un "Big Brother" écolo !). L'application massive des techniques de l'espace et de l'observation à l'étude des phénomènes atmosphériques et autres, ainsi qu'à la captation de l'énergie solaire par des satellites, va de soi. Quant au nucléaire militaire, j'ai mentionné des possibilité de reconversion "écologique" (fusion, réacteurs ne produisant pas de transuraniens). Seule la reconversion de la fabrication des explosifs, chimiques et nucléaires, pourrait poser problème. Quant aux soldats,la transformation du service militaire en un service national "écologique" est parfaitement envisageable. Parallèlement, une pré-mobilisation psychologique est assez facile à imaginer. On commence à imposer une certaine discipline de tri sélectif des déchets ; on pourrait la renforcer et la généraliser ; pour crédibiliser l'effort demandé au public, il faudra aussi en demander un aux producteurs d'emballages, qui étendront ainsi leurs activités moyennant un surcoût payé par les consommateurs. Le contrôle et la répression de la "délinquance verte" pourraient venir ensuite, éventuellement via des tribunaux spécialisés s'appuyant sur un code bien coordonné, clair et précis de l'environnement. L'aide des associations écologistes à la "justice verte" serait alors appréciée. La difficulté viendra de ce que les délinquants seront plutôt des entreprsies ou des collectivités publiques que des particuliers, mais on sera obligé de faire des exemples, touchant plutôt des petites que des grosses. Un secteur à discipliner serait celui des excès de vitesse, qui provoquent beaucoup d'accidents, une surconsommation de carburants et de fortes émissions d'oxydes d'azote. Est-on prêts à le faire ? La voie évidente est celle d'une impitoyable police de la route, comme aux USA. Une autre solution serait de brider les moteurs à la construction ("mettre le flic dans le moteur"), mais elle est moins disciplinante. Certains voudraient voir supprimé le mauvais exemple donné par les spectacles, amplement médiatisés, des courses automobiles ou motocyclistes ; mais cela irait à l'encontre du principe que la vertu n'a de valeur que si l'exemple du vice est présent. Mais, pour qu'il y ait une véritable mobilisation, capable de justifier des efforts financiers du même ordre que ceux de la guerre froide, il faudra que des catastrophes écologiques, ou des menances incontestées de telles catastrophes, frappent les pays riches. Les incontestables catastrophes qui frappent les pays pauvres ne mobiliseront guère ; tout au plus portera-t-on de 0,56 % à 0,7 % la part du PNB consacré à l'aide et les bonnes âmes donneront-elles davantage d'argent aux associations caritatives. Quelles pourraient être ces catastrophes ou menaces de catastrophes ? Il est hasardeux de répondre car elles pourraient venir de phénomènes aujourd'hui imprévus. Contentons-nous de chercher la clef perdue sur la portion de trottoir éclairée par le réverbère : - Trous d'ozone, rayons UV-B, cancers de la peau, etc ... : ici une grande partie des mesures de prévention a été prise (suppression des CFC, halons et gaz voisins), au moins dans les pays riches. Resterait à limiter certains autres gaz et les substituts aux CFC dont l'innocuité est douteuse. Même dans ce cas, il faudrait attendre un siècle avant que les trous d'ozone ne soient bouchés. C'est donc un "coup parti" qui, rationnellement, ne relève que des mesures d'adaptation (protection contre les rayons solaires, recherche de plantes peu sensibles aux UV-B ...). Mais une mobilisation psychologique n'exige pas qu'il y ait des mesures de prévention à prendre et peut se fonder sur les mesures d'adaptation. - Excès de nitrates dans les eaux de boisson : peu mobilisateur tant qu'il y a assez d'eau de source à consommer en bouteilles. - Méchant accident nucléaire en Europe de l'Est : dans les milieux nucléaires occidentaux, on juge que la probabilité en est très élevée sur un RBMK (comme Tchernobyl) ou un VVER-440-230 (comme Kosloduy). Ils mènent quelques actions de prévention au niveau du rafistolage et de la formation des opérateurs aux questions de sûreté, sans trop chercher à mobiliser le public. Si accident il y a, on peut prévoir qu'on nous dira : "ça ne peut pas arriver chez nous", "retombées radioactives négligeables", "surtaxe temporaire sur l'électricité communautaire afin d'en envoyer gratuitement à ces pauvres Bulgares ou Lithuaniens". - Le réchauffement climatique avec l'élévation du niveau des mers : pour l'instant la menace nettement la plus mobilisatrice, vu la multiplicité des mesures d'observation, de calcul, de prévention et d'adaptation qui leur sont liées. Mais ne sera-t-il pas difficile de mobiliser une opinion qui, tant soit peu informée, connait la responsabilité des industriels, technocrates et aménageurs dans la "pollution" ? Probablement pas : on l'a bien mobilisée, pendant la guerre du Golfe, contre Saddam Hussein en dépit du fait que beaucoup de gens savaient qu'on lui avait vendu beaucoup d'armes ainsi que du matériel et de l'expertise nucléaires. Peut-être faudra-t-il sacrifier quelques responsables évidents ; ira-t-on jusqu'aux autocritiques à la manière des procès de Moscou ?? Pour l'essentiel, on fera valoir que tout un chacun était, par ses gaspillages d'énergie et de transports, par ses achats de n'importe quoi, responsable sans le savoir : "combien d'entre vous ont voté pour René Dumont en 1974 ? pour Brice Lalonde en 1981 ? pour Antoine Waechter en 1988 ? Avez-vous respecté les limites de vitesse ? Combien d'entre vous ont renoncé à la voiture en ville ?". Ainsi, faisant table rase des responsabilités passées, on mettra le paquet sur les mesures estimées susceptibles d'améliorer la situation. Peut-être pourra-t-on aussi parfois incriminer quelque phénomène extérieur (comète, taches du soleil, volcans, bovins, termites ...) qui aurait empiré la situation. Une mobilisation psychologique doit, de préférence, s'appuyer sur une idéologie. Or ceux qui, scientifiques, écrivains ou militants, se sont occupés d'écologie ont souvent exprimé des vues du monde dont certaines peuvent servir de support à des idéologies. Grosso modo, on distingue deux courants. Le courant éco-systémiste, illustré par Elton, Tansley, Lindeman et Odum, donne la priorité aux réseaux trophiques et aux flux d'énergie et de matière dans les écosystèmes ; c'est un outil de choix pour une politique "humaniste" d'utilisation rationnelle de l'écosphère, mais il parle davantage à l'intellect qu'aux émotions. En face il y a le courant "organiciste" (ou "arcadien") qui, de Thoreau à l'hypothèse Gaïa, voit toute communauté d'êtres vivants, écosphère comprise, comme un être vivant ; exaltant la Nature et un sentiment de communauté modelé sur les ruches d'abeilles et les colonies de fourmis, il s'adresse fortement aux émotions et serait donc très mobilisateur. L'efficacité demanderait des dirigeants éco-systémistes et une population organiciste ; mais George Orwell a monté, dans "1984", que "l'inner party" (traduisez technostructure ou nomenklatura) est la première victime de l'idéologie qu'il répand. Finalement, cela n'a guère d'importance : il s'agit moins de gagner la guerre contre la pollution que de la faire. Solidarité ou coupure Nord-Sud ? La "guerre à la pollution" serait-elle une affaire planétaire ou une entreprise limitée aux pays du Nord (3) ? Logiquement, ce devrait être planétaire car de graves problèmes écologiques - effet de serre, couche d'ozone - le sont et car les atteintes à l'environnement sont souvent pires au Sud qu'au Nord. Du point de vue de la stabilisation de l'économie, un effort planétaire serait le plus efficace car, comme on l'a vu, il atteindrait des sommes considérables : jusqu'à 500 GE/an pour la réalisation de "l'Agenda 21" du Sommet de Rio. La totalité de ces sommes n'aurait d'ailleurs pas à venir des pays riches car, une fois les technologies mises sur pied, bien des appareils et systèmes pourraient être fabriqués localement avec une main-d'oeuvre moins chère et payée en monnaie locale. Mais la mobilisation idéologique serait difficile. Du côté du Sud, la nourriture, l'emploi, la possibilité d'exporter passeront bien avant la dépollution et l'exploitation rationnelle des écosystèmes, le court terme avant le long terme. Beaucoup de gens y verraient la "guerre à la pollution" comme une nouvelle forme d'ingérence des pays riches : on le constate déjà à propos des forêts tropicales. Du côté du Nord, on voit mal les gens se mobiliser ou accepter de nouveaux impôts pour combattre la pollution atmosphérique de Mexico ou la pollution chimique de Curitiba. Déjà l'émotion provoquée par des famines, comme en Somalie, est de courte durée et ne dépasse pas quelques dons aux organisations caritatives ; car il est trop facile de penser : "ils sont trop nombreux ; les chefs des bandes qui se combattent sont des fous ; les aliments qu'on y envoie se perdent ; ça allait mieux du temps de la colonisation". Les seules actions vraiment mobilisatrices pour le Nord porteraient sur les déséquilibres écologiques dont l'effet pourrait se faire sentir ici : pour l'instant l'effet de serre et la couche d'ozone. Concrètement cela se traduirait par le transfert des technologies sans CFC, par une politique énergétique globale s'inspirant des travaux de Goldemberg-Johannson-Reddty-Williams et par la négociation de politiques forestières "sustainable". Le Nord devant donner l'exemple. Pour aller plus loin, il faudrait que naisse un formidable élan de solidarité mondiale, transcendant les intérêts, même rationnellement écologiques, des uns et des autres. Quelles idéologies, quelles religions existantes sauront intégrer le sentiment de communauté mondiale exalté par les écologistes "organicistes" ? Et encore ce courant de pensée est parfois plus sensible à la faune et à la flore tropicales qu'aux indigènes indigents. Une autre possibilité, pour le Nord, est de se désintéresser du Sud, de viser à une coupure Nord-Sud, voire à un cordon sanitaire. Une approche fondée sur l'égoïsme, qui désigne un ennemi dont il faut se méfier et engendre une forte dose de bonne conscience, deux choses utiles pour faire prendre un ciment idéologique. Poussant jusqu'au bout l'expression de ces sentiments, on pourrait alors entendre : "Si, de la Chine au Pérou, chacun avait autant de bagnoles, de frigos et de lave-linge que nous, vers quels sommets d'effet de serre irait-on ? Surtout qu'ils se multiplient comme des lapins et qu'ils ne sont pas fichus de fabriquer les modèles sobres et non-polluants dont on dispose ici. Surtout qu'ils déboisent le poumon de la planète. Certes, bons princes, nous n'irons pas les massacrer : nous laisserons faire leurs malarias, leurs sidas, leurs famines, leurs guerres civiles. D'autant que, grâce à notre vraie richesse, notre avance technologique, nous n'aurons plus guère besoin d'eux en dehors, temporairement, de leur pétrole du Moyen-Orient. Car nous économisons les matières premières par des processus bien pensés, nous recyclons presque tout, notre potentiel agro-alimentaire et agro-énergétique est intact grâce à notre effort d'adaptation aux changements climatiques et notre génie génétique commence à nous fournir d'excellents ersatz de tous les produits tropicaux. Nous défendons nos côtes contre la montée des mers, nous adaptons nos champs, prairies et forêts au nouveau climat, des crèmes solaires issues du génie génétique nous protègent des UV-B. Nous sommes parvenus à sortir nos amis de l'Est du merdier. Mais qu'on ne nous en demande pas plus. Les bons écolos, c'est nous! Et que les autres crèvent !". Pour conclure, il me semble que la "guerre à la pollution" peut être le meilleur substitut à la guerre froide. Mais je ne sais lequel des deux scénarios - "solidarité" ou "coupure" - a le plus de chances de se réaliser. Je regrette qu'une analyse réaliste des faits ne conduise pas à considérer comme bien vraisemblable celui que je préférerais pour des raisons éthiques. NOTES (1)Faut-il mentionner les professions qui se disent en dificulté (agriculteurs, chauffeurs routiers ...) ? Malgré leurs "prises en otages" peu admissibles de la population, celle-ci ne semble pas leur en vouloir ni les considérer comme un danger. (2)Me souvenant des difficultés qu'a provoqué vers 1960 le passage de l'ancien franc au nouveau franc, et voyant qu'il y a encore des gens qui s'expriment en anciens francs, je tiens à anticiper au plus vite le passage à l'ECU !. (3) Dans le Nord, nous incluons l'Est. Nous supposons qu'un grand effort serait fait pour y rétablir la paix et résoudre ses problèmes d'environnement. Pourquoi l'Est plutôt que le Sud ? Trois raisons :- La proximité géographique : la pollution de l'air du Mexico, la pollution de l'eau du Gange ne gènent personne en Occident. La pollution de l'air de la Silésie et des Erzgebirge, celles de l'Elbe et de l'Oder, oui. Si la centrale nucléaire d'Angra dos Reis ou celle du Rajasthan pète, on versera un pleur ; si c'est celle de Kosloduy ou d'Ignalina, ce sera la panique. - La démographie : trouver un niveau de production" sustainable" pour un Sud en explosion démographique est un travail de Sisyphe. A l'Est, la population est stable, un des bienfaits du communisme qu'il ne faudrait pas que les ayatollahs de Rome et d'ailleurs viennent contrer. - La proximité culturelle : bien que voyant mal comment y mettre fin, bien qu'hésitant devant une intervention militaire (qui pourrait, selon certains, empirer la situation), les Occidentaux sont bien plus sensibles aux guerres civiles de Yougoslavie et du Caucase qu'à celles d'Afrique. "Une guerre de riches" dit, en parlant de la Bosnie, M. Boutros Ghali, secrétaire général de l'ONU. |
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